Par C. Meital* – 

Introduction – 

L’université égyptienne Al-Azhar, principal institut d’études religieuses dans le monde musulman sunnite, et son dirigeant, le cheikh Ahmad Al-Tayeb, font actuellement face à une offensive politique et médiatique menée par la présidence égyptienne et le président Abd Al-Fatah Sissi. Il s’agit du dernier épisode en date de tensions entre les deux institutions au cours des deux dernières années, déclenchées par l’apparent refus d’Al-Azhar de se plier aux diktats du président en matière de religion.

Un des aspects de l’offensive contre Al-Azhar est celui des critiques directes du président Sissi visant le cheikh d’Al-Azhar Al-Tayeb ; un autre est celui des critiques visant Al-Azharm parues dans la presse gouvernementale ; le dernier est celui des initiatives parlementaires menées par les proches de Sissi pour limiter le pouvoir du cheikh d’Al-Azhar. A cela s’ajoutent des appels à la démission du cheikh Al-Tayeb.

Les principales critiques contre Al-Azhar l’accusent de n’avoir pas rejoint la guerre idéologique contre le terrorisme menée par le président Sissi. Elles affirment qu’Al-Azhar ne respecte pas l’objectif majeur de Sissi, annoncé en 2014 et souvent réitéré depuis, qui est de promouvoir un renouveau du discours religieux en Egypte, et affirment aussi que l’institution religieuse refuse d’accuser d’hérésie l’Etat islamique (EI), qui a revendiqué plusieurs attentats terroristes dans le pays.[1] Elles considèrent en outre que le programme d’Al-Azhar encourage les jeunes au terrorisme. De plus, certains reprochent à Al-Azhar de refuser de modifier la gestion des divorces, comme l’a demandé Sissi.

Les représentants d’Al-Azhar, dirigés par le cheikh Al-Tayeb, ont qualifié ces critiques de mensonges délibérés portant atteinte à l’islam. Pour montrer qu’elle remplit bien son rôle d’institution islamique modérée, Al-Azhar a tenu au cours des récents mois des conférences internationales sur le sujet de la lutte contre l’extrémisme, ainsi que des réunions avec des jeunes, et elle a mené des campagnes anti-extrémisme et anti-terrorisme.[2]

Il convient d’observer qu’en dépit des critiques virulentes contre Al-Azhar, et contre le cheikh Al-Tayeb en particulier, l’institution jouit encore de la sympathie du public et du soutien de nombreux membres du parlement.

Le rapport intégral en anglais fait état de tensions entre la présidence égyptienne et Al-Azhar, manifestées par certaines déclarations, l’activité parlementaire, ou encore des articles parus dans la presse égyptienne. Extrait du rapport MEMRI :

Tensions entre le président Sissi et le cheikh d’Al-Azhar Al-Tayeb

Comme indiqué, au cours des récents mois, des tensions considérables sont apparues entre le président Sissi et le cheikh d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb, se reflétant dans les critiques du président contre le cheikh, en public et dans des réunions privées. Actuellement, le principal reproche adressé à Al-Azhar est son peu d’efforts pour promouvoir le renouveau du discours religieux en Egypte, conformément à la demande de Sissi.

  • Le président Sissi réprimande de manière répétée le cheikh d’Al-Azhar – et menace de le remplacer

Plusieurs informations parues dans la presse égyptienne font état du mécontentement du président Sissi concernant l’inaction d’Al-Azhar sur la question ; il l’a clairement affirmé lors de rencontres privées avec le cheikh Al-Tayeb et lors d’événements publics.

Lors des festivités du 1er janvier 2015 marquant l’anniversaire du prophète Mahomet au ministère du Waqf, Sissi a déclaré au cheikh Al-Tayeb : « Les prédicateurs sont responsables devant Allah de renouveler le discours religieux et d’améliorer l’image de l’islam. [Au Jour du Jugement], je plaiderai contre vous devant Allah [si vous ne faites pas le nécessaire]. »[3]

Après une rencontre entre les deux hommes le 30 novembre 2016, le quotidien égyptien indépendant Al-Misriyyoun a fait état de relations glaciales et observé que le président était furieux qu’Al-Azhar se dispense d’attaquer les organisations de l’islam politique, en particulier l’EI et les Frères musulmans, et de sa position anti-chiite agressive.[4]

Peu a toutefois été rapporté ; pour l’essentiel, Sissi prend soin de manifester son respect à l’égard Al-Azhar tout en clarifiant ses positions concernant ses fonctions. Il a ainsi déclaré aux rédacteurs en chef des quotidiens gouvernementaux, dans une interview parue en mai 2017 : “Notre ligne générale est de protéger les institutions de l’Etat égyptien, de les appeler à remplir leur rôle et de les développer d’une manière qui sera adaptée aux défis et aux dangers que nous affrontons. Al-Azhar jouit d’un statut monumental à l’intérieur et à l’extérieur de l’Egypte, et c’est pourquoi nous insistons pour qu’Al-Azhar remplisse son rôle, car tant la région que le monde en ont besoin”.[5]

