Je veux surtout insister, et je le fais depuis des années, sur le fait que le 27 janvier 1945, jour de la libération du camp d’Auschwitz, ce n’est pas la libération des camps. C’est le début seulement puisque le 27 janvier nous étions, nous déjà, nous qui étions dans Auschwitz et dans les kommandos environnants – il y avait quarante kommandos qui en dépendaient – eh bien nous étions sur les routes enneigées depuis le 18 janvier.
* Né à Bruxelles le 28 janvier 1923, déporté à Auschwitz (n° 151752) dont il revint. Haïm Vidal Sephiha fut d’abord ingénieur chimiste diplômé de l’université libre de Bruxelles, puis obtint un doctorat de 3e cycle et un doctorat d’État. Il est actuellement professeur émérite des universités, il a contribué, par ses nombreux travaux de linguiste, à la mémoire et à la promotion du judéo-espagnol. Il occupa la première chaire de judéo-espagnol à la Sorbonne, en 1984. Il est président d’honneur du Centre Culturel Judéo-espagnol – Al Syete et titulaire de la médaille (échelon vermeil) de la ville de Paris (2013). En avril 2016, il reçut le titre de chevalier de la Légion d’Honneur.
1 Haïm Vidal Sephiha a livré ce témoignage lors d’un colloque consacré à l’ouverture des camps, en janvier 2005, à l’université Charles de Gaulle – Lille 3. Actuellement il a 94 ans. Les actes ont été publiés : Histoire et conscience. Il y a soixante ans, l’ouverture des camps d’extermination, (textes réunis par Nicole Abravanel, Martine Benoit- Roubinowitz, Danielle Delmaire), Villeneuve d’Ascq, éditions du Conseil Scientifique de l’université Charles de Gaulle – Lille 3, 2007. Toutefois, ce témoignage et celui de Charles Baron (à lire ci-après) n’ont pas été publiés, ils n’ont été qu’enregistrés. C’est la raison pour laquelle nous pensons devoir les publier dans ce dossier sur la connaissance de la Shoah.
Nous reproduisons les paroles des témoins en conservant l’expression orale. 29
Haïm Vidal Sephiha
Le 18 janvier, exactement, j’avais travaillé dans la mine, comme mineur. J’avais même subi un accident dans une galerie extrêmement étroite. J’avais eu une grosse pierre sur le dos qui avait été retenue par un pic et un homme qui avait voulu me sauver. Et c’est dans cet état-là que, le 18 janvier au matin, je suis parti avec l’ensemble des déportés ; tous les déportés de toute une province, la Haute Silésie qui avait été annexée par les Allemands, province extrêmement industrielle et donc extrêmement importante pour l’industrie allemande. En tant que mineur, j’ai dû apprendre le métier car j’étais étudiant auparavant : j’étais mineur de fond et mineur d’âge à la fois, à l’époque. Et c’est bien plus tard, à mon retour, que j’ai su que les SS vendaient notre main d’œuvre à l’IG Farben qui est un grand trust et c’était vraiment de la main d’œuvre corvéable à merci qui ne coûtait pas cher du tout à l’IG Farben, mais ceux qui touchaient les bénéfices, c’était bien sûr les SS. Mais cela, c’est bien plus tard que nous l’avons su. Ce qui prouve que nous, nous les déportés, nous ne savions pas quel rôle nous jouions dans le cadre de l’économie du IIIe Reich. Je pense qu’il est important de le dire.
Bien, toujours est-il que le 18 janvier nous partions sur les routes et nous ne savions pas qu’à ce moment-là le grand massacre allait commencer car, en réalité, tous les camps de Silésie avaient été vidés de leurs survivants, puisque nous étions des survivants il ne faut pas l’oublier. Et on nous envoyait dans la neige, la neige jusqu’aux genoux, marchant des journées entières. Ceux qui s’arrêtaient un moment étaient abattus, ceux qui avaient envie de pisser (passez-moi l’expression) et ceux qui ne rattachaient pas leur pantalon assez vite étaient abattus sur place. C’est vous dire que nous luttions en permanence et cela a duré. Il y a eu, je crois, un arrêt dans une grange. Quelqu’un m’a donné le nom de la grange mais je l’ai oublié depuis. Dans cette grange, on a pu se reposer, une nuit en se mettant sous la paille. Et on se faisait déjà des rêves d’évasion.
