Avant-Propos

Dans le contexte de la crise mondiale du coronavirus, de la montée du complotisme, des populismes et des extrémismes dans le monde et en France notamment, MEMRI publie une étude en 10 parties sur l’antisémitisme en France. Cette étude de fond, réalisée ces derniers mois, présente l’évolution de l’antisémitisme en France en s’appuyant sur des exemples, des sondages d’opinion, des statistiques. Ci-dessous la 5ème partie.

* Les Français musulmans et les musulmans en France

Tous les auteurs des meurtres et assassinats dont la liste a été fournie au début de cette étude étaient des musulmans nourris d’un discours antisémite.

L’antisémitisme islamique qui s’exprime en France s’abreuve à plusieurs sources exclusives ou complémentaires :

  • pour les plus lettrés, le message du Coran et des hadiths sur les Juifs destinés à être dominés matériellement puis exterminés à la fin des temps ;
  • la fascination pour le djihad et l’héroïsation des combattants musulmans ;
  • le mépris traditionnel du Juif dans la culture populaire islamique nord-africaine introduit en France par l’immigration d’origine maghrébine et dont l’héritage est assumé ;
  • l’antisémitisme d’Etat importé avec l’immigration (en particulier d’Algérie) ;
  • l’adoption des poncifs de l’antisémitisme français (phénomène que l’on retrouve dans tous les pays et à l’inverse dans les pays islamiques qui importent ces poncifs étrangers) ;
  • la création d’un parallèle entre Français musulmans et Palestiniens d’une part et Français juifs et Israéliens de l’autre, corrélé à l’adoption d’un discours prônant la destruction de l’Etat d’Israël et à la reformulation « théologisée » du discours pro-palestinien.

·      Des sources variées

« Après l’orchestration d’un antisémitisme mondial par la propagande soviétique du début des années 1950 jusqu’au début des années 1980, nous sommes entrés dans une phase où le principal foyer de la haine antijuive est le monde musulman, et plus précisément les mouvances islamistes de l’islam mondial [i]. »

Un antisionisme exacerbé est d’ailleurs entretenu en France par des financements étrangers, comme le prouve l’activisme du centre Zahra, relais de la politique iranienne et dont la fonction officielle est de promouvoir l’islam chiite sous la direction de Yahia Gouasmi. Le centre est fermé pour six mois en octobre 2018 à l’issue d’une perquisition, fermeture reconduite le 20  juin 2019 par le tribunal administratif de Lille pour son activité qui relève « de la propagande ayant pour objet de glorifier la lutte armée et de provoquer la haine et la violence en relayant des messages antisémites, entraînant ainsi le risque de commission d’actes terroristes » [ii]. Quelques années plus tôt, son directeur fonde le Parti antisioniste qui promeut les candidatures de Dieudonné et Alain Soral. On y aura vu également Mohamed Latrèche, le président du Parti des musulmans de France, mis en examen pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale » ou Kemi Séba, converti à l’islam. Il dirige aujourd’hui le Mouvement des damnés de l’impérialisme qui soutient le Hezbollah en France [iii]

Dès la fin du 20e siècle, la possibilité de capter en France les télévisions et radios arabes et iraniennes accentue également la diffusion de l’antisémitisme. Si Al-Manar, la télévision du Hezbollah, est interdite de diffusion à la fin de 2004, des documentaires et séries antisémites restent accessibles sur Al-Alam, Sahar1, Al-Mamnou, Kheibar TV, Iqra TV, Qatar TV, Al-Rahma, Al-Nas, Al-Alam, Al-Aqsa, Hispan TV, Press TV… Le climat de haine antisémite est longtemps alimenté par les émissions hebdomadaires de Tafik Mathlouthi sur Radio Méditerranée. Alerté par le CRIF, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) visionne Al-Nas pendant trois jours pour conclure qu’« aucun manquement à la législation française applicable n’a été relevé ». Dans les trois jours suivants Al-Nas promeut les Protocoles des sages de Sion et l’accusation de crime rituel…

·      Un antisémitisme spécifique

L’antisémitisme islamique se concentre dans une France périphérique économiquement et socialement défavorisée où la proportion de musulmans, illettrés ou en échec scolaire, sous-diplômés et victimes à la fois du chômage et de discriminations face à l’embauche, est majoritaire. Le Juif y est perçu de manière fantasmatique comme la figure emblématique de l’intégration et de la réussite, sans renoncer à son identité communautaire, là où le musulman échoue. La montée de l’antisémitisme dans ces quartiers est parallèle à la réduction des possibilités de promotion sociale et d’intégration économique de leurs habitants, à la dégradation de leurs relations avec les institutions étatiques, surtout la police, et le repli communautaire qui caractérise la France depuis plusieurs décennies.

Enfermés dans des structures de pensée communautariste, ces musulmans projettent sur les Juifs l’image d’un repli sur soi total. Dans leur esprit, et à l’inverse du modèle républicain, la France est une mosaïque de « communautés plus ou moins juxtaposées et antagonistes » en concurrence pour obtenir des avantages sociopolitiques procurés par l’Etat sans partage d’une identité française collective. Dans cette compétition, ces musulmans se sentent collectivement perdants et lésés, la France étant dirigée par les Juifs ou manipulée grâce à leur argent.