Lors d’un événement en date du 21 juin 2017 marquant la Laylat Al-Qadr, la nuit au cours de laquelle, selon la tradition musulmane, le Coran a été révélé pour la première fois à Mahomet, Sissi a fait l’éloge d’Al-Azhar, source de fierté pour la position qu’elle occupe depuis plus d’un millénaire. Il a poursuivi en réitérant le besoin d’un renouveau du discours religieux, “question de vie et de mort pour le peuple et pour la oumma ».[6]

Le 26 juillet 2017, quatre mois après les attaques du 8 avril 2017 du Dimanche des rameaux contre l’église de Mar Girgis à Tanta et la cathédrale St Marc d’Alexandrie, Sissi a confirmé sa décision d’établir un Conseil suprême pour combattre l’extrémisme et le terrorisme, sous sa direction, dont les membres incluraient le président du Parlement, le Premier ministre, le cheikh d’Al-Azhar, le patriarche copte, différents ministres, le chef des renseignements égyptiens et le dirigeant de l’Autorité de supervision administrative, ainsi que des personnalités publiques comme l’ancien mufti d’Egypte Ali Goma’a.[7] Bien que le cheikh d’Al-Azhar siège au sein du conseil, des médias égyptiens proches du régime ont interprété la création de ce conseil comme un coup porté à l’autorité d’Al-Azhar ; certains l’ont même qualifiée de preuve de la “fin” d’Al-Azhar. La création de ce conseil, affirment-ils, signifie que la présidence a décidé d’agir sur la question du renouveau du discours religieux, au lieu d’attendre que le ministère du Waqf ou Al-Azhar le fassent.[8]

Un autre litige sérieux entre Sissi et le cheikh Al-Tayeb est intervenu sur la question du talaq – à savoir, le droit du mari musulman de répudier sa femme instantanément en lui répétant trois fois “je te répudie”. Sissi a de nouveau réprimandé At-Tayeb en public. Au cours d’un discours en date du 24 janvier 2017 marquant la Journée de la Police, il s’est adressé directement à lui en ces termes : “Vous m’avez fatigué, mon ami”.[9] Sissi a demandé de mettre fin à cette forme de divorce, répandue en Egypte, et à réglementer les modalités de divorce afin de diminuer le taux de divorce talaq dans le pays. En réponse, le député Amr Hamroush a préparé un projet de loi en ce sens.[11]

Cette demande du président Sissi, qui a aussi obtenu le soutien des médias égyptiens, a été perçue par Al-Azhar comme un affront à l’islam, une tentative de laïciser l’Egypte et de circonvenir l’autorité de l’institution religieuse. Dans un communiqué, le Conseil des érudits d’Al-Azhar a précisé qu’ “en vertu de la responsabilité religieuse d’Al-Azhar et de son statut au sein de la oumma égyptienne, fixé par la constitution de l’Egypte”, il s’était réuni au cours des derniers mois pour aborder les questions sociales actuelles, et notamment la question du divorce religieux, et avait décidé que le talaq était autorisé. De la sorte, le conseil a signifié que c’était la prérogative d’Al-Azhar de prendre les décisions relatives à la loi islamique.[12]

Dr. Yahya Ismail, d’Al-Azhar, a ainsi déclaré : “La guerre contre l’islam et ses jugements est une guerre ancienne. C’est une campagne continue, qui a pour objectif de laïciser l’Egypte…” Il a ajouté : “Il s’agit d’une conspiration contre l’islam et ses directives… Les décisions et conditions concernant le divorce sont bien connues… Le jeu visant à documenter la question du divorce ne date pas d’aujourd’hui, et ce sont les religieux chrétiens qui sont derrière cela [et qui] ont tenté d’influencer certains présidents égyptiens dans cette affaire…” Le maître de conférence d’Al-Azhar Ahmed Karima a également critiqué la demande de Sissi, demandant : “Qui va réussir à éradiquer ce [talaq]? Seul Allah et son Messager… « [13]

Suite au tollé médiatique soulevé par la question du divorce, les deux parties se sont efforcées de calmer le jeu et de montrer que les choses étaient revenues à la normale. Le 26 février 2017, Sissi a souligné, lors d’une rencontre avec le cheikh Al-Tayeb, qu’Al-Azhar était comme un phare de l’idéologie islamique modérée.[14] Le conseiller d’Al-Tayeb Muhammad ‘Abd Al-Salam a également démenti l’existence d’un quelconque désaccord entre les deux institutions d’Al-Azhar et de la présidence.[15]

Lire le rapport intégral en anglais

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