Par : Michael Davis, Zeev B. Begin et Yigal Carmon *

La notion simpliste selon laquelle les terroristes, qu’ils soient des djihadistes musulmans ou des suprémacistes blancs, ne seraient que des « lâches » et des « malades mentaux » prévaut toujours, même au sein des preneurs de décisions dans les sphères les plus élevées. Réagissant à la fusillade à El Paso le 4 août 2019, le président des Etats-Unis Donald Trump a ainsi tweeté : « La fusillade d’aujourd’hui à El Paso, au Texas, était non seulement tragique, mais aussi un acte de lâcheté. » Le 5 août, dans sa déclaration à la Maison Blanche après une nouvelle fusillade à Dayton, dans l’Ohio, Trump a évoqué le suprémacisme blanc comme une idéologie dangereuse, tout en qualifiant les auteurs de « personnes souffrant de très graves troubles mentaux ». Le même jour, Mick Mulvaney, chef d’état-major intérimaire de la Maison Blanche, a expliqué dans l’émission This Week sur la chaîne ABC : « Ce sont des gens malades. On ne peut être un suprémaciste blanc et être sain d’esprit. Ce sont des gens malades. Vous le savez, je le sais, le président le sait. »

Ces observations font écho à des attitudes similaires concernant le terrorisme djihadiste en Europe. En mai 2017, suite à l’attentat de la Manchester Arena, la Première ministre britannique, Theresa May, avait dénoncé cet acte « insensible et lâche » [1]. En août 2017, le ministre français de l’Intérieur, Gérard Collomb, avait déclaré : « Nous sommes en train de travailler avec ma collègue ministre de la Santé pour essayer de repérer l’ensemble de ces profils qui demain peuvent passer à l’acte (…) le gouvernement réfléchit à la manière de « mobiliser l’ensemble des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres libéraux de manière à essayer de parer à cette menace terroriste individuelle… » [2]

Les évolutions sociopolitiques des dernières décennies ont donné naissance à une nouvelle argumentation, qui fait désormais partie du discours de haine, selon laquelle la culture et les traditions européennes seraient mises en danger par les immigrés qui vont les remplacer. Cette argumentation, qui élargit encore la portée de la haine contre les Afro-Américains, les Juifs et la communauté LGBTQ, attire des foules. Les participants au nouveau discours éprouvent un sentiment d’appartenance à un groupe de loyalistes, partagent l’admiration de leurs héros et utilisent un jargon récemment élaboré, comprenant des slogans accrocheurs, des acronymes codés avec intelligence ainsi que des symboles visuels. Les médias sociaux sont mis à profit pour diffuser rapidement ces messages à un public enthousiaste, fort de milliers de gens. Ainsi, une étude récente montre que le nombre de tweets mentionnant la théorie du complot du « grand remplacement », introduite par Renaud Camus en France en 2011, est passé de 120 000 en 2014 à 330 000 en 2018 (principalement en Europe). [3]

Ainsi, ces dernières années, il semble que les prophètes de cette nouvelle théorie suprémaciste blanche aient passablement réussi à diffuser leur doctrine. Ils ont convaincu des masses que ce qu’ils appellent « la race blanche » serait confrontée au danger concret et immédiat de la perte de son statut spécial, voire de l’extinction de son identité et de sa culture, par un « génocide blanc » résultant d’une immigration de masse, soit en Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient, soit aux États-Unis depuis l’Amérique latine. Les ennemis déclarés ne sont pas seulement ces immigrants eux-mêmes, mais également ceux qui permettent l’immigration grâce à leur prétendue influence mondiale, à savoir les Juifs. Ces représentations apocalyptiques encouragent une action urgente et concrète en vue de surmonter le danger. Les arguments et le symbolisme développés par les groupes de suprémacistes blancs sont efficaces pour recruter de nouveaux partisans, en leur donnant un sens de la mission et de l’urgence et en poussant certains d’entre eux à agir, notamment en perpétrant des actes terroristes contre leurs supposés ennemis. Selon leurs déclarations, ils espèrent atteindre l’objectif direct de réduire le nombre de ces ennemis – notamment en déclenchant une guerre civile aux États-Unis – et l’objectif indirect de montrer la voie à d’autres qui les suivraient. Comme indiqué ci-dessous, ils ont assez bien réussi à attirer des adeptes. Ainsi, si l’histoire de la suprématie blanche est relativement courte, l’effet de son endoctrinement est comparable à la prédication séculaire menant au terrorisme djihadiste. Cette nouvelle cadence est évidemment facilitée par les réseaux sociaux.