Et bien sûr, ces rêves d’évasion n’ont pas pu se produire puisque, le lendemain matin, les SS venaient avec leurs baïonnettes nous obligeant à nous lever et nous avons repris la marche, toujours dans la neige et petit à petit les gens étaient éliminés. Ceux qui avaient pu organiser, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire voler légalement. Organiser c’est voler légalement. Eh bien, ceux qui avaient pu voler du pain et de la nourriture s’en tiraient plus facilement. Et en fin de compte, nous avons été chargés, à un certain moment, au bout du troisième ou quatrième jour, sur des wagons ouverts.
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Tsafon 73 : Déportation et marche de la mort, un témoignage
La première partie de cette évacuation, c’est ce qu’on a appelé plus tard « la marche de la mort », ce n’est pas nous qui avons donné ce nom- là. Et puis dans ces wagons ouverts, je me souviens parfaitement parce que j’étais le dernier à être compté, j’étais le 161e dans ce wagon ouvert, il n’y avait pas assez de place pour chacun. Nous étions vraiment entassés comme des sardines, les uns dans les autres. Vous comprenez bien que cela n’a pas duré longtemps. Au bout d’un certain temps, le train une fois parti, eh bien comme nous étions les uns sur les autres, je me souviens, moi, avoir fait la planche sur une mer humaine, véritablement. Pour résister.
On nous avait donné un morceau de pain et un morceau de saucisson bien salé. Tout cela a été, bien sûr, consommé rapidement et nous avions une soif terrible. Et cette soif, comment la soulager ? Nous étions dans un paysage de neige. Nous avions des écuelles hémisphériques avec deux trous. Où avions-nous trouvé une corde pour encorder l’écuelle ? Je ne sais. Et l’écuelle nous la faisions trainer le long de la voie ferrée, pour remonter de la neige sur laquelle nous nous abattions aussitôt, pour une bouchée de neige ! Puis quand nous n’avions pas pu le faire, nous buvions notre urine, etc, etc.
Et petit à petit le wagon se vidait c’est-à-dire que nous entassions les cadavres dans un coin du wagon. De temps à autre, le train s’arrêtait pour transborder les cadavres. C’est-à-dire, on ne les transbordait pas, on les prenait à deux et on les lançait par dessus le portail. Les vivants étaient probablement des gens qui, avant de partir, avait organisé du pain ou des choses comme ça. C’est le système D, c’est le langage concentrationnaire. Ces gens-là organisaient très bien et ils se battaient pour une miette de pain. De telle façon que moi j’ai préféré me mettre sur un tas de morts avec des couvertures puisque les morts me laissaient leur couverture, couverture ensanglantée ou pas, peu me chaut.
Et là-dessus, j’ai commencé à rêver et à faire les plus beaux rêves de ma vie, en m’accrochant à quelque chose de très curieux. J’étais en train de me créer un mythe. Ça se passait aux environs du 28 janvier qui est la date de mon anniversaire. À ce moment-là, je me disais intérieurement : « mais Vidal ce n’est pas possible, tu ne vas pas crever le jour de tes 22 ans ! » Et c’était une obsession qui me faisait entrer dans le rêve ; le rêve qui se nourrissait de la même obsession : « tu ne vas pas crever le jour de tes 22 ans ! » et qui, petit à petit, donnait lieu au plus beau rêve de ma vie. Évidemment, un rêve de compensation.
