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Hamad bin Jassim Al Thani, ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatarien, a accordé une longue interview à la chaîne télévisée Qatar TV, dans laquelle il affirme qu’il peut comprendre la colère contre la chaîne Al-Jazira dans certains pays et que la chaîne a été « une source de problèmes pour nous ». Concernant l’établissement des relations entre le Qatar et Israël, il a déclaré : « Pour se rapprocher de l’Amérique, il était important d’avoir des relations avec Israël, car Israël peut vous ouvrir beaucoup de portes en Amérique ». Bin Jassim a mis en garde les pays arabes qui entretiennent des relations avec Israël de ne pas négliger la cause palestinienne et a critiqué « la concurrence acharnée pour s’attirer les faveurs d’Israël et se rapprocher de lui ». Au sujet des relations du Qatar avec le Hamas, il a déclaré : « Le Qatar est une monarchie, avec des objectifs qui diffèrent des objectifs du Hamas ». L’interview a été diffusée le 25 octobre 2017. Extraits : 

Hamad bin Jassim Al Thani : Pour être honnête, la position anti-Al-Jazira [des Etats du Golfe] pourrait être due à l’ingérence d’Al-Jazira dans certaines affaires. Al-Jazira a commencé à écrire et à parler de certaines choses dans notre région, qui ne sont habituellement pas abordées d’une manière aussi candide. Pour être honnête, je pense qu’Al-Jazira a commis des erreurs : lorsqu’une chaîne télévisée passe d’un manque de liberté à la liberté, cela génère le chaos. Le chaos régnait dans certaines émissions, avec certains invités, etc. Nous avons toujours essayé de trouver un moyen d’en débattre sans interférer dans le processus éditorial, car l’émir s’est engagé à ne pas s’ingérer dans la politique éditoriale. Mais je peux comprendre une grande partie de la colère qu’Al-Jazira a provoquée dans certains pays […] 

Journaliste : Al-Jazira a-t-elle été créée pour régler des comptes avec…

Hamad bin Jassim Al Thani : Non, comme je vous l’ai dit, l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani voulait que les Arabes entendent une voix claire sur ce qui se passe dans le monde arabe. Par conséquent, comme vous l’avez peut-être remarqué, il n’y avait pratiquement aucun sujet sur le Qatar à l’époque, car Al-Jazira traitait l’ensemble du monde arabe. Puis [certains pays] ont rappelé leurs ambassadeurs. Il y avait beaucoup de problèmes. Cela fut une source de problèmes pour nous, pour être honnête. […]

[Les pays] ne peuvent imposer leurs opinions par la force, surtout s’ils veulent attirer des investisseurs, changer le système éducatif, changer le système de santé, s’occuper de l’emploi… Comment créer des emplois pour nos peuples ? Comment pouvons-nous améliorer leurs vies ? […]

Si nous voulons que les gens nous fassent confiance, nous ne pouvons pas dire d’un pays qu’il est grand et d’un autre qu’il est petit, et [affirmer] que le petit pays doit accepter notre position, sinon nous le traiterons d’une manière non civilisée, comme autrefois, quand une tribu en attaquait une autre, et qu’elles se réconciliaient le jour suivant. Ces temps sont révolus. Il y a des Etats à présent, et nous devons agir comme des Etats. Nous savons – et je l’ai répété à deux reprises – que l’Arabie saoudite est notre grand Etat frère. Elle est tenue en estime, mais elle doit aussi prendre soin des petits pays de la région. […]

Israël nous a tous tétanisés, et c’est un pays qui… Certains parlent de la petite taille du Qatar, affirmant que nous agissons comme si nous étions quatre fois plus grands que nous le sommes. Très bien, c’est vrai. Mais si nous agissons comme si nous étions quatre fois plus grands, Israël agit comme s’il était cinq fois plus grand. Le revenu national brut d’Israël est plus élevé que celui de tous les pays arabes, même plus élevé que celui de tous les pays du CCG [Conseil de coopération du Golfe], même si Israël n’a pas de pétrole. Mais ils ont de [grands] esprits. Il y a quatre millions [sic] de personnes qui vivent là-bas, dont trois millions possèdent des passeports étrangers et peuvent émigrer. Mais ils ont un objectif [commun] qu’ils essaient d’atteindre, et à présent, nous avons tous peur d’eux et recherchons leur amitié. Plus personne ne parle de la question de Jérusalem. Nous discutons à présent de la manière de normaliser nos relations avec Israël. […] 

Journaliste : Parlons des relations Israël-Qatar. Comment ces relations ont-elles commencé et pourquoi ont-elles pris fin ?

