Ibrahim Karagül, confident du président turc Recep Tayyip Erdogan et rédacteur en chef du quotidien Yeni Safak, organe de presse du parti turc au pouvoir AKP, a mis en garde contre l’émergence d’un « nouvel axe » encourageant le conflit entre Turcs et Arabes au Moyen-Orient. Selon Karagül, ce nouvel axe englobe les Etats-Unis, le Royaume-Uni, Israël, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Karagül a affirmé que l’Arabie saoudite était la principale puissance économique de l’axe, tandis que les EAU seraient responsables du trafic régional. Cet axe s’oppose à la Turquie et vise à l’évincer de la région, en la confinant aux frontières de l’Anatolie, a-t-il précisé.
Karagül a souligné que ce front qui avait été édifié contre l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale était en train de se reconstituer contre la Turquie. Il a ajouté que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman (MBS) et le prince héritier des EAU Mohammed ben Zayed (MBZ) favorisaient le sentiment anti-turc et anti-ottoman dans la région, en suscitant une nouvelle vague de nationalisme arabe.
Toutefois, Karagül a estimé que le plan de MBS et de MBZ était voué à l’échec, car ces derniers ne parviendraient pas à mobiliser les élites exécutives arabes. En outre, a averti Karagül, ce plan mettrait la nation saoudienne « gravement en danger ».
Pour Karagül, l’Arabie saoudite et les EAU vivent dans l’illusion qu’ils sont la puissance véritable de ce nouvel axe, alors qu’ils seraient en réalité manipulés par l’Occident, car Washington viserait « la région tout entière ». Karagül a ajouté que si l’Arabie soutient l’Occident, elle deviendra la prochaine cible après la Syrie. « Ce sera la conséquence de sa dépendance à l’Occident et de son aveuglement politique », a estimé Karagül.
Extraits de son éditorial, intitulé « Que signifie ‘se préparer à une situation grave’ ? Quelqu’un souhaite-t-il une guerre turco-arabe ? La bataille pour La Mecque et Médine va commencer… Faites attention à notre région pendant la période électorale ! » [1]
Préparatifs en vue d’une guerre régionale
… La visite prochaine du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou à Bahreïn, après Oman, la visite du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salman aux Emirats arabes unis (EAU) après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et l’étrange trafic entre les EAU, les pays du Golfe, Israël, l’Arabie saoudite et l’Egypte sont des signes préoccupants. Voici le commentaire du cabinet de Netanyahou concernant sa prochaine visite à Bahreïn : « Cette visite n’est qu’un prélude à un événement plus grand, pour un autre Moyen-Orient. C’est le début de nouvelles relations et une indication que nous sommes sur la bonne voie pour rectifier l’histoire… »
J’ai interprété cette formulation comme signifiant une guerre régionale. Je l’ai lue comme attestant des préparatifs d’une guerre régionale, qui inclura tous les pays situés entre le golfe Persique et la mer Rouge.
Des fronts sont en voie d’édification pour un nouvel axe, qui se dressera contre la Turquie et tentera de l’évincer de la région, pour en construire une nouvelle….
Tous les patrons sont clairs. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Israël. Le principal acteur en termes d’économie et de puissance est l’Arabie saoudite. C’est pourquoi le prince héritier Salman, qui a donné l’ordre d’assassiner Khashoggi, est devenu le dirigeant d’Arabie saoudite. La personne qui dirige le trafic régional est le prince héritier de l’émirat d’Abou Dhabi aux EAU, Mohammed ben Zayed.
Le front d’invasion d’il y a un siècle a été reconstruit. Ce plan, qui prétend vouloir punir l’Iran, est conçu en réalité pour évincer entièrement la Turquie de la région et la confiner aux frontières de l’Anatolie.
Ces cercles qui dirigent le front anti-turc aujourd’hui l’avaient édifié contre l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale
L’Arabie saoudite, pays clé du projet, doit choisir entre sauver la situation et sauver son avenir. Si elle se préoccupe de sauver la situation, tant le pays que la région seront annihilés. L’Arabie saoudite peut sauver le prince héritier, et surmonter l’épreuve actuelle, mais elle perdra son avenir. Car si elle le fait, l’Arabie saoudite deviendra un « pays otage » au plein sens du terme.
Le projet mis en œuvre par le biais de Mohammed ben Salman et de Mohammed ben Zayed conduira à la destruction de la région, et avant cela, à la division de l’Arabie saoudite. Les opérations de Zayed, visant tous les lieux situés autour de la région mer Rouge-golfe Persique – et en particulier le Yémen, la Syrie, l’Irak, l’Arménie, la Somalie, le Soudan et l’Egypte – sont des interventions étrangères et préparent la voie à l’infrastructure d’un projet majeur.
