Par A. Savyon et Yigal Carmon*

Lors d’une conférence de presse conjointe à Tokyo, le 27 mai 2019, avec le Premier ministre japonais Abe, le président des Etats-Unis Donald Trump a clarifié que s’il n’avait aucun intérêt à voir un changement de régime en Iran, il ne voulait pas que l’Iran se dote d’armes nucléaires.[1]

Le ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif a répondu immédiatement aux déclarations du président Trump, tweetant l’argument fallacieux de l’Iran selon lequel il ne cherchait pas à obtenir d’armes nucléaires, parce que cela était interdit par une fatwa émise par le Guide suprême iranien Ali Khamenei :

Twitter.com/JZarif/status/1133080561235484672

De même, le vice-président iranien Eshaq Jahangiri, un réformiste, a réitéré l’argument mensonger selon lequel une fatwa de Khamenei aurait interdit les armes nucléaires, lors d’une visite le 28 mai à une exposition à Téhéran. Il a déclaré que : « Le Guide suprême de la Révolution [Khamenei] a émis une fatwa ainsi qu’un édit du régime, selon lesquels il existe une interdiction religieuse de posséder des armes nucléaires. Nous l’avons publiée en tant que document devant l’ONU… » [2]

La fatwa a servi à l’Iran lors des négociations avec les Européens – comme garantie religieuse qu’ils ne développeraient pas d’armes nucléaires

Il convient d’observer que le « document devant l’ONU » auquel se réfèrent les hauts responsables iraniens est une lettre de Cyrus Nasseri, représentant de l’Iran à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), présentée lors de la réunion du Conseil d’administration de l’AIEA en août 2005. La lettre mentionnait qu’une telle fatwa avait été émise par Khamenei. Toutefois, ce document n’est pas une fatwa ; la fatwa elle-même ne peut être consultée nulle part (voir l’Annexe II de MEMRI Inquiry and Analysis No. 825, Renewed Iran-West Nuclear Talks – Part II: Tehran Attempts to Deceive U.S. President Obama, Sec’y of State Clinton With Nonexistent Anti-Nuclear Weapons Fatwa By Supreme Leader Khamenei, 19 avril 2012).

Le président iranien Hassan Rohani a lui-même déclaré, lors d’une interview en mai 2012, qu’il avait eu l’idée d’affirmer que Khamenei avait rendu une telle fatwa, lors d’un sermon du vendredi en novembre 2004. Toutefois, une telle fatwa ne figure pas sur le site des fatwas de Khamenei, ni en novembre 2004, ni à aucune autre date. L’initiative de Khamenei était destinée, selon lui, à être présentée aux Européens comme garantie que l’Iran ne viserait pas à obtenir des armes nucléaires [voir MEMRI en français, Le succès de la nouvelle stratégie iranienne (I) – L’administration américaine gobe le mensonge d’une « fatwa » de Khamenei contre les armes nucléaires, 3 octobre 2013.]

Comme l’a montré MEMRI à de nombreuses reprises dans des rapports antérieurs, une telle fatwa n’a jamais existé. L’argument de l’Iran sur l’existence d’une telle fatwa – dans une tentative de l’utiliser comme substitution aux mesures de surveillance intrusives – a été soutenu par l’administration Obama, alors même que personne n’a pu produire cette fatwa. De fait, en 2012, les médias américains ont rapporté que l’administration Obama avait utilisé cette fatwa non existante comme justification pour reprendre les négociations nucléaires avec l’Iran. Ainsi, le 11 mai 2012, David Ignatius a écrit dans le The Washington Post que le président Obama avait envoyé un message à Khamenei, remis en mars 2012 par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, selon lequel sa « fatwa interdisant les armes nucléaires serait un bon point de départ pour les négociations ».[3]

Suite aux déclarations de Trump, Khamenei évoque la production iranienne d’armes nucléaires – sans mentionner sa prétendue fatwa

Le 29 mai 2019, apparemment en réponse aux déclarations du président Trump, Khamenei a lui-même mentionné la question de la production d’armes nucléaires, mais sans mentionner la fatwa qu’il avait lui-même rendue. Il a déclaré :

« Nos capacités scientifiques et techniques dans le domaine nucléaire sont élevées, pourtant nous ne cherchons pas à produire d’armes nucléaires. Non à cause de l’Amérique, non à cause des sanctions, mais pour des raisons de principes. Notre principe rationnel n’autorise pas les armes de destruction massive, telles que les armes chimiques ou nucléaires, etc. Il s’agit d’interdictions religieuses. Certains nous disent : ‘Dites qu’elles seront produites, mais pas utilisées.’ Non, car cela aussi est une erreur. Parce que si nous produisons [des armes nucléaires], cela signifie que nous n’en profiterons pas, même si nous y avons consacré beaucoup d’argent. Même pour l’autre partie, lorsqu’elle saura que nous ne sommes pas censés les utiliser, cela sera comme si nous n’avions rien du tout. Ainsi, la fabrication [d’armes nucléaires], alors que [depuis le début] nous n’avons pas l’intention de les utiliser, est absolument illogique et malavisé. Par conséquent, nous nous y opposons par principe. C’est notre principe religieux et jurisprudentiel. Nous ne cherchons pas à obtenir d’armes nucléaires, mais nous devons enrichir [de l’uranium]. » [4]

Concernant l’interdiction religieuse sur les armes nucléaires, il convient d’observer que cet argument a été totalement réfuté. Le Pakistan islamique a développé des armes nucléaires, et l’expert nucléaire pakistanais Abdul Qadeer Khan a fourni à l’Iran son savoir-faire nucléaire initial.

De même, il est de notoriété publique – y compris à partir des rapports de l’AIEA – que jusqu’en 2003, sous Khamenei, I’Iran avait développé des composantes d’armes nucléaires. Les déclarations de Khamenei sont un témoignage concret qu’il y avait une intention, ou une proposition, de responsables du régime iranien de posséder des armes nucléaires, sans intention de les utiliser. Ces déclarations sont une preuve irréfutable que le régime iranien avait clairement abordé la question de développer des armes nucléaires, et que toutes les discussions du régime iranien et de l’administration Obama sur une fatwa garantissant que l’Iran ne développerait pas d’armes nucléaires étaient infondées.

Rapports de MEMRI sur la fatwa non-existante

On trouvera ci-dessous les rapports publiés par MEMRI ces dernières années au sujet de la fatwa non-existante :

* Yigal Carmon est le Président de MEMRI ; A. Savyon est la Directrice du MEMRI Iran Media Project.

Lire le rapport en anglais

Notes :

[1] Whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-prime-minister-abe-japan-joint-press-conference-3, 27 mai 2019.

[2] Fars (Iran), 28 mai 2019.

[3] « Le président Obama a envoyé un message informel à Khamenei en mars, selon lequel sa fatwa interdisant les armes nucléaires serait un bon point de départ pour les négociations. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a remis le message lors de sa rencontre avec Khamenei, le 29 mars. La sous-secrétaire d’Etat Wendy Sherman a réitéré le message d’Obama lors du premier cycle des négociations avec les Iraniens à Istanbul, le 14 avril. » The Washington Post, 11 mai 2019.

[4] Farsi.khamenei.ir/speech-content?id=42700, 29 mai 2019.

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