Par Yigal Carmon *
Quatre ans après la guerre de Gaza de 2014, le mythe selon lequel il serait nécessaire de reconstruire Gaza persiste. Ce mythe est nourri par des officiels tant israéliens qu’américains. Visitant les tunnels du Hamas qui conduisent en Israël depuis Gaza, le représentant spécial américain pour les Négociations internationales Jason Greenblatt a émis de vives critiques envers le Hamas en raison de son gaspillage des ressources au profit de “tunnels et roquettes visant à attaquer Israël, au lieu d’aider les habitants de Gaza en leur fournissant de l’électricité, de l’eau courante et en assurant la croissance économique”.[1]
Des officiels israéliens haut placés ont fait savoir au quotidien israélien Haaretz que le Qatar était “l’un des seuls pays au monde à se préoccuper véritablement de l’amélioration de la situation à Gaza »,[2] impliquant que l’aide du Qatar était nécessaire.
Mais Gaza a-t-elle vraiment besoin de l’aide du Qatar, quatre ans après la guerre ? Et si ce n’est pas le cas, à qui profite le mythe selon lequel elle en a besoin, et quel est son objectif ?
Tout d’abord, les faits : les inégalités existent dans le monde entier, de l’est à l’ouest, et Gaza n’est pas une exception. Mais la présentation de Gaza comme tout entière dévastée par la pauvreté et la destruction et ayant un besoin désespéré de l’assistance internationale est un mensonge – comme l’a montré non pas la propagande israélienne, mais la BBC en arabe, et nulle autre qu’Al-Jazeera, bras médiatique du Qatar.
Al-Jazeera a diffusé des informations donnant une image très différente de Gaza ; un reportage télévisé d’Al-Jazeera du 26 novembre 2017 sur le développement des centres commerciaux à Gaza faisait état d’un essor économique (pour voir la vidéo de MEMRI TV à ce sujet, cliquez ici). Un reportage du 13 janvier 2018 d’Al-Jazeera montrait comment le chômage des jeunes à Gaza – problème très répandu dans le monde, y compris en Inde et en Europe – était traité, au moyen notamment d’une formation à l’informatique permettant de travailler à distance. La vidéo montrait des centres de formation professionnelle, des universités et une vie étudiante active à Gaza (pour voir le reportage intégral non traduit d’Al-Jazeera, cliquez ici). Fin 2016, la BBC en arabe diffusait un reportage sur les restaurants de Gaza, montrant, selon ses propres termes, “un aspect luxueux, vivant, riche” de Gaza (pour voir le clip de MEMRI TV cliquez ici).
Début janvier 2018, l’Autorité des postes-frontières du ministère de la Défense israélien a publié un rapport sur la circulation entre Israël et Gaza, selon lequel en 2017 seulement, 160 000 camions chargés de denrées alimentaires et de marchandises de toutes sortes étaient entrés à Gaza depuis d’Israël (lire le rapport ici). De manière évidente, les grossistes de Gaza acquièrent ces marchandises, que leurs clients achètent à leur tour.[3]
Les coupes d’électricité intervenues l’an dernier à Gaza furent la conséquence du défaut de paiement de la facture par l’Autorité palestinienne. Depuis que d’autres pays arabes ont assumé la responsabilité de ce paiement, la crise s’est apaisée et il y a de l’électricité plus de quatre heures par jour. Si les Gazaouïs payaient l’électricité pour toute la journée, ils pourraient en bénéficier. Peuvent-ils assumer la facture ? Les vidéos mentionnées ci-dessus montrent qu’ils le peuvent.
Pendant des années, l’approche d’Israël envers le Qatar, tout comme celle des Etats-Unis, a été inexplicable. Tous deux n’ont pas seulement fermé les yeux sur la politique hostile, anti-américaine, antisémite et soutenant le terrorisme du Qatar, mais l’ont aussi aidée de toutes les manières possibles. Concernant les Etats-Unis, il existe une explication vraisemblable : le Qatar a construit la base aérienne d’Al-Udeid pour les Etats-Unis, et il accueille le siège avancé de CENTCOM, aussi les Etats-Unis se sentent redevables, à tort. Depuis que le père de l’émir actuel a déposé son propre père, le Qatar a un besoin vital de la présence américaine, en force, pour protéger son régime contre ses voisins de la région. Sans sa base américaine, il serait perdu.[4]
Mais la politique d’Israël envers le Qatar est déconcertante. Le Qatar est un soutien des Frères musulmans, du Hamas et du mouvement islamique en Israël, et un allié de la Turquie, qui se considère comme un allié de l’Iran et comme un ennemi d’Israël et qui, sous la présidence d’Erdogan, adhère à l’idéologie islamiste qui cherche à annihiler Israël. Israël fait aussi l’objet de propagande anti-israélienne sur Al-Jazeera, organe médiatique du Qatar, allant jusqu’à l’incitation aux attaques terroristes (voir le clip de MEMRI TV). La seule explication plausible est que la politique mal inspirée d’Israël vis-à-vis du Qatar est le fait d’officiels haut-placés qui défendent des intérêts personnels, et est approuvée par un Premier ministre mal informé sur le Qatar et sur Gaza.
Dans tous les cas, lorsque l’Arabie saoudite, les EAU et l’Egypte voient Israël soutenir leur ennemi le Qatar, dans sa tentative pour étendre l’influence de Doha à Gaza, sous domination du Hamas, quatre ans après la guerre, alors que son économie n’est pas seulement redressée, mais en plein essor, ils ne peuvent que conclure qu’Israël joue un double jeu – dont les conséquences destructrices se feront nécessairement sentir tôt ou tard.
* Yigal Carmon est le président de MEMRI.
[1] Twitter.com/jdgreenblatt45?lang=enon, 28 janvier 2018.
[2] Haaretz (Israël), 20 janvier 2018.
[3] Nonobstant ce passage de camions, le gouvernement israélien continue de prétendre qu’il impose une fermeture de Gaza, et ni le Premier ministre ni aucun autre ministre israélien n’ont pu expliquer aux journalistes étrangers au point de passage entre Israël et Gaza de Kerem Shalom, devant les centaines de camions qui entrent chaque jour à Gaza, que cette “fermeture” est en fait un simple contrôle pour empêcher la contrebande d’armes et de produits à usage multiple.
[4] Voir MEMRI Daily Brief No. 146, Qatar, The Emirate That Fools Them All, And Its Enablers, 18 janvier 2018.