L’escalade militaire actuelle entre Israël et le Hamas, déclenchée par le tir d’une roquette de la bande de Gaza le 25 mars 2019 qui a détruit une maison au centre d’Israël, et le tir de deux roquettes sur Tel-Aviv le 14 mars 2019, fait partie des efforts du Hamas pour détourner l’attention du public des manifestations sociales et économiques dirigées contre lui, qui se déroulent dans la bande de Gaza ces deux dernières semaines.
Le 14 mars 2019, des activistes de Gaza ont lancé la campagne « Nous voulons vivre », en protestation contre le coût de la vie, l’augmentation des prix et le chômage dans la bande de Gaza. Les manifestations, qui se tenaient sous des slogans tels que « La révolution des affamés », suscitées par de nouveaux impôts décidés par le Hamas, qui connaît une pénurie de fonds. La campagne incluait des manifestations de masse, violemment dispersées par les organes de sécurité du Hamas. Selon des informations parues dans la presse arabe, les forces de sécurité auraient tiré en l’air, frappé des manifestants et pris pour cibles des journalistes, saisi leur matériel, procédé à arrestations massives d’activistes sociaux, de journalistes et de membres du Fatah. Ils auraient également perquisitionné des maisons et battu des détenus. [1]
La position officielle du Hamas est que la plupart des manifestations ne sont pas sincères, mais sont organisées par les organes de sécurité du Fatah dans le cadre de leurs efforts pour semer le chaos à Gaza. Dans un communiqué, le Hamas a accusé le Service de renseignements généraux du Fatah, dirigé par Majed Faraj, d’être derrière les manifestations et d’exploiter la détresse des Gazaouis pour atteindre des objectifs politiques.
En dépit de cela, et apparemment en réaction aux critiques de sa répression violente des manifestations, le Hamas a exprimé ses regrets pour tout préjudice causé aux manifestants et souligné son engagement envers la liberté d’expression et de manifestation pacifique.[2] Le porte-parole du ministère de l’Intérieur du Hamas, Iyad Al-Bozm, a également accusé l’Autorité palestinienne (AP) de susciter les manifestations. Il a affirmé que selon certaines informations, des « officiers de Ramallah » avaient incité les Gazaouis à manifester violemment en contrepartie du renouvellement de leurs salaires, supprimés par l’AP dans le cadre de ses sanctions contre le Hamas. Il a ajouté que l’AP et le Fatah diffusaient sur les médias sociaux d’anciennes vidéos d’affrontements Hamas-Fatah datant de 2007, ou provenant d’autres pays arabes, en les présentant comme des visuels de la répression par le Hamas des manifestations actuelles. Al-Bozm a affirmé que la plupart des détenus avaient déjà été libérés et que les informations diffusées sur les médias sociaux gonflaient l’ampleur des incidents.[3] Le 14 mars, le porte-parole du Fatah à Gaza, Atef Abou Saif, a été passé à tabac par des hommes masqués et le Fatah a qualifié l’incident de tentative d’assassinat de la part du Hamas.[4]
Les adversaires politiques du Hamas, l’AP et le Fatah ont fustigé la répression violente des manifestations.[5] Les médias de l’AP ont largement couvert les manifestations, présenté des déclarations de ses porte-parole et activistes et fait paraître de nombreux articles sur la répression exercée par le Hamas, la qualifiant de tentative désespérée de sa part pour préserver à tout prix son régime séparatiste à Gaza. Les pages Facebook liées au Fatah ont posté des vidéos et des photos des manifestations et des manifestants battus.
Des membres et des partisans du Hamas ont également émis critiques à son encontre. Des dirigeants du Hamas, ainsi que les activistes juniors et intermédiaires, tant à Gaza qu’en Cisjordanie, ont exprimé leur solidarité avec les objectifs des manifestations, condamné la réaction violente du Hamas et appelé le mouvement à faire preuve de sympathie pour les manifestants et à changer de politique. Des journalistes connus pour leur soutien au Hamas l’ont également critiqué. Notons que ces dernières années, des telles critiques avaient déjà émané de l’intérieur du mouvement.[6]
Un ancien conseiller du bureau politique du Hamas : Il doit reconnaître ses erreurs, présenter ses excuses et faire amende honorable
Sur Facebook, l’officiel du Hamas Ahmad Youssouf, ancien conseiller du chef du bureau politique du Hamas Ismaïl Haniya, a posté à de nombreuses reprises des expressions de solidarité avec les manifestants, exhortant le Hamas à reconnaître ses erreurs et à faire amende honorable. Dans le même temps, il a affirmé que les manifestations n’étaient pas dirigées spécifiquement contre le Hamas et que le Fatah était derrière elles.