Après la fusillade à El Paso, un nouveau niveau d’alerte sur le danger de la violence des suprémacistes blancs a été atteint aux États-Unis (par exemple, « Nous avons travaillé pour vaincre l’Etat islamique. Le terrorisme nationaliste blanc est une menace égale » [4]). S’il existe en effet des similitudes fondamentales entre les terroristes djihadistes musulmans et les terroristes suprémacistes blancs (voir MEMRI Inquiry & Analysis Series No. 1457, Online Non-Jihadi Terrorism: Identifying Potential Threats, 30 mai 2019), concernant la lutte vitale contre leur incitation à la haine aux États-Unis, il y a toutefois une différence importante : à moins qu’ils ne soient des djihadistes, les autorités américaines n’agiront pas contre les extrémistes nationaux qui propagent une incitation à la haine. Ainsi, dans son témoignage devant la Commission judiciaire du Sénat le 23 juillet 2019, Christopher Wray, directeur du FBI, a clairement déclaré : « Nous, le FBI, n’enquêtons pas sur l’idéologie, même si elle est répugnante. Nous enquêtons sur la violence, et nous sommes mobilisés contre toute idéologie extrémiste, lorsqu’elle tourne à la violence. » [5] Cependant, pour ses victimes, lorsque l’idéologie tourne à la violence, il est trop tard.

Dans la lutte contre le terrorisme des deux origines, il faut d’abord comprendre que les actes découlent de paroles, qui reflètent elles-mêmes une idéologie. Cela étant, la lutte doit commencer par affronter l’incitation suprémaciste blanche à travers les médias sociaux. Ainsi, la capacité des autorités à agir efficacement dépend de la criminalisation de telles incitations, qui favorisent et encouragent le terrorisme. Aux États-Unis, il s’agit là d’un défi de taille, car la liberté de parole est promue par les Américains de tous les horizons politiques, en tant que pilier essentiel de la démocratie américaine. Cependant, les 11 attentats relevant de l’idéologie suprémaciste blanche au cours de cette décennie prouvent que les circonstances ont radicalement changé. Certains terroristes ont opéré après une sélection minutieuse du lieu et du moment de leurs attaques : une église épiscopale méthodiste africaine, des synagogues et des mosquées – en particulier aux heures de prière – ou contre des Latinos dans une ville où ils résident en nombre. Par conséquent, inciter à la haine contre « les Afro-Américains », « les Juifs » ou « les immigrants latinos » ne peut plus être considéré comme une menace vague et générale. Comme le montre ce rapport, ces attentats sont directement influencés par l’incitation à la haine de la part des suprémacistes blancs et par les attaques précédentes, même à l’autre bout des océans. La réalité évolutive appelle à jeter un nouveau regard sur les outils juridiques nécessaires pour lutter contre ce danger.

L’objectif de ce rapport est de décrire brièvement les principales sources d’inspiration des terroristes suprémacistes blancs qui agissent depuis 2011 et de montrer que leur argumentation, leur jargon et leurs symboles sont à la fois contagieux et dangereux.

Lire la suite du rapport en anglais

*Michael Davis dirige le projet White Supremacist Online Incitement à MEMRI ; Zeev B. Begin est chargé de recherche à MEMRI ; Yigal Carmon est le président-fondateur de MEMRI.

Notes :

[1] Bbc.com/news/uk-40023457, 23 mai 2017.

[2] https://www.20minutes.fr/societe/2118715-20170818-terrorisme-gerard-collomb-veut-mobiliser-hopitaux-psychiatriques-reperer-individus-radicalises, 18 août 2017.

[3] « ‘The Great Replacement’: The Violent Consequences of Mainstreamed Extremism « , J. Davey et J. Ebner, rapport de l’Institute for Strategic Dialogue, 2019 ; isdglobal.org/wp-content/uploads_fre/2019/07/The-Great-Replacement-The-Violent-Consequences-of-Mainstreamed-Extremism-by-ISD.pdf.

[4] « Nous avons travaillé pour vaincre l’Etat islamique. Le terrorisme nationaliste blanc est une menace égale », J. R. Allen et B. McGurk, The Washington Post, 6 août 2019 ; Washingtonpost.com/opinions/we-worked-to-defeat-the-islamic-state-white-nationalist-terrorism-is-an-equal-threat/2019/08/06/e50c90e8-b87d-11e9-bad6-609f75bfd97fd_story.html

[5] Washingtonpost.com/national-security/fbi-faces-skepticism over-its-anti-domestic-terror-efforts/2019/08/04/c9c928bc-b6e0-11e9-b3b4-2bb69e8c4e39_story.html, 5 août 2019.

 

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