Par A. Savyon et Yigal Carmon*

Introduction

Le résultat de l’élection présidentielle du 19 mai 2017 en Iran est un révélateur de certaines caractéristiques du système politique iranien :

La victoire éclatante du candidat en place, Hassan Rohani, qui a remporté 57 % des voix contre son rival du camp idéologique Ebrahim Raisi – à savoir, 23,5 millions de voix contre 15,8 millions, pour 41 millions de votants, soit 76 % de l’électorat, qui se sont rendus aux urnes – montre que les Iraniens préfèrent clairement le camp pragmatique-réformiste au camp idéologique. Toutefois, il faut se souvenir que les deux candidats en tête de liste, Rohani et Raisi, sont des représentants du régime iranien et du Guide suprême iranien Ali Khamenei, et qu’ils sont à leur service avant tout.

La double tromperie du régime iranien

La tenue d’élections par le régime lui permet de faire perdurer une double tromperie, tant à l’égard des citoyens iraniens que de l’Occident :

  1. Les élections en Iran ne sont pas démocratiques, parce que le Guide suprême Khamenei peut disqualifier, et qu’il le fait, des candidats comme il l’entend – ainsi, pour la présente élection, il a disqualifié l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Au cours de la précédente élection de 2013, il avait disqualifié Hashemi Rafsanjani, et dans ces deux élections, il a disqualifié les femmes et les représentants de minorités religieuses, et d’autres encore. Il convient d’observer qu’en Iran, il n’y a pas de partis politiques et que le contrôle du Guide suprême sur le processus de sélection des candidats est absolu.
  2. Le président Hassan Rohani, candidat du camp pragmatique-réformiste, est la chair de la chair du régime révolutionnaire iranien, et il n’a ni la capacité, ni les outils, ni les compétences nécessaires pour mettre en œuvre la plateforme d’idées qu’il a présentées aux électeurs : défendre les droits de l’homme, se rapprocher de l’Occident, obtenir des investissements étrangers pour reconstruire l’économie iranienne, libérer les prisonniers politiques, développer des médias libres, etc.[1]

Au vu de l’écart fondamental et considérable qui sépare, d’une part, l’image faussée de la démocratie et la promesse de changement sur laquelle Rohani a été élu, et d’autre part, la réalité qui veut que le président élu et son gouvernement servent le régime en place et le Guide suprême, et non le peuple iranien, une répétition de ce qui s’est produit lors des élections de 2005 est probable. A l’époque, un candidat présidentiel extrémiste, Ahmadinejad, avait été élu contre son rival pragmatique Rafsanjani, en conséquence de la déception éprouvée par le public envers le président réformiste Mohammad Khatami. De la même manière, la déception face à Rohani qui devient évidente aujourd’hui risque de conduire à un appel au boycott de la prochaine élection présidentielle et à l’élection d’un nouveau candidat extrémiste.

Le degré de tromperie de ces élections envers l’Occident, dans des domaines différents, doit aussi être souligné :

  1. Le président élu et le camp politique pragmatique ne sont pas au service du peuple ; ils servent le régime et œuvrent pour lui dans l’arène internationale, tout comme les Basiji servent le régime en Iran et le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) assure la survie du régime et son essor dans la région. Ainsi, le JCPOA ne doit pas être considéré comme une décision visant à servir le peuple iranien, mais comme un moyen visant à assurer la survie de la République islamique d’Iran en cas d’attaque occidentale, maintenant ou dans les 15 prochaines années. [2] En conséquence, le JCPOA, qui est décrit par les représentants du camp pragmatique, le président Rohani et le ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, [3] comme un succès obtenu grâce aux voix des électeurs en 2013, et comme étant destiné à servir le peuple et à obtenir la levée des sanctions, la reprise des investissements étrangers et le développement intérieur, n’est en réalité pas du tout destiné à réaliser ces objectifs. Le Guide suprême Khamenei, qui a été impliqué dans toutes les phases du JCPOA et les a toutes approuvées, interdit les investissements étrangers et empêche tant la coopération avec l’Occident que l’aide occidentale au développement de l’Iran.
  2. Les résultats de l’élection présidentielle sont présentés à l’Occident par Rohani et Zarif comme un mandat des électeurs pour mener une politique de progrès et de développement de l’Iran – mais en réalité Rohani et Zarif défendent et soutiennent l’expansion régionale de l’Iran, qui est l’objectif déclaré du régime et du CGRI, en s’efforçant d’exporter la Révolution.[4]