Le 16 mars il a écrit : « Je soutiens cette mesure [les manifestations à Gaza] et je m’oppose à la violence et à la destruction. Ces [manifestations] ne signifient pas que le public est contre le Hamas, car le [Hamas] fait partie du public. Les messages des [manifestants] sont dirigés contre trois éléments : l’occupation, la région et la communauté internationale. Leur message essentiel est ‘Nous voulons vivre’. Nous devons admettre que nous avons des municipalités défaillantes et certains dirigeants intéressés par rien d’autre que de prélever [des impôts] du peuple massacré !… »
Dans d’autres posts, il a écrit : « Oui, il y a ceux qui incitent et dirigent ces manifestations, et ces gens doivent être surveillés et poursuivis. Mais les affamés n’ont-ils pas le droit de crier [en signe de protestation] ? L’activité populaire n’est pas toujours synonyme de rébellion. C’est un message puissant, destiné à attirer l’attention des autorités sur les actions et les erreurs à rectifier. Ceux qui ne peuvent lire les larmes de faim et de peine sur le visage [des Gazaouis] n’ont aucun droit de demander aux masses de les suivre. Si la pauvreté était partagée [équitablement par tous], le peuple aurait été plus tolérant. » [7]
Youssouf a encore écrit : « Nous devons comprendre que nos autorités [l’AP] sont corrompues et tyranniques, et que leur encouragement de ces [manifestations] n’est pas motivé par le souci de la nation, mais par [par un désir] de couvrir leur échec et leur soumission à l’occupation… Pour que le message de la [protestation] populaire atteigne les responsables et les décisionnaires, il faut désigner un leadership qui s’exprimera au nom [des manifestants] et [présentera] des demandes précises pouvant servir de base aux négociations… Des erreurs sont commises dans la gestion de ces [manifestations], et le ministère de l’Intérieur du [Hamas] doit présenter ses excuses et cesser d’être arrogant, car le public est notre base nationale de soutien, dont nous sommes fiers. Les dirigeants politiques du Hamas doivent prendre conscience des erreurs commises et lancer des négociations nationales, avant que nous perdions tout… »
« L’Autorité [palestinienne] à Ramallah est en crise, et elle est [effectivement] impliquée dans l’incitation et la conspiration contre Gaza. Mais la [campagne] ‘Nous voulons vivre’ ne sera pas son salut. Seule la réconciliation et la fin du schisme [l’aideront]… »
« Je conseille à mes frères du Hamas de rencontrer les dirigeants des factions et de tenir une conférence de presse [pour annoncer] une décision de suspendre les [nouveaux] impôts et de réfréner [la cupidité] des municipalités. Notre mouvement fort [le Hamas] s’est habitué à ignorer les conseils, car [ils viennent de] ses adversaires politiques, et c’est compréhensible. Par conséquent, les conseils doivent venir de ses fils loyaux. » [8]
Youssouf a résumé sa position sur les manifestations dans un article qu’il a publié sur le site Internet Amad, dans lequel il a écrit : « La gestion par les [organes] de sécurité des [manifestations] ‘Nous voulons vivre’ était malheureuse, au plein sens du terme… car les images [de la répression des manifestations] ne contribuent pas à l’image positive du combat palestinien… J’ai personnellement tenté de me forger une opinion mûrement réfléchie… et [j’ai finalement] choisi le camp de la patrie et du peuple. J’ai résumé ma position dans une série de posts sur [Facebook], en espérant qu’ils atteindraient rapidement les oreilles des autorités [du Hamas]… pour qu’elles agissent avant que la situation n’échappe à tout contrôle et qu’un événement tragique ne survienne… »
« Le Hamas n’est opposé à aucune activité pacifique. Au contraire, ses membres sortiraient dans les rues par milliers en solidarité [avec une telle activité], mais les organes de sécurité à Ramallah ont incité leurs gens à Gaza, exaspéré le Hamas et l’ont amené à agir – aux moyens de certains membres de ses organes de police et de sécurité – par des moyens qui ont suscité des réactions négatives et des accusations selon lesquelles il faisait usage d’une force injustifiée contre une activité justifiée. Le Hamas a déjà clarifié sa position dans un communiqué publié après les événements, dans lequel il a présenté des excuses pour certaines des erreurs. Cela est certainement louable de sa part et cela contribuera à apaiser la tension… » [9]
Lire la suite du rapport en anglais
[1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 18 mars 2019.
[2] Hamas.ps, 14 mars 2019.
[3] Moi.gov.ps, 14 mars 2019.
[4] Al-Ayyam (AP), 14 mars 2019.
[5] Par exemple, le porte-parole du Fatah Osama Al-Qawasmeh a critiqué le Hamas dans un communiqué qu’il a publié. Al-Hayat Al-Jadida (AP), 16 mars 2019.
[6] Voir MEMRI en français Bilan d’une décennie de règne du Hamas à Gaza : des officiels du mouvement appellent à la réflexion, 15 octobre 2017.
[7] Facebook.com/profile.php?id=100008293455786, 14 mars 2019.
[8] Facebook.com/profile.php?id=100008293455786, 14 mars 2019.
[9] Amad.ps, 21 mars 2019.