Des éléments politiques en Occident considèrent le soulèvement populaire en Iran de décembre 2017-janvier 2018 comme un affrontement entre les camps réformiste et pragmatique – ce dernier dirigé par le président iranien Hassan Rohani – et les cercles idéologiques du régime. Ils recommandent d’aider le président Rohani en levant les sanctions américaines contre l’Iran, imposées en raison du soutien du régime iranien au terrorisme en dehors de ses frontières et des violations des droits de l’homme à l’intérieur de l’Iran, afin de permettre à Rohani d’œuvrer pour le bien-être de la population et de renforcer les camps pragmatique et réformiste en Iran. Cette interprétation des événements est fondamentalement erronée.
Les manifestants du soulèvement du mois dernier scandaient des slogans qui n’étaient pas seulement dirigés contre le Guide suprême Ali Khamenei et le régime révolutionnaire iranien, mais également contre le président Rohani et les réformistes. C’est pourquoi il convient d’examiner le rôle joué dans le soulèvement par le président Rohani, qui représente le courant pragmatique, et par les réformistes dans le pays, qui ont été exclus du pouvoir ces dernières années sur les instructions de Khamenei.
Le président pragmatique Rohani : sert-il le peuple ou le régime ?
Après sa réélection à un second mandat en mai 2017, avant même l’investiture de son nouveau gouvernement, Rohani, en sa qualité de président, s’est réconcilié avec le Corps des gardiens de la Révolution islamique (CGRI) en juillet 2017, et a commencé à le défendre dans différents forums, tant devant le peuple iranien et que devant l’administration américaine. Ceci, dans une tentative d’empêcher que le CGRI soit qualifié d’organisation terroriste, et de permettre au Groupe d’action financière (GAFI), organisme mondial qui définit les normes de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme (AML/CFT),[1] de proroger la suspension des mesures à son encontre. Rohani a même exprimé publiquement son soutien à la politique du régime iranien d’expansion au Moyen-Orient, mise en œuvre par le CGRI. Tout ceci constitue un net revirement par rapport aux positions qu’il avait exprimées ouvertement contre le CGRI lors de son premier mandat, alors que Hashemi Rafsanjani, son mentor politique et spirituel, était encore en vie et exprimait des critiques à l’encontre du CGRI et de Khamenei.
Le 24 juillet 2017, Rohani a rencontré plusieurs commandants du CGRI, parmi lesquels le commandant de la Force Qods, Qassem Soleimani, le commandant du CGRI Ali Jafari, le commandant de la force aérospatiale du CGRI, Amir Ali Hajizadeh, et le commandant des Basij Gholamhossein Gheybparvar. Selon un article publié sur le site web de la présidence, Rohani aurait remercié le CGRI pour ses efforts et affirmé que l’unité devait être préservée afin de suivre les ordres de Khamenei. Il a appelé toutes les institutions à agir avec transparence, à satisfaire le peuple, à utiliser les technologies les plus modernes, et à renforcer la puissance militaire du CGRI et de l’armée, afin d’accroître la sécurité nationale. Le commandant du CGRI Jafari a félicité Rohani pour sa victoire présidentielle, et observé que le CGRI était désireux de coopérer avec le gouvernement Rohani de toutes les manières possibles.[2]
Un exemple du revirement des positions de Rohani est celui de ses déclarations du 4 février 2018, lors d’une cérémonie d’inauguration de 10 nouveaux musées commémorant la guerre Iran-Irak (1980-88), au cours de laquelle il a affirmé la nécessité de renforcer la capacité militaire de l’Iran. Ces déclarations s’inscrivaient en faux contre celles de Rafsanjani de 2016, dans lesquelles il avait décrit l’époque actuelle comme étant celle « des pourparlers et non des missiles », et avait maintenu que le pays devait suivre l’exemple de l’Allemagne et du Japon, qui ont développé des industries civiles et non militaires.[3] Les remarques de Rohani étaient similaires dans l’esprit à celles de Hossein Shariatmadari, rédacteur en chef du quotidien iranien Kayhan, proche du camp idéologique et très critiques de Rohani et de son gouvernement. Rohani a ainsi déclaré : « Nous devons renforcer notre puissance nationale, et notre capacité de défense fait partie de notre capacité militaire… Tout le monde menace tout le monde… L’Amérique menace impudemment la Russie, avec ses nouvelles armes atomiques. Dans une telle situation, un peuple quelconque peut-il parler de cette époque comme d’une ère de paix, de fraternité et de coexistence ? [Peut-il dire] que nous n’avons plus besoin de puissance militaire comme dans le passé ? Nous avons toujours besoin d’une puissance militaire, et tant qu’il subsiste des menaces contre nous, nous devons renforcer notre puissance défensive. Nous devons être si forts que l’ennemi n’osera pas nous attaquer, ou nous devons amener l’ennemi à renoncer et à assimiler [le fait qu’il] paiera un prix élevé s’il nous attaque. Nos combattants ont sacrifié leurs vies dans des pays amis [la Syrie et l’Irak] pour défendre les musulmans, démontrant que l’esprit de sacrifice et de résistance contre nos ennemis est toujours en vie. » [4]
La victoire présidentielle de Rohani est présentée en Occident comme un mandat public pour une politique progressiste et un développement en Iran, tandis qu’en réalité, le président Rohani et le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Javad Zarif défendent et soutiennent l’expansion territoriale de l’Iran dans la région, ainsi que l’exportation de la Révolution islamique, deux objectifs déclarés du régime et du CGRI.[5] (…)
*A. Savyon est la Directrice du Projet Médias iraniens de MEMRI ; U. Kafash est chargé de recherche à MEMRI
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Notes :
[1] Déclaration publique, FATF-GAFI.org, 23 juin 2017.
[2] President.ir, 24 juillet 2017.
[3] Voir Dépêche spéciale de MEMRI n° 6641, Iranian Supreme Leader Khamenei, Ideological Circles Attack Rafsanjani For Calling For Investing In Economy Instead Of Military – Like Germany And Japan Post-WWII, 11 octobre 2016.
[4] ISNA (Iran), 2 février 2018. Pour des déclarations passées de Rohani contre le CGRI, voir par ex. MEMRI Special Dispatch No. 5938, The Power Struggle Between Khamenei And His Camp And Rafsanjani And His Camp – Part XIII: In Unprecedentedly Harsh Article, Pragmatic Camp Attacks IRGC, Warns About Possible Military Coup: IRGC Will Play ‘The Same Role The Military Played In Egypt, Syria, Pakistan, Iraq… And Turkey’, 20 janvier 2015. Enquête et analyse n° 1082, The Struggle Between Khamenei And Rafsanjani Over The Iranian Leadership – Part IX: Rafsanjani Assumes Leadership Role On Behalf Of The People; Khamenei Defends His Credentials as Ayatollah Khomeini’s Successor, 8 août 2014.
[5] Voir par exemple l’éditorial du ministre des Affaires étrangères Zarif du 26 mai 2017 dans le New York Times, dans lequel il exprimait son soutien à la politique iranienne d’expansion territoriale au Moyen-Orient visant à défendre les peuples syrien et yéménite contre l’agression saoudienne, soutenue par la vente d’armes américaines par l’administration Trump aux Saoudiens.