A l’approche de Noël et avec l’apparition de sapins et de décorations dans les espaces commerciaux, la célébration de fêtes et d’événements dans les hôtels à travers le pays,[1] le débat a refait rage au Qatar sur des questions évoquées chaque année dans le monde musulman : Faut-il autoriser les manifestations publiques liées à Noël et les musulmans doivent-ils souhaiter de joyeuses fêtes aux chrétiens ?[2]

Notons que le Qatar abrite une importante population chrétienne, constituée principalement de travailleurs et d’hommes d’affaires étrangers, et que le tourisme y explose lors de la saison des fêtes.

Le débat s’est déroulé sur les réseaux sociaux et dans la presse qatarie, notamment dans les colonnes du quotidien Al-Sharq. Certains auteurs s’opposent aux festivités publiques, qui selon eux ne sont pas appropriées car elles incluent des coutumes interdites et considérées comme un péché dans l’islam – comme par exemple les fêtes « licencieuses » du Nouvel An – et parce qu’elles sont représentatives d’une culture occidentale susceptible d’attirer les jeunes gens. D’autres critiquent les propriétaires de commerces et d’hôtels qui encouragent ces célébrations, ainsi que les représentants du gouvernement, notamment le ministère du Waqf, qui les autorisent.

D’autre part, certains auteurs ont appelé à respecter le principe de la coexistence et de la tolérance religieuse et à souhaiter aux chrétiens de joyeuses fêtes, dans un souci d’établir des relations respectueuses et de bon voisinage avec les chrétiens et les membres des autres religions résidant au Qatar.

Plusieurs semaines auparavant, des écoles privées au Qatar ayant fêté Halloween ont été critiquées et la presse qatarie a rapporté que le ministère de l’Education avait interdit de telles célébrations et avait même averti que les écoles qui braveraient cette interdiction seraient pénalisées.[3] Extraits :

Argument des éditorialistes opposés aux célébrations de Noël au Qatar : diffuser une culture étrangère est contraire à l’islam

Selon certains éditorialistes, les Qataris doivent se méfier de l’infiltration et de la promulgation d’une culture étrangère et d’une activité contraire à l’islam au sein de la société qatarie.

Un conseiller du ministre de l’Education qatari : les chrétiens doivent nous respecter et ne pas célébrer publiquement leurs fêtes « licencieuses »

Rashed Al-Awda Al-Fadli, conseiller du ministre de l’Education et éditorialiste à Al-Sharq, écrit que les chrétiens ont le droit de célébrer leurs fêtes dans leurs foyers, mais doivent respecter les lois musulmanes et du Qatar, et ne pas fêter publiquement leurs célébrations. Il a affirmé que ces célébrations incluent des danses et des activités « honteuses et répugnantes », qui sont immorales et « licencieuses », et que les jeunes musulmans pourraient même être tentés de les rejoindre. Extraits :

Nous, citoyens et résidents de notre bon pays du Qatar, cohabitons dans cette généreuse patrie. Nous partageons des droits et des responsabilités et coopérons afin de promouvoir l’intérêt général, au bénéfice de chacun d’entre nous. Lorsque nous [musulmans] célébrons nos fêtes… nous ne demandons pas aux membres des autres religions de célébrer nos fêtes, et nous ne sommes pas en colère s’ils ne nous souhaitent pas de bonnes fêtes à ces occasions et à [d’autres] événements joyeux.

[De même], lorsque nous nous rendons dans leurs pays, ou que nous [y] vivons, nous ne célébrons pas nos fêtes dans des hôtels, centres de tourisme ou commerciaux, ou dans leurs quartiers, et nous ne faisons pas de bruit et ne perturbons leur tranquillité d’aucune manière, par respect et par obligation de respecter la loi et d’observer l’ordre [public] d’usage dans ce pays.

[Dans le même esprit, les chrétiens qui vivent dans nos pays] ne sont pas obligés d’adopter notre religion… mais ils doivent respecter nos croyances et les lois de notre pays, et notre constitution générale, dans toutes les questions liées aux fêtes et  à leurs célébrations – en particulier en s’abstenant de diffuser une atmosphère de Noël et du Nouvel An, et ne pas ériger, dans les hôtels, sites de tourisme et centres commerciaux, des statues, croix et symboles contraires à notre religion et à nos croyances. Ces activités, qui accompagnent ces célébrations, sont contraires aux préceptes de notre religion musulmane, et s’opposent à nos principes moraux et sociaux…

Est-il approprié d’associer Jésus aux appels visant à [autoriser] la mixité, lors de fêtes nocturnes et de danses honteuses et licencieuses, et à boire du vin et manger de la viande non-halal… tout en écoutant de la musique rythmique forte, de minuit jusqu’à l’aube, lors de fêtes et de soirées immorales ? Comment les directions de nos hôtels autorisent-elles la tenue de telles fêtes, qui diffusent une ambiance étrangère à notre société, et qui représentent une tentation pour les jeunes, susceptibles de tomber dans ces antres de débauche ? Nous devons condamner les commerces qui s’empressent de tirer profit de Noël et du Nouvel An, comme saison la plus propice à faire des bénéfices, sans tenir compte des considérations religieuses et morales…

