Au cours des dernières semaines, plusieurs tentatives pour pénétrer en territoire israélien depuis la bande de Gaza ont été menées par des Palestiniens armés, entraînant leur neutralisation par les forces de sécurité israéliennes. Bien que ni le Hamas, ni aucune autre faction de Gaza n’ait revendiqué ces tentatives, les factions de Gaza s’en sont félicitées, les qualifiant d’“actions héroïques” de “jeunes gens en colère” agissant de leur propre chef. [1] Selon des informations en provenance de Gaza, la “force de retenue” du Hamas est présente à la frontière pour empêcher de telles actions, [2] mais dans le même temps, le Hamas s’en sert comme moyen de pression contre Israël, dans le cadre des négociations indirectes en vue d’un accord à long-terme à Gaza. Le quotidien libanais Al-Akhbar rapporte que le Hamas avait informé indirectement Israël qu’il n’était pas responsable de ces agissements, tout en prévenant que la poursuite de la crise économique à Gaza pourrait conduire à de nouvelles tentatives de ce genre, et qu’il ne serait pas en mesure de les empêcher. [3]

Après la tentative, le 17 août, d’une cellule terroriste armée pour franchir la frontière avec Israël, le forum affilié au Hamas paldf.net a diffusé un décret religieux (fatwa) de la “Commission de la charia dans la bande de Gaza” interdisant les “opérations de djihad” menées par des individus isolés, si elles n’étaient pas coordonnées avec les factions armées de Gaza et/ou autorisées par leurs commandants. Il convient d’observer que le Hamas n’a diffusé cette fatwa sur aucune de ses plateformes officielles, mais qu’il ne s’en est pas non plus distancié. Cela lui a permis de maintenir une position ambigüe face aux accusations israéliennes et également à celles de partisans du djihad lui reprochant d’avoir restreint la liberté des auteurs d’attentats.

Il existe trois explications possibles à cette fatwa. La première est qu’elle sert un besoin réel, suite à la détérioration de la discipline dans les rangs du Hamas. Le Hamas s’efforce de créer des structures, dont une armée régulière dénommée l’armée Al-Quds, et cela requiert une plus grande discipline et l’interdiction d’opérations indépendantes menées par des individus. Le Hamas ne pouvant se permettre, pour des raisons idéologiques, de condamner ouvertement les opérations de djihad, il a recouru à un décret religieux, qui provient clairement du Hamas sans toutefois porter de signature officielle.

Une seconde explication peut être le besoin du Hamas de juguler la puissance montante des autres groupes djihadistes et/ou salafistes à Gaza, suite aux tensions qui se sont récemment transformées en affrontements ouverts avec le Hamas. [4] Le Hamas craint que ces groupes n’attirent des jeunes membres de ses rangs.

Une troisième possibilité est que le Hamas veuille donner l’impression de s’opposer aux opérations terroristes en dehors de la bande de Gaza, au moins au stade actuel, afin d’éviter de mettre en danger les contacts en vue d’un arrangement avec Israël et de l’apport de fonds en provenance du Qatar. Il convient de rappeler que, depuis leur création, les organisations terroristes palestiniennes ont eu pour tactique de démentir la responsabilité d’opérations terroristes, à chaque fois que c’était nécessaire, alors même qu’elles les fomentaient de différentes manières, y compris les opérations du groupe Septembre Noir, partie intégrante du Fatah qui n’a plus le soutien des dirigeants de l’organisation.

La fatwa a suscité de nombreuses réactions de la part d’utilisateurs des médias sociaux à Gaza. Ses partisans ont souligné l’importance du maintien d’une discipline militaire et d’une planification soignée, conditions de toute action réussie contre Israël, alors que ses adversaires ont considéré que le Hamas utilisait la religion à des fins politiques et privait injustement les habitants de Gaza du droit de mener le djihad contre Israël. De nombreux utilisateurs se sont demandés pourquoi aucune fatwa n’avait été émise contre la tenue des manifestations hebdomadaires de la “Marche du Retour” à la frontière de Gaza, vu qu’aucun bénéfice n’en a été retiré.

Ci-dessous une traduction de la fatwa et de certaines des réactions qu’elle a suscitées sur Facebook.

Une fatwa non officielle du Hamas : selon l’islam, un combattant ne peut pas mener le djihad sans l’autorisation de son commandant

L’ordre du jour est de maintenir la flamme du djihad allumée dans les cœurs des musulmans et de les encourager à combattre, tout en éduquant une génération aux valeurs de générosité, d’obéissance et d’abstinence de tout péché. Ceux qui sont au pouvoir doivent toujours combattre les sources de la tentation et du doute et s’efforcer de réformer la société qui adopte le plan du djihad.