Les musulmans estiment très majoritairement que la France investit plus dans la lutte contre l’antisémitisme que dans la lutte contre l’« islamophobie » dont ils font l’objet et qui est bien plus grave que l’antisémitisme – dont ils ne nient pas l’existence.

Alors qu’un quart des Français juge injustifiée l’interdiction du spectacle de Dieudonné en 2014, cette opinion est partagée par plus de la moitié des musulmans [iv].

L’hostilité à l’encontre des Juifs est cependant plus intense chez les musulmans d’origine nord-africaine que chez les musulmans d’origine turque ou subsaharienne [v].

Même lorsqu’ils ne tiennent aucun propos haineux, de nombreux musulmans font leurs tous les stéréotypes véhiculés par l’antisémitisme – d’où le succès des Protocoles des sages de Sion. Une enquête de 2014 note l’absence d’évocation de caractéristiques propre aux Juifs dans le discours du petit groupe de musulmans sondé. C’est pourtant un discours véhiculant les poncifs nazis (nez crochus, grandes oreilles, etc.) qui est largement adopté par les plus jeunes d’entre eux [vi]. Ces stéréotypes ne relèvent pas pour eux de l’antisémitisme mais de l’évidence factuelle.

« L’idée que les juifs puissent être un peuple au-delà de la croyance et de la pratique religieuse est quasiment absente des discours. C’est ainsi que certains envisagent même le sionisme comme un radicalisme religieux, allant jusqu’à comparer l’islamisme au sionisme [vii] ».

En 2014, une enquête fait apparaître que 17 % des musulmans seulement ne nourrit aucun préjugé contre les Juifs. Si 19 % des Français pense que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique », c’est le cas pour 51 % des musulmans en France, avec une croissance de ce pourcentage proportionnelle à la pratique religieuse (de 37 % chez les personnes qui déclarent une « origine musulmane », à 63 % chez les « musulmans croyants et pratiquants »). Cette disproportion et cette proportionnalité se retrouvent à l’occasion de tous les thèmes classiques de l’antisémitisme [viii].

D’après l’enquête commandée par l’ADL, si le score global des Français sondés adhérant à la majorité des propositions antisémites est de 19 %, concernant les enquêtés ayant déclaré appartenir à une confession chrétienne, il atteint cependant 45 % chez les musulmans et seulement 11 % pour les personnes sans appartenance religieuse. En 2019, la majorité des musulmans français considère comme vraie la plupart des affirmations antisémites, bien au-delà de la moyenne générale de la population [ix].

Selon le critère retenu par l’ADL, l’adoption par les musulmans des stéréotypes antisémites est supérieure au reste des populations nationales dans tous les pays non islamiques et presque trois fois plus élevée en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni [x].

Index d’antisémitisme Ensemble de la population (%) Population musulmane (%)
Belgique 21 68
Espagne 29 62
Italie 29 56
Allemagne 16 56
Royaume-Uni 12 54
France 17 49

Il en est de même de la perception du sionisme [xi].

Au sein de la population musulmane, « l’antisionisme est très virulent et joue même le rôle d’une véritable vision du monde : tout s’explique par le complot sioniste ou juif, la domination juive dans les médias, l’économie ou la politique, etc. [xii] ».

Dans les discours traditionnels, fondamentalistes (se limitant aux textes traditionnels), modernistes-islamistes (partisans d’une renaissance de l’umma sur le fondement d’une nouvelle interprétation de la charia, rares en France) et néo-fondamentalistes ou salafistes (promoteurs d’une reconstruction de la société parfaite par le bas, en évitant la question de l’islamisation des institutions), les Juifs apparaissent systématiquement comme des lâches, des traîtres à l’égard de Dieu et des hommes, et des ennemis de l’islam par essence. Ce message est omniprésent sur les réseaux sociaux islamiques en France (comme il l’est sur tous les réseaux sociaux islamiques à travers le monde). Il en résulte que « la prise de position contre Israël ou encore l’hostilité déclarée aux juifs constituent, entre autres, des marqueurs d’une identité musulmane en devenir [xiii] ». Elles soudent également une « communauté islamique » qui n’existe que par un ennemi et un bouc émissaire communs, tant sont profonds les clivages socioculturels par ailleurs.

La résurgence de l’antisémitisme en France  – à partir de l’année 2000 – qui n’a cessé de croître, a été le fait de musulmans s’identifiant aux Palestiniens lors de la seconde intifada. Sa répression par l’armée israélienne (et surtout la couverture qui a été faite de cette répression) a poussé une jeunesse musulmane habituée à considérer le Juif comme responsable de tous les maux à venger les Palestiniens en France en s’attaquant aux Juifs locaux. Il faut pourtant rappeler que le basculement de l’antisémitisme diffus vers le passage à l’acte massif date d’octobre 2000 à février 2001, période pendant laquelle le Premier ministre israélien Barak était engagé dans une négociation avec les Palestiniens à Taba. Le parallèle n’est donc pas absolu.

