Maxim Yusin, éditorialiste du quotidien russe Kommersant, a expliqué que la crise nord-coréenne tombait à point nommé pour Moscou. Selon Yusin, l’establishment américain devra désormais affronter la vérité : « Qui pose une menace plus grave pour la sécurité américaine, les hackers russes et l’ingérence de Moscou dans les élections qui remontent déjà à longtemps, ou un régime imprévisible armé de têtes nucléaires et de missiles intercontinentaux ? » Pour profiter de la situation, la Russie devra résister à la tentation de jouer les perturbateurs et de réfréner les irréductibles stalinistes qui nourrissent de l’affection pour Pyongyang. Extraits :[1]

Maxim Yusin (Source : Kommersant.ru)

L’essai nucléaire de Pyongyang peut devenir un moment de vérité pour l’establishment américain

L’essai de la bombe à hydrogène, annoncé par la Corée du Nord, amène le monde au bord d’une grave crise. Les Etats-Unis, en premier lieu, et leurs alliés se retrouvent dans une situation très périlleuse.

D’un côté, ils doivent réagir d’une manière ou d’une autre : le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un provoque délibérément Washington en ignorant ses ultimatums et ses menaces. Si Pyongyang s’en sort impunément, le prestige des Etats-Unis en général, et de l’administration actuelle en particulier, prendra un sérieux coup. Dans ce cas, le président Trump, qui a menacé de déverser « le feu et la colère » sur la Corée du Nord, sera considéré aux yeux du monde comme un politicien irresponsable qui manque de crédibilité et paraît comme un « dur » uniquement sur Twitter.

D’un autre côté, punir la Corée du Nord pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la région, en déclenchant la guerre la plus sanglante depuis des décennies. La question de savoir si le monde trouvera un moyen de sortir de l’impasse coréenne dépendra dans une large mesure de la capacité des grandes puissances, membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies, y compris la Russie, d’agir de manière cohérente et concertée.

Aussi cynique que cela puisse paraître, l’éruption de la « crise de l’hydrogène » coréenne s’est avérée tomber à point nommé pour Moscou. Pour une partie de l’establishment américain, qui était entraînée dans une confrontation politique et diplomatique sans précédent avec la Russie, l’essai de la bombe à hydrogène de Pongyang peut servir de douche froide, de moment de vérité et de sobriété retrouvée. Des moments comme celui-ci permettent de comprendre clairement quelles menaces sont réelles et lesquelles sont imaginaires et virtuelles, gonflées de manière artificielle et alimentées par les émotions. Qui pose la menace la plus grave pour la sécurité américaine, les hackers russes et l’ingérence de Moscou dans une élection déjà lointaine, ou un régime imprévisible doté de têtes nucléaires et de missiles intercontinentaux ?

Même au Congrès américain, qui avait voté des sanctions anti-russes à la quasi-unanimité, la réponse à cette question ne sera évidente que pour le sénateur McCain. Les autres députés lui accorderont à tout le moins un temps de réflexion. Quant aux alliés des Etats-Unis (tant en Asie qu’en Europe), leurs priorités apparaissent encore plus clairement.

Moscou est un partenaire potentiel pour le Japon et la Corée du Sud

Pour Tokyo et Séoul, Moscou est un partenaire potentiel dans la résolution de la crise nord-coréenne, et non un adversaire géographique. Et les pays européens, dont beaucoup se sont distancés de la politique intransigeante de Washington envers la Russie, percevront la conduite du Kremlin envers la Corée du Nord comme un test important. Le test consistera à savoir si la Russie, confrontée à une crise globale, est préparée à se ranger aux côtés des autres grandes puissances et à adopter une approche responsable, ou si elle cédera à la tentation de jouer le rôle d’un perturbateur diplomatique, sous la devise « plus la situation s’aggrave pour l’Occident (ou pour les Etats-Unis), mieux cela vaut pour nous ».

Certaines déclarations de députés et sénateurs russes concernant la Corée du Nord soulèvent des préoccupations sérieuses concernant le caractère approprié de l’approche de Moscou. Une affinité incompréhensible et contre nature pour le dernier régime staliniste de la planète continue de se manifester. Mais heureusement, la politique étrangère russe n’est pas déterminée par les députés nostalgiques de l’Union soviétique.

La réaction initiale du ministère des Affaires étrangères à l’essai nucléaire nord-coréen a été extrêmement dure, inhabituelle dans les relations entre Moscou et Pyongyang. Toutefois, la situation actuelle n’est pas conventionnelle, et même extrême. Globalement, la Russie ne risque pas beaucoup et n’a pas grand-chose à perdre. La Corée du Nord n’est pas son client, mais celui de la Chine. Et c’est Beijing qui devra faire un choix pénible et mettre au point son approche devant le satellite rebelle. C’est donc la Chine qui sera soumise aux pressions de la Corée du Sud, du Japon et, bien entendu, de l’administration de Donald Trump.

Moscou pourrait éventuellement tirer avantage de cette situation pour tenter de jouer le rôle d’intermédiaire, de médiateur, et renforcer ainsi sa position dans la région et dans le monde. Mais il y a une condition préalable : il doit travailler de concert avec la communauté internationale, et non contre celle-ci.

Note :
[1] Kommersant.ru, 3 septembre 2017.

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