Le 11 février 2019, un article intitulé “Le long Etat de Poutine”, de la plume du conseiller présidentiel russe Vladislav Surkov, que certains surnomment “l’idéologue du Kremlin”, a paru dans la Nezavisimaya Gazeta. Dans cet article, Surkov affirme que le “poutinisme” survivra à la fin du mandat du président russe Vladimir Poutine.

Suite à la publication de l’article, le philosophe russe anti-libéral Aleksandr Dugin a émis de vives critiques à l’encontre de Surkov. Dugin écrit que le poutinisme ne durera pas éternellement, et ajoute que le désir de préserver le régime de Poutine après Poutine découle de l’instinct d’auto-préservation des élites actuelles.

Selon Dugin, Poutine est juste un compromis entre les élites et le peuple, entre le patriotisme et le libéralisme économique, entre la souveraineté et la globalisation. Il ajoute que le régime russe des années 1990, duquel Poutine lui-même a émergé, a rejoint le choix de compromis de celui-ci. Toutefois, une fois que Poutine sera parti, explique-t-il, il n’y aura plus de compromis entre les demandes des élites et celles du peuple. En l’absence de Poutine, affirme Dugin, les élites tenteront de revenir aux années 1990, au “yeltsinisme”. Mais le peuple considèrera que le pouvoir des élites est illégitime, et réclamera le patriotisme et la justice sociale. Aussi, le “poutinisme sans Poutine” ne pourra survivre à Poutine, selon lui.

Plus tôt, en novembre 2018, l’expert russe Aleksandr Khaldey avait écrit un article qui abordait le débat sur la définition du poutinisme et le rôle des élites. Khaldey semblait accepter l’opinion de Dugin selon laquelle Poutine représentait un compromis entre les élites et le peuple, et il analysait les raisons pour lesquelles Poutine maintenait les élites libérales existantes. Selon lui, “la société comprend déjà que les élites ne sont pas seulement des groupes économiques et des groupes d’intérêts. Les élites sont un système, sur lequel repose le chef de l’Etat. Il est impossible de détruire ce pilier dans en créer un autre. Il n’existe pas d’autre système”. En conséquence, selon Khaldey, Poutine a besoin de l’élite en place, parce qu’il n’y en a pas de nouvelle sur laquelle il peut se reposer : “A présent, en Russie, il n’existe pas de contre-élite anti-libérale arrivée à maturité. Après tout, nous ne pouvons considérer l’opposition à la Douma comme une contre élite. Et c’est la raison pour laquelle Poutine ne dispose pas des ressources nécessaires pour attaquer le système. Les élites ont ces ressources, mais Poutine ne les a pas, et il n’existe pas encore de contre-élite”.

Comme Dugin, Khaldey souligne le fait que Poutine est un produit du régime russe des années 1990, et qu’il a reçu un mandat des élites pour préserver le système. “Depuis lors, une des tâches du président a été d’assurer la stabilité des élites. Cela explique la politique personnelle du président”, affirme Khaldey. Il ajoute qu’en dépit des sanctions occidentales, l’idéologie des élites demeure le libéralisme. “Cela n’est pas du tout dû au fait qu’ils seraient méchants par nature. C’est simplement parce qu’ils aspirent à être avec l’Occident, car cela est rentable”, écrit-il.

Selon Khaldey, toute tentative visant à changer la composition des élites et les conditions de leur fonction finira par un “coup d’Etat”. Il ajoute : “A la place de la perestroïka, on aura une lutte armée, qui en Russie prend toujours la forme d’une guerre civile entraînant la chute de l’ancienne forme d’Etat”. Selon lui, ce changement approche et se produira en 2024, lors de la fin du mandat de Poutine.

Khaldey affirme que “c’est précisément à ce moment que ceux dont l’enfance soviétique s’est déroulée dans le rêve du capitalisme, comme système de magasins bien achalandés et de prospérité générale des consommateurs, quitteront la scène, en raison de leur âge. Ceux qui n’ont pas d’illusion sur le socialisme ni sur le capitalisme commenceront à pénétrer les élites. Ceux qui, durant l’ère capitaliste, ont connu la tentation de la petite bourgeoisie, se sont élevés pour ensuite faire faillite, ont été appauvris, ont tout perdu et haïssent le système avec une intuition de classe déjà ancienne”. La nouvelle élite, observe-t-il, viendra de classes sociales différentes, et les enfants des oligarques actuels qui ont revendiqué le pouvoir et la propriété par héritage seront obligés de l’affronter.

Khaldey affirme que Poutine ne peut pas renverser l’élite actuelle, parce que la nouvelle élite doit encore se développer: “Les vestiges du capitalisme s’éloignent ; il est affaibli mais encore trop fort pour disparaître. Et le nouveau système est encore en voie de formation, et ne peut faire partie de l’ancien système. La nouvelle substance de la société, qui doit encore être comprise et nommée, commence à apparaître”. Il conclut en avertissant qu’il est important de faire preuve de patience et de permettre à la nouvelle élite anti-libérale de mûrir. “Les autres méthodes conduiront à un reflux vers le passé, et vers des étapes historiques qui n’ont pas été achevées en leur temps”. [1]

Lire la traduction de l’article en anglais

[1] Iarex.ru,18 novembre 2018. L’article a été traduit en anglais par Ollie Richardson and Angelina Siard et mis en ligne sur le site anti-liberal Stalkerzone.org.

 

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