La fusion antisémitisme/antisionisme dans son expression d’appel au meurtre des Juifs est donc vieille de plusieurs décennies en France. Cet appel a été entendu à de nombreuses reprises au cours des deux premières décennies du 21e siècle, y compris lors d’événements organisés par des étudiants défendant la cause palestinienne dans des locaux universitaires. Depuis lors, toutes les grandes manifestations pro-palestiniennes en écho aux événements du Moyen-Orient ont débordé de slogans antisémites, de plus en plus fréquents à partir de 2009.

En particulier, le 13 juillet 2014, à la suite des frappes israéliennes contre les tireurs de roquettes de Gaza, des centaines de personnes se rassemblent à Barbès malgré l’interdiction de la préfecture de police. Rapidement, le nombre de manifestants atteint les 3 000, d’après les estimations de la police. Arborant les couleurs du Hamas ou le drapeau palestinien, des banderoles du Nouveau Parti anticapitaliste (extrême gauche, comme son nom l’indique) proclamant « il est fini le temps des colonies », un portrait du cheikh Yassine, chef spirituel du Hamas, elles passent à l’attaque de la synagogue de la rue de la Roquette avant d’être repoussées par les forces de l’ordre, après des heurts d’une extrême violence [xiv].

A Sarcelles, banlieue multiculturelle du nord de Paris qui compte une forte population juive, les agressions antisémites en forte croissance depuis plusieurs années ont pris la forme de violences collectives. Une manifestation pro-palestinienne interdite par la préfecture a dégénéré en affrontements particulièrement brutaux. Pour le Premier ministre Manuel Valls, « Ce qui s’est passé à Sarcelles est intolérable, s’attaquer à une synagogue à une épicerie kasher, c’est tout simplement de l’antisémitisme, du racisme. Rien en France ne peut justifier la violence, rien ne peut justifier qu’on s’en prenne à des synagogues, à des épiceries, des magasins, des institutions juives » [xv].

Pour les Juifs de France, « l’instrumentalisation systématique du conflit au Moyen-Orient par des groupes organisés et des soutiens aux mouvements terroristes djihadistes », selon l’expression du CRIF, est une source d’inquiétude permanente. L’identité des principaux responsables des actions antisémites en France n’est un secret pour personne depuis le début des années 2000. Si l’on pouvait dire à cette époque que les personnes qui nourrissent des préjugés antisémites étaient plutôt des personnes âgées de droite ou d’extrême droite, peu ou pas diplômées et dans l’ensemble xénophobes tandis que les responsables des passages à l’acte étaient de « jeunes musulmans ayant un passé de petit délinquant [xvi] », cette seconde catégorie s’est largement élargie en 2020 et englobe une partie importante de la jeunesse musulmane, nourrie de propagande antisioniste.

Pour reprendre l’expression de l’historien Georges Bensoussan « le vrai tabou n’est pas l’antisémitisme, mais qui sont les antisémites [xvii] ».

 

[i] Pierre-André Taguieff cité dans https://www.revuedesdeuxmondes.fr/pierre-andre-taguieff-nouvelle-judeophobie-juifs-assimiles-non-a-racistes-a-nazis/

[ii] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/20/le-tribunal-administratif-confirme-la-fermeture-du-centre-chiite-zahra-de-grande-synthe_5479345_3224.html#Echobox=1561063256

[iii] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-amis-tres-particuliers-du-centre-zahra_743285.html

[iv] http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2014/11/CONF2press-Antisemitisme-DOC-6-web11h51.pdf

[v] http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2017/05/VERBATIMS_2017-05-10-web.pdf

[vi] Emmanuel Brenner, op. cit.

[vii] http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2017/05/VERBATIMS_2017-05-10-web.pdf

[viii] http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2014/11/CONF2press-Antisemitisme-DOC-6-web11h51.pdf

[ix] https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/presentation_globale_enquete_fjf.pdf

[x] https://www.adl.org/news/press-releases/adl-global-survey-of-18-countries-finds-hardcore-anti-semitic-attitudes-remain

[xi] http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2014/11/CONF2press-Antisemitisme-DOC-6-web11h51.pdf

[xii] https://www.revuedesdeuxmondes.fr/pierre-andre-taguieff-nouvelle-judeophobie-juifs-assimiles-non-a-racistes-a-nazis/

[xiii] https://www.la-croix.com/France/racines-lantisemitisme-convergence-haines-2020-01-10-1201070843

[xiv] http://revuecivique.eu/articles-et-entretiens/violences-antisemites-de-lete-2014-retrospective-par-marc-knobel, et https://www.europe1.fr/societe/Desolation-urbaine-a-Paris-apres-la-manifestation-pro-palestinienne-668972

[xv]. https://www.europe1.fr/societe/Apres-Paris-une-manifestation-pro-palestinienne-degenere-a-Sarcelles-784082

[xvi] https://www.20minutes.fr/societe/1855231-20160601-partout-realite-antisemitisme-france-aujourdhui

[xvii] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/georges-bensoussan-le-vrai-tabou-n-est-pas-l-antisemitisme-mais-qui-sont-les-antisemites-20200103

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