Par N. Mozes*
Ayant établi son statut et sa présence en Syrie, il apparaît que l’Iran, qui exerce une grande influence au sein du système politique du Liban et dans la vie quotidienne par le biais du Hezbollah, cherche à présent à renforcer encore son contrôle direct du pays, en infiltrant ses institutions et ses zones vitales, et tout d’abord au sein de l’armée, mais aussi des secteurs de l’énergie et de la santé. L’objectif est notamment à ouvrir le marché libanais aux marchandises iraniennes, dont le marché est très limité du fait des sanctions américaines contre l’Iran.[1]
Le 6 février, près d’une semaine après l’annonce du nouveau gouvernement libanais, au sein duquel le camp du 8 mars pro-syrien et pro-iranien détient la majorité de sièges, et à la veille de la visite du ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif dans le pays, le secrétaire-général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a proposé au peuple libanais d’accepter l’aide de l’Iran, qu’il a qualifié de « grand et véritable ami qui n’exige rien de nous ». Nasrallah a suggéré d’importer des armes d’Iran qui, selon lui, « feraient de l’armée libanaise la plus forte dans la région », et a souligné la volonté iranienne de fournir au Liban des médicaments et de l’aider à résoudre ses problèmes d’électricité.[2] Les déclarations de Nasrallah semblaient être destinées à préparer l’opinion publique libanaise en vue de la visite de Zarif, deux jours plus tard. De fait, Zarif a lui-même annoncé, lors de son arrivée à Beyrouth, que son pays « souhaitait répondre aux besoins militaires et économiques du Liban ».[3]
Lors de rencontres avec des officiels libanais, dirigées par le président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Al-Hariri, Zarif a réitéré l’offre d’aider le Liban. Pour dissiper les appréhensions libanaises concernant les conséquences de l’acceptation d’une aide de la part de l’Iran, en raisons des sanctions auxquelles il est soumis, Zarif a souligné : « Aucune loi internationale n’empêche l’Iran et le Liban de coopérer l’un avec l’autre. » [4] Il a également proposé que l’Iran et le Liban travaillent ensemble pour élaborer des arrangements similaires à ceux que l’Iran a conclus avec plusieurs pays européens, et avec la Russie, la Turquie et la Chine, permettant au Liban à échapper aux pénalités pour violation des sanctions.[5] De même, afin de souligner combien le Liban bénéficierait économiquement de l’accroissement de son commerce avec l’Iran, Zarif a proposé que les transactions s’effectuent en livres libanaises, à savoir que le Liban ne devra pas utiliser de devises étrangères dans ses transactions avec l’Iran.[6]
Ce n’est pas la première fois que l’Iran propose au Liban une aide militaire et économique. En 2014, une telle aide avait été proposée et rejetée, apparemment en raison d’un veto américain. Cette fois, la tâche de l’Iran sera plus facile, car le camp du 8 mars, dirigé par le Hezbollah, s’est renforcé et que le camp du 14 mars, dirigé par le Premier ministre Al-Hariri, proche de l’Arabie saoudite et opposé au Hezbollah, s’est affaibli. Le nouveau gouvernement, constitué le 30 janvier 2019, est constitué de 30 ministres, dont 18 appartiennent au camp du 8 mars. En outre, le nouveau ministre de la Défense, Elias Bou Saab, du Courant patriotique libre, est dirigé par le président Aoun, considéré comme proche du Hezbollah, n’a rien dit qui exclurait l’acceptation de la proposition de l’Iran.