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Haïm Vidal Sephiha
Et le train roulait, roulait, roulait. On ne savait pas où on allait. C’est après qu’on a appris que les SS, ne sachant pas où déverser nos cadavres, cherchaient des camps susceptibles de nous recevoir. J’ai su après que l’on s’était arrêté devant le camp de Buchenwald où j’aurais pu rencontrer mon père et mon frère2, que l’on s’était arrêté devant le camp de Mauthausen, puis ensuite on s’est arrêté à un certain moment à Prague3. On passait sous les ponts de Prague et alors là une chose extraordinaire s’est passée. Et vraiment, je rends honneur aux Pragois. Prague était encore occupée et, suite à une rumeur dans la ville probablement, les Pragois se plaçaient sur les ponts et nous lançaient des morceaux de pain, dans les wagons ouverts. On se battait bien sûr pour le pain, pour cette nourriture. Et je me souviens que lorsque je fus invité, bien plus tard, pour faire une conférence à l’université de Prague, j’étais invité à signer le livre d’or. J’ai écrit ce passage et j’ai rendu hommage aux Pragois qui s’étaient comportés de telle façon. Et tous les déportés qui sont passés par là se souviennent de cet instant pragois.
Bien, que s’est-il passé ? Ces trains-là, je les ai appelés, beaucoup plus tard, les trains de la méduse en pensant, bien sûr, au radeau de la Méduse. Et c’est comme cela que je les appelle maintenant, dans mon vocabulaire. Et on a continué comme ça et un jour on est arrivé à Dora où on est sorti. J’ai rencontré des détenus, notamment un Belge avec lequel j’ai eu, à un certain moment, une conversation. Il m’a demandé : « Qui es-tu ? ». J’ai dit : « Je suis de Saint-Gilles, près de Bruxelles ». « Ah mais tu as connu un tel ». Il était également de Saint-Gilles. Et on s’est raconté des poésies de Saint-Gilles. Extraordinaire !
Alors que moi je délirais, il m’avait donné une tasse d’eau et je disais : « Qu’il est bon ce chocolat ! ». C’était du délire. Absolument du délire ! Et finalement on est arrivé dans le camp où il y a eu un arrêt momentané. On m’a mis dans un block en quarantaine parce que j’avais un début de dysenterie. Et au bout d’un certain temps, on m’a trouvé bon pour le service. Et j’ai commencé à travailler dans ce camp. Mais très
2 En tant que Turcs (moi j’étais Belge), mon père David Nissim Sephiha et mon frère cadet Isaac (dit Jacques) ont été déportés à Buchenwald d’où, peu avant la libération du camp par les Américains, ils furent, en tant que juifs, redéportés dans un train de la mort à Dachau où mon papa mourut du typhus. À Dachau, c’est un curé belge qui annonça la mort de papa à Jacques et lui assura qu’il avait récité le qaddish sur sa dépouille. (Note de Haïm Vidal Sephiha, 25 janvier 2017).
3 Cet itinéraire, même s’il ne semble pas être reproduit selon un ordre chronologique, prouve que le train a circulé sur un vaste espace de l’Europe centrale. (Note de la rédaction).
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Tsafon 73 : Déportation et marche de la mort, un témoignage
vite, les Alliés se sont rapprochés et il y a eu une nouvelle émigration, une évacuation du camp de Dora qui se trouvait à côté de Nordhausen et qui était le camp rattaché à l’usine de V1 et de V2 où j’ai travaillé une nuit. On a été évacué vers le nord et on est arrivé à Bergen-Belsen, non pas le Bergen-Belsen d’Anne Frank, mais la caserne militaire. Et c’est là que nous avons été libérés par les Anglais, le 15 avril 1945.
Toujours est-il, et j’insiste là-dessus depuis très longtemps, je le dis un peu partout : attention, le 27 janvier ce n’est pas la libération des camps. On peut dire vraiment que le 18 janvier, exactement, ce fut le grand départ vers l’ultime et grand massacre. Je crois que sur l’ensemble des déportés qui ont quitté la Haute Silésie, il y a eu tout au plus 40% de survivants. Je n’ai pas les chiffres exacts mais c’est ce que je crois avoir entendu et cela ne m’étonne aucunement4.
