Mohamed Othman Elkhosht, président de l’université du Caire, a déclaré lors d’une conférence diffusée en direct sur la chaîne YouTube de l’université d’Al-Azhar, le 28 janvier 2020, que les sciences religieuses étaient en état de stagnation ; il a déploré le fait que l’analyse critique et scientifique ne soient pas utilisées dans le cadre religieux. Il a déclaré que l’érudition islamique n’était pas parvenue à entrer dans une nouvelle ère et a appelé à l’interdisciplinarité.
Cheikh Ahmad Al-Tayyeb, grand imam de l’Université Al-Azhar, a répondu que l’héritage islamique était quasi absent de la vie des musulmans et que les concepts d’identité arabe et musulmane étaient devenus vides de sens. Il a ajouté que les dirigeants occidentaux tels que Trump et Netanyahou prenaient toutes les décisions relatives au monde arabe. Selon lui, le conflit entre la modernité et l’héritage islamique est un produit occidental visant à freiner le monde musulman. Extraits :
Mohamed Othman Elkhosht : Les sciences religieuses sont dans un état de stagnation. Elles reposent sur la copie et la reproduction. […]
Il n’y a pas d’analyse critique, pas d’analyse scientifique et pas d’utilisation de méthodologies issues des sciences humaines ou sociales. Toutes les batailles d’autrefois se répètent. Nous vivons encore à l’époque de la fitna du calife Othman. Les mêmes vieilles batailles continuent aujourd’hui. Toutes les batailles de l’Etat islamique sont identiques à celles de l’avènement [de l’islam], car nous avons été incapables d’entrer dans une nouvelle ère. J’appelle donc au développement des sciences religieuses, et non à leur renaissance, car une telle renaissance signifierait l’adoption en bloc les sciences religieuses du passé. […]
Certains accusent l’imam Ahmad Ibn Hanbal d’être un extrémiste. Je m’adresse ici à des érudits très instruits. Pour la plupart des questions de jurisprudence qui figurent dans les livres de l’école Hanbalite, l’imam Ahmad Ibn Hanbal avait trois opinions différentes. […]
Où avons-nous puisé le concept d’« opinion unique » ou de « vérité unique » ? Pas des imams du passé… Si j’appelle à l’élaboration de nouvelles sciences [religieuses], cela ne signifie pas que je leur manque de respect. J’appelle à suivre leur exemple plutôt que leur école de jurisprudence. […]
Dans le cadre du renouvellement [de la pensée religieuse], sortons du cercle fermé [de la religion] et ouvrons-nous aux autres cercles des sciences humaines et sociales. J’appelle également à des études interdisciplinaires – au lieu de considérer les sciences religieuses comme une île déserte. Les juristes et les érudits de la charia, les exégèses et les hadiths sont devenus des îles désertes. Nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’interdisciplinarité. […]
Ahmad Al-Tayyeb : Monsieur, l’héritage [islamique] est tourné en dérision aujourd’hui… Nous nous en moquons et en faisons un objet de crainte… Cet héritage [islamique] a embrassé un groupe de tribus arabes qui se livraient bataille et ne pouvaient distinguer leur droite de leur gauche, et en 80 ans, leur a permis de mettre un pied à Al-Andalus et un autre en Chine. Parce qu’ils se sont focalisés sur les points forts de cet héritage. Cet héritage a créé une nation entière et a coexisté avec l’histoire. Dites-moi, Monsieur – et vous êtes notre professeur dans ce domaine – comment le monde islamique a-t-il progressé avant l’invasion française [de 1798] ? Qu’est-ce qui l’a mis en mouvement ? N’était-ce pas la charia et l’héritage [islamique] ? […]
Par conséquent, qualifier l’héritage [islamique] de vecteur de faiblesse et de retard, c’est ne pas lui rendre justice. […]
Entre nous, pensez-vous que l’héritage [islamique] soit respecté aujourd’hui ? Je ne pense pas que notre héritage soit respecté aujourd’hui. Je veux dire, nous mangeons comme des Européens avec un couteau et une fourchette, en utilisant nos deux mains. Nous utilisons des voitures européennes et américaines. […] Nous pensons comme les Européens. Nos programmes scolaires ressemblent aux leurs. Nos politiques suivent le modèle européen-occidental. L’islam – et non l’héritage [islamique], pour être honnête – est peut-être appliqué en matière de mariage, de divorce, d’héritage, et rien d’autre. Alors, où est-ce que… En fait, je ne vois pas où… Au contraire, je m’attendais à ce que l’on dise que cet héritage est absent de nos vies.
Mohamed Othman Elkhosht : Tout l’héritage ?
Ahmad Al-Tayyeb : Notre identité a été perdue. Dites-moi, Monsieur, que signifie notre identité d’Arabes et de musulmans aujourd’hui ? Rien.
Mohamed Othman Elkhosht : Rien.
Ahmad Al-Tayyeb : Rien, aujourd’hui. Nos affaires sont décidées par d’autres. Quelle honte quand j’ai vu Trump avec ce [Premier ministre] d’Israël… Ce sont eux qui planifient, parlent, décident et résolvent nos problèmes. Il n’y a pas d’Arabe ou de musulman [parmi eux]. C’est là que nous devrions nous battre. J’espère que vous êtes au courant de ce qui se passe dans les coulisses. Cette guerre entre l’héritage et la modernité a également été inventée pour nous freiner. Si vous demandez à quelqu’un… Vous devez venir d’un village.
Allez demander à quelqu’un qui travaille sur sa charrue si ce que fait l’Etat islamique fait partie de l’islam. Il vous dira sûrement que ce qu’ils font ne fait pas partie de l’islam. Nous, en tant qu’érudits et cheikhs d’Al-Azhar, l’avons dit plus d’une fois, et nous avons tenu une, deux ou dix conférences. Nous avons dit que l’islam et les musulmans sont innocents de ce terrorisme. Malgré tout, nous avons dû affronter des accusations constantes sur la nature terroriste de l’islam, et nous avons dû tenir des conférences pour dire que le terrorisme ne fait pas partie de l’islam. Il existe une machine maudite et vicieuse qui dirige l’opinion des gens [sur l’islam].
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