(…) Ce n’est pas le plan des EAU, mais un scénario multinational. En outre, le fait de financer le terrorisme et des groupes d’assassins laisse présager un mauvais avenir. Il y a des cercles qui sont en train de reconstruire le front jadis édifié contre l’Empire ottoman, durant la Première Guerre mondiale – contre la Turquie aujourd’hui.
Ce scénario est élaboré avec l’argent des EAU, et avec l’argent et le pouvoir des Saoudiens. Ceux qui mettent en œuvre ce projet sont Zayed et Salman. Ils le promeuvent en gagnant les faveurs de l’Occident, avec « l’islam modéré ». Ils tentent de mobiliser en gelant les problèmes israélo-arabes. Et en éveillant un sentiment anti-turc et anti-ottoman, en incitant à une nouvelle vague de nationalisme arabe.
Une guerre turco-arabe n’éclatera pas – Les élites arabes ne sont pas aux côtés de l’Arabie saoudite et des EAU
Le cerveau derrière ce nouvel axe veut une guerre turco-arabe. Le scénario d’il y a un siècle a été remis au goût du jour. S’il est évident qu’ils échoueront, la mobilisation de certaines élites exécutives arabes en ce sens est fort malheureuse. Le moment venu, nous verrons ensemble comment l’avenir politique de ces cercles sera anéanti.
Nous le voyons d’ores et déjà. La Turquie est avertie de tous ces plans, et elle prend les mesures adéquates. Elle ne se laissera pas avoir à ce jeu, et elle l’a prouvé (…).
L’Arabie saoudite deviendra une « cible ouverte » après la Syrie
Je dirai quelque chose d’encore plus important : ces plans sont tous mis en œuvre en raison de l’aveuglement politique de l’administration de Riyad. Le prix de cet aveuglement sera payé par la nation et par le peuple saoudien. C’est la nation qui est gravement en danger. C’est le pays qui deviendra une cible ouverte, après la Syrie. C’est le pays qui est visé par le piège tendu par le biais des deux princes héritiers.
Le danger frappe à la porte de l’Arabie saoudite. Jusqu’à aujourd’hui, les pays arabes n’ont jamais été capables de contrer une menace internationale. C’est la conséquence de leur dépendance vis-à-vis de l’Occident et de leur aveuglement politique.
C’est leur incapacité à comprendre les plans occidentaux qui visent la région tout entière. Cela est dû au fait qu’ils pensent pouvoir se préserver en entretenant de bonnes relations avec les Etats-Unis et les autres pays occidentaux. Toutefois, nous avons affaire à un plan vieux de plusieurs siècles, non à un processus qui peut être géré par de bonnes relations. Il n’existe aucun moyen de surmonter la situation sans une bonne perspective d’avenir.
Actuellement, l’Arabie saoudite a été transformée en terrain de jeu, en zone de pillage, ce qui a encore accru la surprise de Riyad. A tel point qu’elle est incapable de développer ne serait-ce que l’initiative qui pourrait découler de la crise vécue par le prince héritier. Elle ne parvient pas à comprendre que, si elle s’abstient de le faire, elle sera incapable de franchir la ou les étapes suivantes. Imaginez un prince héritier avec une telle cicatrice tenant la barre de l’Arabie saoudite. Où serait ce pays sur l’arène internationale ? L’administration de Riyad n’est même pas capable de comprendre cela.
Les désastres qu’a connus la région depuis la guerre du Golfe en 1991 ont été la conséquence de l’aveuglement politique des Saoudiens. Observez l’activité à la frontière arabo-perse. Jusqu’en 1991, la frontière Irak-Iran était la frontière arabo-perse. A présent, cette frontière correspond à la frontière de l’Arabie saoudite.
J’ai le fort sentiment que des discussions sur La Mecque et Médine approchent. Particulièrement après le dernier accord secret de Jérusalem, la Turquie et d’autres pays musulmans devraient tenter de développer des concepts politiques concernant ces deux régions sacrées – du moins dans leurs esprits – dès à présent. Car l’Occident a déjà commencé à préparer des scénarios.
Nous allons assister à de très rapides changements dans notre région. Toutefois, la Turquie a depuis longtemps cessé d’être ce pays qui se retire dans sa coquille et oublie le monde extérieur. S’ils ont de telles idées, cela ne marchera pas.
Lien vers le rapport en anglais
Note :
[1] Yenisafak.com, 24 novembre 2018.