Moi aussi j’ai eu ma carte d’identité en Belgique avec le tampon « juif », « jood », bilingue, français et flamand. En 1941, j’ai obtenu le bac belge et j’ai commencé des études d’agronomie, j’en avais encore le droit, dans un grand institut qui avait été fréquenté par Haroun Tazieff. Lui-même était ingénieur agronome. Eh bien, cet institut, au bout d’un trimestre, m’a renvoyé. J’ai reçu une lettre : renvoyé en tant qu’étudiant juif à cause du numerus clausus. Je n’avais plus le droit de poursuivre des études universitaires.
À ce moment-là, l’Association des Juifs de Belgique5 qui dépendait bien sûr de l’autorité allemande, avait créé une école d’horticulture dans le sud du Brabant. Elle portait un très beau nom : l’École de la Ramée. Elle existe toujours aujourd’hui. Et dans cette école d’horticulture venaient tous ces étudiants qui, comme moi, avaient été renvoyés de l’institut agronomique, pour servir de moniteurs. Et en même temps, cette même école devait servir d’école d’apprentissage aux travaux de la terre pour toutes les organisations sionistes qui se trouvaient encore en situation semi légale, pendant tout l’été 1942. Ce fut un moment
4 Ce pourcentage correspond aux chiffres avancés par l’historien Daniel Blatman de l’université hébraïque de Jérusalem dans : Les marches de la mort, la dernière étape du génocide nazi, été 1944, printemps 1945, Paris, Fayard, 2009. Ouvrage traduit de l’hébreu par Nicolas Weill avec la collaboration éditoriale de Renée Poznanski. (Note de la rédaction).
5 L’Association des Juifs de Belgique fut créée sur ordre des Allemands, comme le fut l’Union Générale des Israélites de France. Elle confectionna un fichier des juifs résidant en Belgique ce qui facilita leur arrestation et leur déportation. A contrario, le Comité de Défense des Juifs, fondé par Hertz Jospa et son épouse, Yvonne, juifs communistes, s’engagea dans la Résistance belge et participa au sauvetage de nombreux juifs. (Note de la rédaction).
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Haïm Vidal Sephiha
extraordinaire du judaïsme belge. Toutes les organisations, qu’elles fussent de droite, de gauche ou du centre étaient réunies là et on y travaillait la terre, avec une certaine dérision. Je me vois encore avec l’étoile épinglée, avec un chapeau melon et une cravate. C’était de la dérision, bien sûr, comme pour dire: «je suis libre mais je porte l’étoile » ! Ou quelque chose comme ça.
Et devinez par qui était dirigée cette école ? Par Haroun Tazieff en personne. Et c’est Haroun Tazieff qui finalement, je l’ai su plus tard, nous a sauvés. Cet homme, tout à coup a disparu. C’est bien plus tard, en France, que je l’ai vu, en Sorbonne, présentant ses films sur les quatre éléments.
Je suis allé lui taper dans le dos. Il m’a regardé et il m’a dit : « Haïm ! ». J’avais l’impression que, dans ses yeux, brillaient les lueurs d’Auschwitz-Birkenau. Il m’a reconnu mais il n’imaginait pas qu’il allait pouvoir me revoir un jour. Et on s’est revu de temps à autre, bien après. C’était un homme d’une qualité extraordinaire et il a fait œuvre de résistant en Belgique et également de sauveur de juifs, en même temps6.
Je pourrais encore vous dire bien d’autre chose mais je laisse la parole aux autres.
***************
Après la relecture de ce témoignage, Haïm Vidal Sephiha ajouta, le 26 janvier 2017 :
« Il y a 72 ans, le camp d’Auschwitz était libéré (27 janvier 1945). Libération de qui ???
