Chaque jour du Ramadan, le quotidien gouvernemental qatari Al-Arab publie un enseignement coranique de cheikh Youssef Al-Qaradawi, ancien directeur de l’Union internationale des érudits musulmans (IUMS). Eminent idéologue des Frères musulmans, Al-Qaradawi est protégé et soutenu par le régime qatari depuis de longues années.
Dans son cours du 14 mai 2019, Al-Qaradawi se focalise sur les derniers versets de la première Sourate du Coran, Al-Fatiha (L’Ouverture), qui dit : « Guide-nous dans le droit chemin. Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés » (Coran 1:6-7). Al-Qaradawi reprend l’interprétation courante de ce verset, à savoir : « ceux que Tu as comblés de faveurs » désigne les musulmans, « ceux qui ont encouru Ta colère » fait référence aux juifs et « les égarés » sont les chrétiens.[1] Il explique que le chapitre Al-Fatiha est « la prière quotidienne que les musulmans répètent au moins 17 fois [par jour] », qui insiste sur l’identité du musulman, différente de celle des non-musulmans.
Selon Al-Qaradawi, les juifs se sont opposés avec obstination au prophète Mohammed et ont agi avec arrogance et fanatisme, c’est pourquoi ils méritent le courroux d’Allah. Il cite également le verset 60 du chap. 5 du Coran, où l’on apprend qu’Allah a transformé les juifs en singes et en porcs. Concernant les chrétiens, Al-Qaradawi déclare qu’ils ont été frappés d’aveuglement idéologique et, ne pouvant plus distinguer entre la vérité de l’islam et le mensonge, ils se sont égarés.
Il convient d’observer qu’il y a eu une controverse en Egypte concernant cette interprétation courante, rejetée par des cheikhs renommés, dont le réformiste du 19e siècle Mohammed Abduh.[2] En septembre 2017, l’institution égyptienne Al-Azhar a affirmé que le terme « égarés » dans le Coran, associé traditionnellement aux chrétiens, ne faisait pas référence à une communauté particulière mais à quiconque, musulman ou non, ne suivait pas le droit chemin. La clarification d’Al-Azhar n’a pas évoqué la phrase « ceux qui ont encouru Ta colère », associée traditionnellement aux juifs.[3] Extraits :
Qui n’a pas besoin des directives d’Allah ? Le musulman a toujours besoin des conseils d’Allah pour que les chemins lui soient toujours clairs et qu’il ne se perde pas… En outre, il a aussi besoin de conseils supplémentaires [d’Allah, car il est dit] « Quant à ceux qui se mirent sur la bonne voie, Il les guida encore plus et leur inspira leur piété » (Coran 47-17) et en outre, il a besoin d’être mis sur le [droit chemin] par Allah…
Du verset de conclusion de la Sourate [Al-Fatiha, qui dit] « Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés », il ressort que les gens se divisent en trois catégories à ce sujet. La première est celle de ceux qui ont reçu [les directives d’Allah] et ce sont ceux auxquels Dieu a fait grâce : les prophètes, les saints, les martyrs et les justes, comme énumérés dans la Sourate Al-Nisaa [Coran 4:69]. Ce sont ceux qu’Allah a guidés, qui connaissent la vérité [l’islam]. [La vérité] leur devient claire et ils la distinguèrent de l’égarement et du mensonge, et par cette prise de conscience, ils empruntèrent le droit chemin et sont devenus des hommes [de vérité], par leur connaissance, leur foi, leurs actes et leur prédication.
La seconde catégorie est celle de ceux qui ont suscité la colère [d’Allah]. Ce sont ceux qui ont reconnu la vérité et qui n’ont néanmoins pas suivi son chemin, et qui s’y sont opposés avec obstination, et sont demeurés hostiles envers le prophète [Mohammed] après que le droit chemin leur soit devenu clair. [Ils l’ont fait] en se fiant à la fausseté, à l’amour de ce monde, en s’adonnant aux pulsions, au fanatisme aveugle, à l’arrogance ou à la jalousie… et ont ainsi mérité la colère d’Allah. Ce sont les juifs, comme il est expliqué dans la Sourate Al-Maida [5:60, qui dit] : « Celui qu’Allah a maudit, celui qui a encouru Sa colère, et ceux dont Il a fait des singes, des porcs, et de même, celui qui a adoré le Tagout, ceux-là ont la pire des places et sont les plus égarés du chemin droit. »
La troisième catégorie désigne ceux qui ont été frappés d’aveuglement idéologique, qui ne distinguent pas la vérité du mensonge, le droit chemin de l’égarement, et qui n’ont pris la peine de chercher la vérité. En conséquence, ils ont vécu et sont morts égarés, loin de la vérité [l’islam], et pour cela, ils méritent d’être qualifiés d’égarés. Ce sont les chrétiens, au sujet desquels Allah a dit [Coran 5:77] : « Ne suivez pas les passions des gens qui se sont égarés avant cela, qui ont égaré beaucoup de monde et qui se sont égarés du chemin droit. » A l’égard [de ceux qui se sont égarés], comme par exemple parmi les polythéistes, [Allah] a dit [Coran 6:140] : « Ils se sont égarés et ne sont point guidés »…
L’islam a veillé, par ses lois et ses préceptes, à ce que l’identité musulmane soit séparée et différenciée [de celle des non-musulmans] dans son essence interne et externe. Cela pour qu’il ne soit pas facile de la mêler à son essence interne et externe. C’est ainsi pour qu’il ne soit pas facile de la mêler à toutes les autres [identités non-musulmanes] pour ne pas qu’elle perde ses traits uniques. C’est la signification de la prière musulmane quotidienne, qui revient au moins à 17 reprises : « Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés » [Coran 1:7].
Sur ce sujet, cheikh Al-Islam ibn Taymiyya a compilé son précieux livre [en arabe], La nécessité du droit chemin distinguée du peuple de l’Enfer. Le droit chemin est une voie distincte [pour les musulmans] ; ce n’est pas le chemin des juifs, qui ont suscité la colère d’Allah, ni celui des chrétiens, qui se sont égarés, ni celui de ceux qui reconnaissent la vérité mais n’ont pas suivi son chemin… C’est une voie distincte, le chemin de la vérité, le chemin d’Allah, le chemin des croyants.
Le musulman demande chaque jour à son Dieu de le guider, de lui apporter la réussite et de le mettre sur le droit chemin, « le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs » [Coran 1:7].
Lien vers le rapport en anglais
Notes :
[1] Voir par exemple le commentaire d’Abou Jaafar ibn Jarir Al-Tabari (838-923), commentateur du Coran et le commentaire classique sunnite Tafsir Al-Jalalayn, composé tout d’abord par Jalal ad-Din al-Mahalli (1389-1460) et complété après sa mort par son élève Jalal ad-Din as-Suyuti (c. 1445–1505).
[2] Voir MEMRI Special Dispatch No. 7025, Egyptian Writers Criticize The Negative Attitude To Christians And Jews Reflected In The Common Interpretation Of The Fatiha, The Opening Surah Of The Quran, 25 juillet 2017.
[3] Azhar.eg, 17 septembre 2017.