Le 16 mai 2018, au cours de la session “Questions au président” de la cinquième conférence nationale de la jeunesse égyptienne, qui s’est tenue au Caire,[1] le président de l’Egypte Abd Al-Fattah Al-Sissi a répondu aux questions de citoyens envoyées à l’avance. L’une d’elles concernait la position de l’Egypte vis-à-vis d’Israël, au vu de l’escalade dans la bande de Gaza et de la Marche du retour à la frontière entre Gaza et Israël. Le président Al-Sissi a répondu que l’Egypte entretient des contacts avec les parties israélienne et palestinienne, et qu’elle leur envoie des messages pour tenter de calmer la situation et d’éviter une nouvelle escalade. Toutefois, a-t-il précisé, l’Egypte ne peut rien faire de plus.
Al-Sissi a déclaré : « L’Égypte mène une politique claire et stable concernant les questions liées aux Palestiniens. Nous avons une vision, et procédons en conséquence. Lors de chacune de nos réunions avec des forces internationales et régionales, nos déclarations s’inscrivent dans ce cadre. Nous n’avons pas changé [nos positions], et au cours des quatre prochaines années, notre politique ne changera pas non plus… »
« Concernant les événements récents [à savoir la Marche du retour et l’escalade à la frontière entre Gaza et Israël], nos efforts [pour calmer la situation] sont incessants, et n’ont pas commencé avec le début de ces événements… Nous maintenons le passage de Rafah ouvert afin de faciliter les conditions pour les habitants de la bande de Gaza. [Nous envoyons] des ambulances et des médicaments et faisons tout notre possible pour y améliorer la situation. En outre, nous sommes en contact avec le côté israélien et avec le côté palestinien pour mettre fin à ce bain de sang. Nous désirons envoyer d’ici un message à nos frères palestiniens : [nous espérons que] leur protestation contre la décision [de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem] ne les amènera pas à faire quoi que ce soit qui fera des victimes supplémentaires. Nous attendons des Israéliens qu’ils comprennent que la réaction palestinienne sur cette question est légitime, et que pour cette raison, leur attitude doit être adaptée pour protéger encore davantage la vie des Palestiniens. Pouvons-nous faire plus que cela ? Non. Nous ne le pouvons pas… »
« L’influence ne découle pas des discours, mais des capacités. La capacité se mesure en actes, en patience et en lutte. Faire des déclarations creuses n’aide personne… » [2]
Suite à ces déclarations, Imad Al-Din Hussein, rédacteur en chef du quotidien égyptien indépendant Al-Shurouq, a écrit dans un article qu’à la différence des autres pays arabes, les déclarations d’Al-Sissi montrent les positions véritables de l’Égypte, sans tenter d’embellir ou de déformer les choses, et qu’elles signifient que l’Égypte ne prendra pas de position agressive envers Israël. Hussein a souligné que ce n’était pas une nouvelle position égyptienne vis-à-vis d’Israël, et qu’en dépit de l’espoir que les armées arabes libèreront la Palestine, il ne fait aucun doute pour lui que cela n’arrivera pas avant que les pays arabes ne progressent et ne dépassent Israël dans d’autres domaines, et pas seulement sur le plan militaire. Extraits :
Lors de la session « Questions au président », dans le cadre de la cinquième conférence nationale de la jeunesse, qui s’est tenue mercredi dernier [16 mai 2018] à l’hôtel Al-Massa [du Caire], le président Abd Al-Fattah Al-Sissi a révélé plusieurs positions claires de l’Égypte en matière de politique intérieure et étrangère. Selon moi, la plus importante était sa déclaration très claire concernant la position de l’ [Égypte] vis-à-vis de la question palestinienne et d’Israël.
L’une des questions concernait notre position vis-à-vis de l’agression d’Israël contre les Palestiniens pendant la Marche du retour à la frontière de Gaza, qui a eu lieu alors que l’ambassade américaine était transférée dans la Jérusalem arabe occupée. Le président a déclaré que le transfert de l’ambassade entraînerait une déstabilisation de la région, et que l’Égypte allait fournir aux frères palestiniens des médicaments et des ambulances, qu’elle allait ouvrir le passage de Rafah à cette fin et qu’elle aurait des contacts avec les parties palestinienne et israélienne.
[Il a affirmé] : « Nous dirons aux Palestiniens que nous ne voulons pas [qu’ils prennent] des mesures qui feront des victimes, et nous dirons aux Israéliens, vous devez tenir compte du fait que les décisions des Palestiniens sont légitimes ». Le président a demandé : « Pouvons-nous faire plus que cela ? » et a [lui-même] répondu : « Non. » Il a ajouté : « Notre activité concernant la question palestinienne est limitée par ce que nous pouvons faire. Afin que nous puissions avoir un impact, nous devons agir et faire un effort, et l’impact sera [dans les limites de ce que nous] pouvons faire. Mais nous ne ferons pas de déclarations véhémentes, et ne déclamerons pas de slogans. Nous voulons contribuer à [trouver] une solution et non compliquer les choses. » [3]
Ces déclarations étaient très importantes, car elles révèlent les limites du rôle de l’Égypte dans le conflit israélo-palestinien. Leur importance [réside dans] le fait qu’elles révèlent l’essence de la position [égyptienne], sans tenter de l’embellir ou de la déformer, et sans utiliser d’expressions générales ou grandiloquentes, comme beaucoup en utilisent dans le monde arabe dans les médias, sans les appliquer dans les faits.