Depuis le 18 janvier, la majorité des détenus de Haute Silésie était
assassinée au cours des marches de la mort. Je les ai vécues et je ne cesse de répéter combien ce 27 janvier nous blesse !!! Mais convient aux
6 Haroun Tazieff, originaire Russie, avait un grand-père maternel juif. Son père est mort durant la Première Guerre mondiale. Avec sa mère, il émigra en Belgique et c’est à Bruxelles qu’il fit ses études secondaires et qu’il obtint, par la suite, le diplôme d’ingénieur agronome. Il milita dans la Résistance en participant à un réseau d’évasion d’aviateurs anglais et de prisonniers russes qui travaillaient dans les mines en Belgique. Il s’impliqua également dans un réseau de sauvetage de juifs pour les cacher. (Note de la rédaction).
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Tsafon 73 : Déportation et marche de la mort, un témoignage
Russes qui livrèrent la résistance polonaise aux nazis avant de poursuivre leur offensive vers Auschwitz et au-delà ».
Et concernant son arrestation, il précisait :
« Je fus arrêté en descendant du tram, le 1er mars 1943 et envoyé au camp de Malines d’où je fus déporté en septembre avec le premier convoi de Juifs belges qui jusque là avaient bénéficié de la protection obtenue par la reine Élisabeth de Belgique, veuve d’Albert 1er, accord soudain ignominieusement rompu par les Allemands ».
Quant aux convois qui les emmenaient en déportation, lui, son père et son frère, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, présenté par Serge Klarsfeld et Maxime Steinberg, édité par l’Union des déportés juifs en Belgique et Filles et Fils de la Déportation, Bruxelles, et The Beate Klarsfeld Foundation, New-York, 1982, fournit les renseignements suivants :
Haïm-Vidal et Isaac sont notés « rapatriés », tandis qu’à côté su nom de Nessim-David, aucune mention ne figure.
Le même Mémorial décrit ainsi les deux convois :
Convois XXII A et XXII B du 20 septembre 1943
…Le XXII B comprend 794 Juifs de nationalité belge. Ils ont été arrêtés dans la nuit du 3 au 4 septembre 1943, à Bruxelles et à Anvers. Les Juifs belges avaient été préservés de la déportation raciale, un an plus tôt.
Dès le 9 juillet 1942, le chef de l’administration militaire était intervenu personnellement auprès du reichsführer SS Heinrich Himmler. Reeder craignait les répercussions politiques de leur déportation sur ses relations avec les autorités nationales belges. Cette « protection » concernait 10% des Juifs recensés en décembre 1940, mais n’en bénéficiaient que les ressortissants belges respectueux du statut des Juifs décrété par l’occupant. Les clandestins, quant à eux, s’ils étaient arrêtés, étaient incorporés dans les convois d’étrangers. Pendant les grandes rafles de l’été et de l’automne 1942, des Belges en règle avaient cependant été arrêtés. Ils étaient internés à Malines, mais « non transportables ».
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Nom |
Prénom |
Date de naissance |
Convoi et n° dans le convoi |
SEPHIHA |
Haïm-Vidal |
28-1-1923 |
XXII B / 76 |
SEPHIHA |
Isaac |
20-2-1925 |
Z / 46 |
SEPHIHA |
Nessim-David |
4-1-1890 |
Z / 42 |
Haïm Vidal Sephiha
Les 26 et 29 juin 1943, la police nazie en libéra deux cents sur l’intervention de l’autorité militaire. Un troisième groupe ne fut pas libéré. Dès décembre 1942, en réalité, les pressions berlinoises ne cessaient pour que le commandant militaire, le général Alexander von Falkenhausen, consente à la déportation des ressortissants belges. Reeder résista jusqu’au début de juillet 1943. Le 20, le commandant militaire, en l’absence de son chef de l’administration, donna son accord à la police politique, à deux conditions : qu’on active la déportation des Juifs étrangers et qu’on exempte les personnes recommandées par l’autorité militaire.
