La propagation du coronavirus en Israël et dans les territoires palestiniens soulève des questions à Gaza quant aux relations avec Israël sur les plans sanitaire, économique et politique.
Craignant qu’une épidémie de coronavirus dans la bande de Gaza ne provoque une grave crise, le Hamas a prévenu que, si l’aide financière qatarie tardait à arriver, il exacerberait le conflit avec Israël et enverrait « la moitié de la société israélienne dans les abris anti-bombes », ce qui accélérerait la propagation du virus en Israël. Le porte-parole de la branche militaire du Hamas a également exigé qu’Israël libère les membres du mouvement incarcérés dans ses prisons, afin de les empêcher de contracter la maladie.
Sur les réseaux sociaux, les pro-Hamas ont débattu de la meilleure façon de gérer le conflit avec Israël dans la période actuelle. Certains ont exprimé leur soutien aux menaces du Hamas, appelant à profiter de l’épidémie pour exacerber le conflit avec Israël en tirant des roquettes ou en envoyant des ballons transportant le virus sur Israël. D’autres, comme l’ancien maire de Khan Younis, Fayez Abu Shamala, ont rejeté ces suggestions, arguant que le moment était venu de se montrer humain, même envers l’ennemi, de maintenir le cessez-le-feu avec Israël et de promouvoir un accord d’échange de prisonniers.
Le Hamas menace : les roquettes forceront les Israéliens à se regrouper dans des abris, ce qui augmentera les cas de coronavirus chez eux
Selon le quotidien libanais Al-Akhbar, le Hamas a informé Israël, via l’Égypte et le Qatar, que Gaza ne serait pas en mesure de faire face aux conséquences financières d’une crise sanitaire causée par le virus, et que, si Israël retardait l’arrivée de l’aide mensuelle qatarie dans le cadre des restrictions de circulation aux postes frontières, le mouvement pourrait « intensifier le conflit sur le terrain, à la frontière entre Gaza et Israël ». Le quotidien cite des sources du Hamas affirmant que « la résistance peut envoyer la moitié de la société israélienne dans les abris anti-bombes, ce qui augmentera le nombre de cas de coronavirus et fera perdre à Israël le contrôle [de la propagation de l’épidémie] ».
Parallèlement à ces menaces, le Hamas a également exhorté l’Égypte et le Qatar à faire pression sur Israël pour qu’il fournisse à Gaza le matériel médical nécessaire pour faire face à l’épidémie de coronavirus [1]. Le 22 mars, on apprenait qu’en raison de l’épidémie, l’émir du Qatar, qui fournit une aide financière mensuelle à Gaza, avait ordonné d’envoyer 150 millions de dollars au cours des six prochains mois [2].
Les partisans du Hamas ont également exprimé sur les médias sociaux l’idée que c’était le moment d’attaquer Israël. Ils ont fait remarquer que les attaques de roquettes depuis Gaza forceraient les Israéliens à se rassembler dans des abris, ce qui augmenterait le nombre de cas de COVID-19 chez eux. Quelques-uns ont rejeté cette idée, au motif que même en temps de guerre, il faut préserver ses valeurs morales.
Ancien maire de Khan Younis : notre obligation morale est de maintenir le cessez-le-feu et d’être miséricordieux, même envers l’ennemi
Dans un message posté le 13 mars 2020 sur sa page Facebook personnelle, Dr Fayez Abu Shamala, ancien maire de Khan Younis dans la bande de Gaza et actuellement éditorialiste pour le quotidien Filastin du Hamas, a appelé le mouvement à déclarer un cessez-le-feu avec Israël pour la durée de la crise du coronavirus, écrivant : « Tant que notre ennemi israélien est infecté par le coronavirus, nos valeurs arabes nous obligent à maintenir un cessez-le-feu à ce stade ! Soyons miséricordieux, même envers notre ennemi. » [3]
Le post de Shamala a suscité des dizaines de réactions, certaines le soutenant et d’autres, plus nombreuses, rejetant sa position. Certains ont même mis en doute l’authenticité de son post et se sont demandé si son compte n’avait pas été piraté.