Il faut savoir que celui qui entreprend de combattre l’ennemi sans autorisation préalable se trouve dans l’une des quatre situations suivantes : Tout d’abord il pourrait appartenir à l’une des factions militaires actives [sur le terrain]. A ce titre, il ne peut pas entreprendre de combattre sans l’autorisation de ses commandants, pour les raisons suivantes : 1. Il est tenu à l’obéissance de ses commandants et au respect de l’arme qui lui a été fournie par sa faction, et ses commandants savent mieux que lui quels sont les intérêts du djihad, et où il est nécessaire d’oser [agir] ou, à l’inverse, de se retenir. 2. [Il n’y a aucun avantage] à entreprendre seul [une opération] et à risquer sa vie dans un endroit où l’on risque d’occasionner un dommage très réduit à l’ennemi, alors que la mort [du combattant] satisfera l’ennemi et le présentera comme victorieux et vigilant tandis que le combattant du djihad sera vu comme faible et naïf. 3. [L’opération] peut causer un préjudice supérieur, par exemple des frappes de l’ennemi contre les positions des combattants du djihad en représailles à l’action d’un [seul] combattant, causant la mort de plusieurs combattants qui ne seront pas préparés à une soudaine escalade. 4. En conséquence du rehaussement soudain du niveau d’alerte, [les combattants du djihad peuvent être conduits à] évacuer [leurs positions en prévision de représailles de l’ennemi], et cela peut [entraîner] l’annulation, ou le report d’opérations militaires urgentes. 5. Non avertis de l’opération, les commandants du mouvement peuvent être forcés à fuir soudainement leurs cachettes, révélant ainsi leur emplacement. 6. [De telles opérations] ouvrent la voie à des extrémistes indisciplinés et à des opérations non planifiées ou douteuses.

Au vu de [tout] cela, selon la charia islamique, un combattant du djihad ne peut pas [mener un acte de] guerre sans l’autorisation de son commandant, sous peine de se rendre coupable de désobéissance et de préjudice, comme détaillé ci-dessus… et de ne pas respecter les armes qui lui ont été confiées. Nous ne sommes pas responsables du péché de celui qui entreprend de mener le djihad sans l’autorisation de ses commandants, en particulier s’il a entraîné des pertes d’argent ou de vies [de combattants du djihad], car une opération légitime doit répondre à deux critères : une intention honnête et une action correcte… Si le critère de l’action adaptée n’est pas respecté, celui qui mène l’opération sera coupable de péché, même si son intention était honnête.

La deuxième situation est celle [d’un individu] qui n’appartient à aucune [faction] armée active et dont l’arme a été achetée en privé. [Une telle personne] doit consulter les factions responsables du djihad à Gaza et se coordonner avec elles, sans quoi son opération causera plus de mal que de bien… Les services concernés se réservent le droit de l’empêcher d’agir, afin de préserver l’intérêt général et de gérer l’activité djihadiste.

La troisième situation est [celle d’un individu] motivé par une personne ayant de mauvaises intentions, qui peut [à son tour] être motivée par l’occupation ou ses serviteurs. Une telle personne est indubitablement coupable du plus grand des péchés et d’un crime immense. Son opération est dangereuse pour la société et pour les combattants du djihad, et s’il est tué dans l’action, il ne sera pas considéré comme un martyr, en raison de ses mauvaises intentions ou de son manquement au devoir de vérifier l’identité de celui qui l’a motivé.

La quatrième situation est celle d’une invasion ennemie [de la bande de Gaza] et d’une guerre ; chacun a alors l’obligation de combattre l’ennemi par tous les moyens afin de causer à l’ennemi de lourdes pertes. Les jeunes rebelles et les factions combattantes doivent comprendre que causer des pertes à l’ennemi est l’un des objectifs du djihad, et cela exige une préparation adéquate et une planification optimale. Il ne suffit pas de se fier à ses émotions et à son amour du martyre. Il faut aussi garder à l’esprit que les jeunes combattants sont notre capital… et qu’ils doivent être protégés autant que possible, ce qui se fera en affrontant l’ennemi de manière prudente et calculée, jusqu’à ce que nous soyons victorieux, avec l’aide d’Allah. La réalisation de la promesse de la victoire d’Allah sera obtenue par la foi, la patience, l’endurance et la préparation à la bataille, comme Allah l’a dit : “O croyants ! Soyez endurants. Incitez-vous à l’endurance. Luttez constamment (contre l’ennemi) et craignez Allah, afin que vous réussissiez !” [Coran 3:200].

Allah sait tout, et Il est le plus puissant et le plus honorable.

La Commission de la charia du mouvement [du Hamas] dans la bande de Gaza.

Mercredi, Dhu Al-Hijjah 13, 1440 [15 août 2019]. [5] (…)

[1] Voir par exemple les remarques des porte-parole du Hamas Abdel Latif Al-Qanou et Fawzi Barhoum (Palinfo.com, 10 août 2019; alresalah.ps, 18 août 2019).

[2] Gazaalan.net, 12 août 2019.

[3] Al-Akhbar (Liban), 14 août 2019.

[4] Cette semaine, le Hamas a mené une vague d’arrestations d’activistes salafistes-djihadistes à Gaza, après deux attentats contre des postes de police au sud et à l’ouest de la ville, qui ont causé la mort de trois officiers de police. Il convient de noter que dans le passé, le Hamas a mené une guerre totale contre les groupes salafistes-djihadistes à Gaza, guerre qui avait culminé en août 2009, quand le Hamas avait pris d’assaut la mosquée Ibn Taymiyya de Rafah et tué des dizaines de partisans du groupe salafiste Ansar Allah qui contestait son autorité et avait déclaré un émirat islamique à Gaza.

[5] Paldf.net, 19 août 2019.

 

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