Une fois de plus, pourquoi [les déclarations d’Al-Sissi] sont-elles importantes ? Parce qu’elles apportent une réponse à de nombreuses questions qui reviennent chaque fois qu’il se produit des développements sur la scène palestinienne – qu’il s’agisse d’une agression directe d’Israël, d’un siège indirect, d’opérations-martyres menées par des organisations palestiniennes, ou du penchant américain flagrant en faveur d’Israël.
Lorsque Israël a assassiné plus de 60 personnes et en a blessé quelque 2 000 au milieu de la semaine dernière, pendant la Marche du retour vers la frontière de [Gaza], plusieurs Égyptiens ont demandé que [leur pays] rompe les relations avec Israël, expulse son ambassadeur et ferme son ambassade. Ces demandes sont réitérées à chaque fois qu’Israël use de son pouvoir, depuis son invasion du Liban en 1982, et certains de ceux qui aspirent à la guerre parviennent même [à la conclusion] qu’il faut déclarer la guerre à Israël.
Ce que signifient les déclarations du président Al-Sissi est que l’Égypte ne prendra aucune mesure contre Israël, mais se contentera de tenter de l’influencer, en usant de ses relations [avec lui] et non en les rompant.
Concernant la question de savoir si cette position est nouvelle ou unique, la réponse est un non décisif. Il s’agit plus ou moins de la même politique qui est mise en œuvre depuis la signature de l’accord de paix entre l’Égypte et Israël en 1979, et [de temps à autre], ces relations connaissent des tensions. Le pire [événement était lorsque] l’Égypte a rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv à plusieurs occasions, pour protester contre l’agression d’Israël contre les Palestiniens. [Mais même] dans le pire des cas, le gouvernement égyptien n’a jamais menacé de rompre les relations, de déclarer la guerre ou même d’expulser l’ambassadeur [d’Israël].
A l’heure actuelle, nombre d’entre nous oublient qu’Israël a mené une attaque virulente contre le Hamas, [qui est une branche des] Frères musulmans, en [novembre] 2012. A cette époque, même le gouvernement égyptien des Frères musulmans, le président membre des FM [Mohamed Morsi], le Conseil populaire et le Conseil de la Choura, qui étaient contrôlés par les FM et leurs alliés salafistes, n’ont ni rompu les liens avec Israël, ni ne lui ont déclaré la guerre. En dépit de leurs déclarations vantardes contre Israël, ils ont en fait servi de médiateurs entre l’ennemi et l’organisation [des FM] à Gaza [à savoir le Hamas], et ont été largement récompensés en contrepartie : la ratification le 21 novembre 2012 d’une déclaration constitutionnelle octroyant [aux FM] une existence politique, [4] ainsi que des éloges sans précédent [aux FM] dans les principaux médias occidentaux et israéliens, tous été surpris par leur réaction [devant la guerre à Gaza].
Concernant la question de savoir si la position de l’Egypte est correcte ou non : en tant que patriote arabe qui pense que le conflit avec Israël est existentiel, et non lié aux frontières, j’espère que les armées arabes libéreront la Palestine du fleuve à la mer, et que Jérusalem redeviendra arabe. Mais l’espoir seul n’aboutira à rien, et vous ne pouvez triompher de votre ennemi avec des mots creux, des poèmes et des discours, ou avec de simples déclarations ou vœux. Vous devez bâtir votre pays et votre nation dans tous les domaines, pas seulement sur le plan militaire, mais aussi dans les domaines de l’éducation et de la santé, et avant tout, vous devez construire l’individu lui-même.
La victoire contre l’ennemi requiert de le vaincre dans tous les domaines, et de triompher avant tout de nous-mêmes. Si cela se produit, nous n’aurons peut-être plus besoin d’une force militaire pour libérer la Palestine !!! [5]
Lien vers le rapport en anglais
Notes :
[1] Ces conférences se sont tenues périodiquement en Egypte depuis octobre 2016, pour renforcer les relations entre les jeunes, la société et l’administration.
[2] Extra News TV (Egypte), 16 mai 2018.
[3] Il convient d’observer qu’Al-Sissi n’a pas été cité avec précision dans l’article ; ses déclarations énoncées ici sont telles que présentées dans l’article.
[4] Référence à la déclaration constitutionnelle du président Morsi en août 2012, qui lui a accordé le pouvoir de prendre des décisions militaires et sécuritaires, ainsi que des décisions législatives, jusqu’à la rédaction d’une nouvelle constitution. Voir Dépêche spéciale de MEMRI n° 4908, Egyptian President Muhammad Mursi Rescinds The SCAF’s Authority, 24 août 2012.
[5] Al-Shurouq (Egypte), 19 mai 2018.