Plus que tout autre chose, ce qui adviendra de la proposition iranienne dépendra des pressions que les Etats-Unis et des pays européens exerceront sur le Liban. Ces derniers mois, une lutte pour le contrôle du Liban est devenue évidente, avec l’Iran d’un côté et les Etats-Unis et leurs alliés arabes de l’autre. Les Etats-Unis ont déjà identifié le risque d’un gouvernement libanais avec une majorité pro-iranienne, et avant sa constitution, plusieurs officiels américains se sont rendus au Liban pour avertir les officiels libanais de ne pas nommer de politiciens du Hezbollah à des postes ministériels élevés comme ministre de la Santé, avertir des conséquences d’un rapprochement avec l’Iran. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si, quelques jours après la visite de Zarif au Liban, l’ambassade américaine à Beyrouth a annoncé que les Etats-Unis avaient livré des missiles de destruction avancée de précision (APKWS) destinés à l’avion A-29 Super Tucano, d’une valeur de 16 millions de dollars.[7] En outre, lors de sa rencontre avec le ministre de la Défense Bou Saab, l’ambassadrice des Etats-Unis au Liban, Elizabeth Richard, a souligné le fait que les Etats-Unis étaient le premier soutien de l’Armée libanaise et qu’ils continueraient de la soutenir.[8]
En outre, le quotidien libanais Al-Nahar a rapporté que les Etats-Unis faisaient pression sur les pays arabes pour qu’ils offrent une aide au Liban, dans le but de renforcer le camp du 14 mars, et d’empêcher le Liban d’être dépendant d’une aide iranienne.[9] Il n’est pas impossible que ces pressions aient conduit à la visite au Liban de Nizar Al-Aloula, conseiller du monarque saoudien, un jour seulement après la visite de Zarif. Au Liban, Al-Aloula a exprimé son espoir que les 20 accords libano-saoudiens déjà signés soient bientôt appliqués.[10] Au cours de cette visite, l’Arabie saoudite a également annoncé qu’elle levait l’interdiction de voyager au Liban.[11]
Sans surprise, les propositions de Nasrallah et de Zarif que le Liban accepte une aide militaire de l’Iran ont suscité un vif débat entre le camp du 8 mars et celui du 14 mars. Les partisans du Hezbollah ont affirmé que la situation économique du Liban ne lui permettait pas de rejeter la proposition iranienne, notamment alors qu’on ne lui demandait pratiquement rien en retour, et qu’il s’agissait d’un test évaluant l’indépendance du Liban vis-à-vis de l’Occident. Ils ont souligné le fait que l’Iran voulait doter l’armée libanaise d’armes pouvant dissuader Israël et que les Etats-Unis voulaient empêcher l’Armée libanaise de les obtenir.
Le camp du 14 mars, de son côté, a soutenu qu’en acceptant la proposition iranienne, le Liban pourrait être entraîné dans un conflit avec les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, et mettre en danger le montant considérable de l’aide américaine, si importante que l’Iran ne serait pas en mesure de le compenser pour sa perte, en particulier au vu des sanctions sévères qui le frappent. Ils ont également exprimé des doutes sur la capacité de l’Iran de donner suite à sa proposition, même si le Liban l’acceptait. En outre, ils ont exprimé des doutes quant à l’efficacité des systèmes de défense aériens que l’Iran a proposé de donner au Liban, et demandé pourquoi l’Iran ne les utilisait pas lui-même pour empêcher les attaques israéliennes contre les forces iraniennes en Syrie.
Il convient d’observer que dans ce débat, tant les éléments anti que pro-Hezbollah ont spéculé que Nasrallah et l’Iran avaient fait l’offre d’équiper l’Armée libanaise, étant certains qu’elle serait rejetée, fournissant ainsi un prétexte au Hezbollah pour préserver ses armes et apparaître comme le seul élément capable de défendre le Liban.
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*N. Mozes est chargée de recherche à MEMRI.
[1] Il convient de noter qu’outre l’Iran, la Russie a également déployé des efforts considérables au cours de l’année pour établir son influence au Liban, cherchant notamment à faire progresser un accord de coopération militaire russo-libanais non encore signé en raison des objections des États-Unis. De même, en janvier 2019, le Liban a signé un contrat avec la société publique russe Roseneft pour l’exploitation du port pétrolier de Tripoli, au Liban, et l’année dernière, sept centres culturels russes ont été construits dans le pays. Al-Mudun (Liban), le 28 janvier 2019.
[2] Almanar.com.lb, 6 février 2019.
[3] Agence de presse Fars (Iran), 10 février 2019.
[4] Almayadeen.net, 11 février 2019.
[5] Référence aux instruments financiers visant à permettre à l’Iran et aux pays qui commercent avec elle de contourner les sanctions imposées par les États-Unis, telles que les contrats de pétrole contre marchandises ou le pétrole contre nourriture et médicaments, par exemple le canal européen de transactions INSTEX, ou transactions en monnaie locale pour le pétrole, comme avec la Chine et l’Inde.
[6] Al-Akhbar (Liban), 12 février 2019.
[7] Facebook.com/USEmbassyBeirut/videos/2512137188858537/, 13 février 2019.
[8] Albawabhnews.com, 20 février 2019.
[9] Al-Nahar (Liban), 13 février 2013.
[10] Al-Hayat (Dubaï), 13 février 2019.
[11] Al-Mustaqbal (Liban), 13 février 2019.