La question des relations avec les Etats-Unis

Au sein des cercles idéologiques en Iran, on affirme que le fait que l’administration Trump s’abstienne d’imposer de nouvelles sanctions significatives contre l’Iran et de prendre des mesures contre le JCPOA (en comparaison, par exemple, de son action décisive pour retirer les Etats-Unis des accords de Paris sur le changement climatique avec l’Europe) avait pour but de favoriser la réélection de Rohani.[5]

Il existe en effet des signes de divergences entre le discours anti-Iran du président Trump et ses actions, qui témoignent d’une ouverture envers le régime iranien (voir Annexe).

La position de l’administration américaine à l’égard des contacts avec l’Iran est caractérisée par l’ouverture :

  • Un représentant haut-placé à la Maison Blanche a affirmé à Al-Monitor le 4 mai 2017 : “Si l’Iran veut parler… [de son attitude dans la région] les représentants de la République islamique peuvent décrocher leur téléphone et nous appeler”, ajoutant que l’administration se focalisait sur les actes, non sur les paroles”. [6]
  • Lors d’une conférence de presse tenue le 20 mai 2017 à Riyad, en présence du ministre des Affaires étrangères saoudien Adel Al-Jubeir, le Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson s’est abstenu de réitérer les déclarations très virulentes contre l’Iran qu’il avait prononcées devant le Congrès, affirmant au lieu de cela, en réponse à une question : “Eh bien, si vous voulez savoir si je décrocherais le téléphone, [sachez que] je n’ai jamais raccroché à quelqu’un qui voulait parler ou avoir une conversation productive. A ce stade, je n’ai pas le projet d’appeler mon homologue iranien, même si, selon toute probabilité, nous discuterons le moment voulu. »[7]

Il semble que la partie iranienne ait répondu positivement aux encouragements de l’administration américaine pour entamer un dialogue avec elle : le président Rohani, y compris pendant sa campagne électorale, et le ministre des Affaires étrangères Zarif, ont tous deux annoncé qu’il était possible que l’Iran négocie avec les Etats-Unis pour lever les sanctions restantes en rapport avec les droits de l’homme et le terrorisme.

Dans un article publié le 21 mai 2017 dans le quotidien Al-Arabi Al-Jadid, Zarif a lancé un appel, pour le compte du gouvernement iranien, le président Trump, apparemment en réponse aux déclarations du Secrétaire d’Etat Tillerson la veille à Riyad. Il a proposé de lancer une initiative de paix régionale reposant sur l’arrêt de l’activité saoudienne au Yémen et de l’influence saoudienne dans la région. S’adressant directement au président Trump, il a déclaré que l’Iran désirait coopérer avec les forces extérieures à la région – allusion aux Etats-Unis – afin de restaurer la stabilité en Syrie.

Rohani a également affirmé, lors d’une conférence de presse tenue après sa victoire électorale, le 22 mai 2017 : ”Nous devons attendre que la pensée et la position de l’administration américaine se renforcent, et ensuite nous serons en mesure de juger plus précisément d’une éventuelle coopération. Concernant le reste des sanctions [non-nucléaires], si le peuple le demande, et si nous parvenons à un consensus national avec tous les appareils du pouvoir [du régime], et si le Guide accepte de prendre ce chemin, nous serons tous derrière lui et nous appliquerons cette décision. Cela demande beaucoup de travail, mais c’est possible… Depuis le début de la révolution, nous n’avons jamais eu de problème avec l’Amérique ; ce sont eux qui ont déclenché l’hostilité envers le peuple iranien”.[8]

Le ministre des Affaires étrangères Zarif a réitéré sa position dans une interview du 30 mai 2017 accordée au site Irdiplomacy.ir, et précisé : “Malgré les difficultés et la mauvaise impression donnée par l’Amérique, il est possible également de lever les sanctions non-nucléaires”.

Au vu de ce qui précède, il ne serait pas étonnant que l’administration Trump, en dépit de ses positions affirmées anti-Iran, maintienne des contacts secrets avec le régime iranien.