Hamad bin Jassim Al Thani : Les relations ont été initiées à l’époque des [pourparlers de] paix, après la Conférence de Madrid [de 1991]. L’optimisme régnait sur la possibilité de conclure un accord de paix, et pour être honnête, à l’époque… Permettez-moi de parler avec franchise, car je ne suis plus un diplomate ou quoi que ce soit, ces jours-ci. Afin de se rapprocher de l’Amérique, il était important d’avoir des relations avec Israël, car Israël pouvait vous ouvrir beaucoup de portes en Amérique. Nous avons donc institué et développé des relations, puis ils ont ouvert un bureau commercial ici. Ces relations ont connu des accords et des désaccords, mais elles ont existé, et ont continué à exister après la fermeture du bureau commercial. Le bureau commercial a été fermé après la conclusion d’un accord pour l’envoi d’une aide humanitaire ainsi que de médecins [à Gaza] via le port d’Ashdod, qui est un port israélien. Il était convenu que nous enverrions de la nourriture et du matériel médical à Gaza, qui était alors assiégée.

[Tsipi] Livni, la ministre des Affaires étrangères de l’époque, a déclaré qu’ils n’avaient aucune objection à cela. Nous voulions livrer l’aide directement au port de Gaza, mais ils ont dit que l’aide devait débarquer à Ashdod, et de là, elle devait être livrée en voiture. Nous avons dit : « Très bien ». Ashdod est très proche de la frontière de Gaza. La veille de l’arrivée prévue du navire, ils ont dit qu’il ne devait pas arriver et que si c’était le cas, ils l’attaqueraient. Quand nous avons demandé pourquoi, ils ont dit qu’ils avaient reçu des ordres de l’armée. Plus tard, nous avons appris que les ordres venaient d’un certain pays arabe [c’est-à-dire l’Egypte]. Les [Egyptiens] n’étaient pas d’accord sur le fait que, alors qu’ils assiégeaient Gaza de toutes parts, le Qatar livre de l’aide, et de surcroît via un port israélien. Nous avons dit [aux Israéliens] : Mais nous avions un accord… Eh bien, ont-ils dit, c’est un grand pays arabe voisin, et nous ne voulons pas avoir de problème avec eux à ce sujet. Ils ont dit qu’ils avaient des intérêts communs [avec l’Egypte]. Nous l’avons compris. […]

Israël entretient des relations chaleureuses avec certains frères, et je ne suis pas opposé à cela. Je pense que c’est une chose positive. Mais je voudrais juste avertir [ces pays arabes] de faire en sorte que ces relations aient de bonnes bases, et qu’ils ne négligent pas les droits des Palestiniens ni Jérusalem. Ils ne doivent pas négliger les questions sur lesquelles il y a un consensus arabe. En dehors de cela, nous les soutenons. Tout moyen pour faire la paix… Nous soutenons la paix et nous soutenons la tahdiya [trêve]. Nous sommes en faveur d’une vie normale pour la population dans cette région. Prenez, par exemple, la question de Shalit… […] 

Journaliste : Le soldat israélien…

Hamad bin Jassim Al Thani : Nous étions ceux qui ont passé des jours et des nuits à consulter des listes, à rencontrer le médiateur allemand et toutes les parties concernées, et la veille de l’échange, ils ont dit : « Nous devons le faire via un autre pays, vous savez comment c’est… » Nous leur avons dit que nous n’avions pas d’objection à cela. Si vous voulez accorder cela à l’Egypte, nous n’avons aucun problème. Tout ce qui compte, c’est de résoudre le problème et de libérer les prisonniers palestiniens. La reconstruction de Gaza… Maintenant [l’Egypte] reconstruit Gaza et traite avec le Hamas. Mais l’une de leurs 13 demandes est que nous ne devons pas traiter avec le Hamas. Très bien. Nous ne traiterons pas avec le Hamas. Laissons [les Egyptiens] s’occuper de cela. Je suis sûr que notre peuple a d’autres problèmes à régler que le Hamas, etc. Notre orientation diffère de celle du Hamas.

Journaliste : Cela m’amène à la question des relations entre le Qatar et le Hamas.

Hamad bin Jassim Al Thani : Notre orientation est différente. Le Qatar est une monarchie, avec des objectifs qui diffèrent de ceux du Hamas, mais nous parlons de la population de Gaza, de quelque deux millions de personnes assiégées. Notre but fondamental est de les aider. Si quelqu’un peut résoudre le problème à sa manière, nous le soutiendrons. Je suis sûr que notre peuple soutiendra cela. Il n’y aura pas de désaccord. Mais la concurrence acharnée pour s’attirer les faveurs d’Israël et se rapprocher de lui, et la concurrence féroce sur qui résoudra ce problème ou ce problème – je pense que c’est une perte de temps pour nous, les gens qui vivent dans la région. Nous devons nous focaliser sur d’autres questions. Nous devons nous focaliser sur l’économie, sur la société, les emplois, l’éducation et les soins de santé… Notre peuple nous demandera ce qu’il est advenu de tous les barils de pétrole et des milliards de dollars.

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