Saladin Al-Ayyoubi était miséricordieux envers ses ennemis croisés ; même en temps de guerre, il y a des règles
L’utilisateur de Facebook Abu Hussam Mousa, soutenant Abu Shamala, a posté : « A l’époque où Saladin Al-Ayyoubi combattait les Croisés sous Richard Cœur de Lion, il y eut une trêve de six mois entre les deux camps… [Lorsque] Richard est tombé malade… Saladin lui a envoyé un cadeau de pommes et de la neige [pour soulager sa fièvre]. Certains historiens ont loué l’action de Saladin, qui reflète les valeurs islamiques supérieures et la moralité, tandis que d’autres l’ont attaqué pour cela… Chaque camp a ses arguments et ses preuves, mais n’oublions pas qu’il s’agissait du commandant héroïque Saladin. »
Dans un autre de ses commentaires, Hossam Mousa écrit : « Même en temps de guerre, il y a des règles, des lois et des considérations [morales et humaines à prendre en compte]. Par exemple, il ne faut pas tuer les otages, mais les nourrir et les soigner, et les blessés doivent être soignés. Il est interdit de tuer les enfants, les femmes et les personnes âgées, ou d’abattre des arbres. Les accords et les traités doivent être respectés. Il est vrai que certains [se comportent] sauvagement et brutalement en temps de guerre, ce qui reflète leur absence de valeurs, de morale et d’humanité. Mais notre religion islamique nous commande d’être civilisés et d’honorer tous les [principes] susmentionnés. » [4]
Ne soyons pas miséricordieux envers les Juifs, dont les complots sont si souvent mentionnés dans le Coran – Nous devrions leur envoyer des ballons portant le virus
Les nombreux utilisateurs qui se sont opposés au post d’Abu Shamala ont estimé que les règles de guerre arabes et islamiques ne s’appliquaient pas au conflit avec Israël. L’utilisateur Mousa Ismail, par exemple, a écrit : « Cher Dr [Abu Shamala], vos déclarations concernent la guerre et l’occupation entre États, et non ceux qui ont volé votre maison et vos terres et assassiné votre famille. Je ne suis pas convaincu. »
L’utilisatrice « Fatma D Journalist » a posté, en référence aux Israéliens : « Qui sont-ils, exactement, pour que nous soyons miséricordieux envers eux ? Pourquoi [le serions-nous] ? Ont-ils été miséricordieux avec nous pendant les trois guerres [de Gaza, en 2008, 2012 et 2014], pour que nous nous montrions miséricordieux envers eux maintenant ? Dr [Abu Shamala], retirez votre post et Allah sera satisfait de vous. Un tiers du Coran est consacré aux ruses, aux complots et à l’hostilité des Juifs. Allah leur a consacré un tiers de son livre glorieux. Et vous voulez être miséricordieux envers eux ? »
L’utilisateur Mohamed Jehad écrit : « Dr [Abu Shamala], c’est une occasion [pour nous]. C’est le moment pour nous de les regrouper dans des abris, afin que la maladie se répande parmi un plus grand nombre d’entre eux. » L’utilisateur Abed Alkader Almobayed poste : « Si le virus entre dans [Gaza], Dieu nous en préserve, alors que nous sommes assiégés, nous le leur enverrons en utilisant des ballons. » [5]
Débat sur un forum affilié au Hamas : une attaque de roquettes contre l’entité sioniste doublera le nombre de cas de COVID-19
Un débat similaire s’est déroulé sur le forum paldf.net, identifié au Hamas. Réagissant à un rapport de médias israéliens qui spéculait que le Hamas pourrait violer le cessez-le-feu avec Israël lors de l’épidémie de coronavirus, l’utilisateur Qassem Al-Majd a écrit : « Un barrage de roquettes sur l’entité [sioniste] va sûrement doubler et redoubler le nombre de cas [COVID-19]. »
L’utilisateur Mounir Hamdi a rejeté l’idée d’Al-Majd : « Même le diable ne pense pas comme vous. Sachez que nous allons en souffrir. Cela ne nous profitera pas, à moins que la résistance ne décide de réagir à [un incident au cours duquel des prisonniers palestiniens] en Israël contractent le coronavirus. Dans ce cas, la résistance sera justifiée, si elle réagit en retournant les tables sur tout le monde. »
L’utilisateur ISM2020 répond comme suit au post de Al-Majd : « Ce sont de bonnes [idées], mais elles ont des conséquences. Après cela, personne dans la région ne pourra dire à Israël : ‘arrêtez de viser Gaza’. Personne ne pourra aider Gaza si elle devient la cible d’une attaque brutale [israélienne], Dieu nous en préserve. Nous devons considérer les coûts et les bénéfices, et évaluer [correctement] une situation délicate. » [6].