Des informations non officielles à ce sujet ont déjà été publiées dans les médias iraniens. Ainsi, le 31 mai 2017, l’ancien membre du Majlis (Parlement) Nabavian a divulgué l’information selon laquelle, au cours de contacts secrets entre l’Iran et les Etats-Unis, ces derniers avaient demandé que l’Iran livre le commandant de la Force Qods Qassem Soleimani et d’autres membres du CGRI, en échange de concessions à l’Iran dans le cadre de l’application internationale des recommandations du GAFI (Groupe d’action financière internationale) contre le financement du terrorisme. Le ministère iranien des Affaires étrangères a démenti ces déclarations et menacé de poursuivre Nabavian.[9]

Si ces informations s’avèrent justes, cela signifie que le président Trump poursuit, et même renforce, la politique iranienne de son prédécesseur Obama, fondée sur la même croyance erronée que l’élection de Rohani aurait rendu possibles les négociations et la conclusion d’accords avec l’Iran – alors même que les négociations n’auront lieu que si elles sont approuvées par le Guide suprême Ali Khamenei. Rohani n’a aucun statut indépendant ; il n’est pas séparé du régime, mais à son service.

*A. Savyon est directrice du MEMRI Iran Project ; Y. Carmon est Président de MEMRI.

Lien vers l’analyse intégrale en anglais, annexe comprise.

Notes :

[1] Le quotidien Kayhan, l’organe du camp idéologique, a publié un article le 25 mai 2017 dans lequel on apprenait que Rohani tentait de revenir sur ses promesses de campagne dans divers domaines. Notons que Rohani a fait des déclarations concernant la protection des droits de l’homme lors d’une conférence de presse marquant sa victoire du 22 mai : « Je suis responsable des droits de tous les citoyens iraniens, sans aucune distinction, même de ceux résidant à l’étranger, et si je vois ou considère que les droits d’un seul Iranien sont piétinés, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Iran, je le soutiendrai autant que possible. Je traiterai les questions liées au pouvoir judiciaire par des lettres adressées directement au système judiciaire [et] des rencontres avec les chefs des trois autorités. L’un de mes objectifs dans le prochain gouvernement est l’application de la Charte des droits de l’homme. » (Président.ir, Iran, 22 mai 2017). Cependant, en réaction aux promesses de campagne de Rohani de libérer les dirigeants du Mouvement vert réformiste, placés en résidence surveillée depuis 2011, le chef du pouvoir judiciaire, Amolei Larijani, a laissé entendre que les déclarations de Rohani ne relevaient pas de sa compétence mais de celle du Conseil suprême de sécurité nationale et du pouvoir judiciaire. Il a ajouté que les déclarations de Rohani ont franchi les lignes rouges du régime et menacent la sécurité nationale. Asr-e Iran, Iran, 29 mai 2017.

[2] Voir MEMRI en français, L’Iran n’annulera pas le JCPOA : il lui confère le statut de puissance nucléaire et une garantie occidentale de la survie du régime, 18 avril 2017.

[3] Voir, par exemple, les déclarations du ministre des Affaires étrangères Zarif dans son éditorial du 26 mai 2017 pour le New York Times.

[4] Ibid. Voir les citations de l’article de Zarif : « … Les Iraniens célébraient le résultat d’une élection difficile. Le vote a révélé la détermination de l’électorat iranien à demeurer sur la voie de la modération et de l’engagement constructif fondé sur le respect mutuel qui donné au monde l’accord nucléaire en 2015 » et sa défense de la politique d’expansion régionale de l’Iran.

[5] En outre, à cette époque, des déclarations similaires étaient répandues dans les médias des cercles idéologiques iraniens, avant, pendant et même après les élections. Par exemple, voir l’éditorial de Kayhan du 30 mai 2017.

[6] Al-Monitor, 4 mai 2017.

[7] State.gov/secretary/remarks/2017/05/271005.htm, 20 mai 2017.

[8] President.ir (Iran) 22 mai 2017.

[9] Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Bahram Qassemi, a déclaré en réaction que le GAFI [Groupe d’action financière] était un accord financier avec le monde, n’était pas lié aux citoyens des pays et n’avait pas non plus été signé avec les États-Unis. De telles déclarations, a-t-il ajouté, méprisent le niveau de compréhension générale, ISNA, Iran, 1er juin 2016. En outre, le quotidien Javan a s’est insurgé contre Rohani et ses efforts pour plaire à l’administration américaine sur la question du GAFI. Javan, Iran, 27 mai 2017.

 

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