Lorsque de telles célébrations se tiennent dans des foyers et des lieux de réunion privés, c’est leur affaire et nous n’avons pas à juger leurs actions, ni à leur souhaiter de vœux de Noël ou du Nouvel An chrétien. Dans le même temps, nous devons garantir la protection de leurs droits et leur assurer des conditions de vie dignes, dans le cadre d’un respect mutuel et d’une coopération… [4]

Une éditorialiste qatarie : Autoriser les célébrations publiques de Noël est une omission de la part des autorités qataries

Dans la même veine, Aïsha Obeidan, une autre éditorialiste d’Al-Sharq, a critiqué les célébrations de Noël dans l’espace public au Qatar, affirmant qu’elles sont contraires à l’islam et étrangères à la société musulmane. Accusant le ministère du Waqf et les autorités qataries de ne rien faire pour y mettre fin, elle écrit :

Alors que l’ouverture prédomine dans notre société, avec tous ses aspects négatifs et positifs, l’occidentalisation se répand également, dans la pensée, la culture et les comportements, et par conséquent, une activité contraire à notre religion, à nos valeurs  et à notre éthique s’infiltre [dans notre culture, et nous incite à] adopter les traditions religieuses, sociales et idéologiques des autres… L’identité musulmane, avec ses valeurs, a été retirée de l’identité humaine, avec tous les éléments qu’elle comporte. Ainsi, nous voyons se réaliser l’avertissement du Prophète [Mahomet] concernant l’imitation par l’oumma [islamique] des innovations, de la déviation de la tradition et de l’imitation des lubies des nations ayant précédé l’[islam]…

Et aujourd’hui, nous voyons [la réalisation] de l’avertissement de notre Prophète : cette année, la société qatarie a été témoin d’une ambiance totale de fête à l’approche de la fin de l’année civile en cours, 2018… [avec] des étalages de décorations d’un rouge criard annonçant l’approche de Noël. Des images du Père Noël et des sapins de Noël illuminés ont envahi la plupart des centres commerciaux, et se sont infiltrés dans les hôtels, les lieux de travail et les écoles étrangères.

Quiconque a pu voir ces choses, d’une manière aussi totale, a eu le sentiment de vivre dans un pays chrétien. Cela s’ajoute à tout ce qui se déroule dans les lieux privés, en particulier les hôtels : danses, chants et [consommation] d’alcool jusqu’à l’aube… Ce phénomène existait [également] par le passé, mais seulement à l’intérieur des foyers, en secret et avec une portée limitée… [A l’époque], certains l’ont condamné, d’autres l’ont empêché et d’autres encore ont émis une objection à l’apparition de ses prémisses. Mais aujourd’hui, avec l’ouverture sociale [actuelle], ces objections ont disparu, permettant à de nombreux résidents d’une société de diverses religions, cultures et opinions de respecter leurs coutumes, leurs rites et leurs croyances de manière totalement libre et publique, et au vu et au su des responsables et des décisionnaires…

Mais jusqu’où [cela ira-t-il] ?! Où est le ministère du Waqf, et qui pourra mettre fin à ce phénomène annuel qui brille avec plus d’éclat d’une année à l’autre, et qui limitera ses manifestations ? Que font les autorités du ministère de l’Education concernant ces célébrations dans les écoles privées étrangères, avant que cela ne devienne une coutume annuelle que les élèves et les enfants attendront, impatients de recevoir les cadeaux apportés par le Père Noël ?…

Nous ne sommes ni pro-[chrétiens] ni anti-[chrétiens] s’agissant de leur manière de pratiquer leurs rites religieux. Pourtant, nous condamnons la diffusion de leurs célébrations dans l’espace public de notre société musulmane, dans tous ses espaces et ses centres commerciaux, et dans tous les hôtels et ses écoles étrangères, sans [aucune mesure de] nos responsables [dans les positions] concernées dans le pays pour l’endiguer. [5] 

Lire la suite du rapport en anglais 

Notes :

[1] Voir par exemple Doha.anantara.ae.

[2] Voir Enquête et l’analyse n° 964 de MEMRI, In Advance Of Orthodox Easter In Egypt, Muslim Brotherhood And Salafis Issue Fatwas Forbidding Greeting Copts On Their Holidays, 6 mai 2013 ; Dépêche spéciale de MEMRI n° 5577, Saudi Author: Nothing Wrong With Muslims Joining Christmas Celebrations, 26 décembre 2013.

[3] Al-Sharq (Qatar), 1er novembre 2018.

[4] Al-Sharq (Qatar), 25 décembre 2018.

[5] Al-Sharq (Qatar), 30 décembre 2018.

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