Journalistes pro-Hamas : L’épidémie de coronavirus est une occasion historique d’effectuer un échange de prisonniers
Suite à l’épidémie de coronavirus, le Hamas a appelé Israël à libérer les prisonniers palestiniens. Dans un télégramme, le porte-parole des Brigades Izz Al-Din Al-Qassam du Hamas, Abu Obeida, écrit : « Nous soulignons que la vie et le bien-être des prisonniers sont la ligne rouge et que l’ennemi sioniste doit libérer les membres de notre peuple [palestinien] qui sont incarcérés, car il est incapable de les protéger et de leur octroyer des conditions dignes qui les protégeront des maladies et des épidémies… La direction de la résistance tient des consultations et effectue des évaluations continues dans sa salle de guerre commune sur les mesures à prendre à la lumière de ce développement grave qui menace la santé de nos prisonniers. » [7]
Des partisans du Hamas ont également appelé à faire de l’épidémie de coronavirus l’occasion d’un accord d’échange de prisonniers entre le Hamas et Israël. Dans un post mis en ligne le 13 mars sur sa page Facebook, le journaliste Fayez Abu Shamala notait qu’Israël libérait des prisonniers non politiques en raison de l’épidémie, et que le Hamas devrait profiter de la situation pour essayer de négocier un accord d’échange de prisonniers. Dans un post mis en ligne le 14 mars, il ajoute : « Je réitère mon appel au Hamas : le coronavirus vous a donné une occasion historique de conclure un accord d’échange de prisonniers ! Discutez-en avec l’Égypte et les autres [médiateurs] » [8].
Un autre journaliste de Filastin, Issam Shawer, écrit, le 14 mars : « Je crois que la meilleure option pour l’État occupant ’Israël’ est de conclure un accord d’échange de prisonniers avec la partie palestinienne en vidant ses prisons et en se dégageant de la responsabilité [des prisonniers palestiniens] en échange de ses soldats détenus à Gaza… Nous ne savons pas quel stade a été atteint dans les pourparlers en vue d’un accord, mais nous savons que l’État d’occupation a peur d’être tenu responsable si une catastrophe s’abat sur nos prisonniers dans ses prisons, et qu’il a également peur pour ses soldats à Gaza, qui pourraient subir une catastrophe en raison de la propagation du coronavirus. Par conséquent, l’ennemi n’a d’autre choix que de renoncer à ses conditions et d’accepter ce que la résistance a suggéré, afin qu’un accord puisse être conclu. » [9]
Voir la vidéo de MEMRI d’un sermon du vendredi diffusé sur la télévision du Hamas, dans laquelle un imam affirme que le coronavirus est un soldat d’Allah et que les musulmans sont les moins touchés par la pandémie.
[1] Al-Akhbar (Liban), 21 mars 2020.
[2] Twitter.com/QatarNews Agency, 22 mars 2020. Le Qatar joue le rôle de médiateur entre le Hamas et Israël, fournit à Gaza une aide qui soutient son économie et confère au Qatar les moyens d’influencer le Hamas. Pour en savoir plus, voir MEMRI en français, L’Autorité palestinienne dénonce le financement du Hamas par le Qatar, 3 décembre 2018.
3] Facebook.com/hazem.aboshmalah.3, 13 mars 2020.
[4] Facebook.com/hazem.aboshmalah.3, 13 mars 2020.
[4] Facebook.com/hazem.aboshmalah.3, 13 mars 2020.
5] Paldf.net, 21 mars 2020.
[6] T.me/spokesman2019, t.me/qassambrigades, 19 mars 2020.
[7] Facebook.com/hazem.aboshmalah.3, 13 et 14 mars 2020.
[9] Filastin (Gaza), 14 mars 2020.