…À l’arrivée des deux convois XXII à Auschwitz le 22 septembre, 550 matricules leur sont attribués, les autres déportés disparaissent. Le convoi XXII A, moins nombreux, aura 32 survivants en 1945, le convoi XXII B 19 seulement.
Haïm Vidal Sephiha, arrêté en mars 1943, était de nationalité belge et en règle puisque porteur d’une carte d’identité tamponnée « juif-jood » et datée du 4 août 1942.
Pour le convoi Z auquel appartiennent le père et le frère de Haïm Vidal Sephiha, le même Mémorial précise :
Le convoi Z est un transport tzigane, le seul parti de Belgique…
La lettre Z n’est pas seulement réservée aux Tziganes. Elle désigne aussi les ressortissants juifs hongrois et turcs. « Protégés » par opportunité diplomatique, ils sont déportés de Malines, mais non vers un camp d’extermination. Le 13 décembre 1943, un convoi Z de 132 juifs turcs quitte le camp de rassemblement, les hommes vers Buchenwald, les femmes et les enfants vers Ravensbruck. Plus de la moitié – 69 – survivront. Le 19 avril 1944, un autre convoi Z de 14 Juifs hongrois est dirigé vers le camp de Bergen-Belsen. Il y aura 4 survivants à la libération…
Le convoi Z du 15 janvier 1944 appartient, quant à lui, à la solution finale. Comme le convoi XXIII, il arrive à Auschwitz le 17 janvier. 238 matricules sont attribués au transport juif dont 96 personnes resteront en vie.
Toujours selon la même source :
Convoi XXII B : 794 déportés dont 152 enfants (379 hommes, 415 femmes). Immatricules des hommes : 151 481 à 151 851. Immatricules des femmes : 62 805 à 62 983. On compte 19 rapatriés soit 2,3 %
Convoi Z du 13 décembre 1943 vers Buchenwald et Ravensbruck : 132 hommes et femmes parmi lesquels 18 enfants. On compte 69 rapatriés soit 52,3 %.
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Tsafon 73 : Déportation et marche de la mort, un témoignage
Haïm Vidal Sephiha nous communiqua aussi un poème et la reproduction de sa carte d’identité lorsqu’il était étudiant, sur laquelle figure le tampon : Juif-Jood, comme il le rappelait dans son témoignage. Nous reproduisons, ci-après, ces documents.
Haïm – Vidal SEPHIHA
NÉBULEUSE DE LA MÉMOIRE
Un terrain vague. Un terrain vide ?
Pas si vide que cela ! Le vague à l’âme?
Oui, l’âme vague de la potence à la corde,
d’une pierre à l’autre, d’un débris à l’autre.
Les insomnies d’antan. La destruction, L’instructure du futur.
Le vague à l’âme se fait tension, attention.
Des cheminées de la mort. Souvenirs de guerre, souvenirs de meurtres, les meutes aboyantes. Déportation, extermination.
La terre entière devenue terrain vague.
Le globe entier englouti sous les vagues destructrices. Les yeux globuleux des globe-trotters figés dans leur trot. L’annihilation, La désertification,
La désolation. Le NOMEN NESCIO.
La déshumanisation. L’anonymisation.
Ce N.N. traduit par Nacht und Nebel.
Nuit et Brouillard brouillant toutes cartes. Mémoire fracassée, Mémoire dispersée, Mémoire abîmée ? Mémoire « vestigiée ». Vestiges de vies arrêtées, écourtées,
surprises dans leur élan.
Colonnes brisées de nos cimetières. Excréments déshydratés. Ossements pétrifiés.
Vies desséchées. Désordre inextricable…
LE TERRAIN VAGUE. LA VACUITÉ.
Avec Baudelaire
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Mon âme DIVAGUE.
(Paris : 1990) 37
Haïm Vidal Sephiha
Carte d’identité de Haïm Vidal Sephiha
« Ma carte d’identité où j’apparais en casquette d’étudiant de l’Institut Agronomique de Gembloux
dont je fus renvoyé fin 1942 en tant qu’étudiant juif »