Par A. Savyon, Yigal Carmon et U. Kafash*

Le grand renversement : les USA contre l’Iran : de la puissance et la dissuasion à la faiblesse et à la retraite

En l’espace de trois mois, la position des Etats-Unis au Moyen-Orient est passée d’une position de puissance et de dissuasion vis-à-vis de l’Iran à une position de faiblesse, de retraite et de dissuasion exercée par l’Iran. Cette situation, bien entendu, ne reflète aucunement l’équilibre du pouvoir véritable entre les Etats-Unis et l’Iran, ni de manière générale ni au plan régional. C’est une impression créée conjointement par la politique du président Trump et par l’approche offensive de l’Iran.

Au cours des trois premiers mois du mandat de Trump, Téhéran appréhendait ce qu’allait être sa politique à l’égard de l’Iran. Il a significativement tempéré ses provocations – tant ses menaces verbales que ses incursions maritimes contre les navires américains dans le Golfe – et a même annulé le lancement d’un missile balistique, en retirant le missile de sa rampe de lancement la veille de la Journée de la Révolution iranienne, le 10 février, après que l’administration Trump eut annoncé que l’Iran était “prévenue”.[1]

Trois mois plus tard, l’approche iranienne n’est plus la même : les provocations navales ont repris ; le discours anti-américain en Iran est de nouveau ostentatoire – incluant à nouveau le slogan “mort à l’Amérique”, et les menaces verbales contre les Etats-Unis s’accentuent. En outre, le missile qui avait été retiré de sa rampe de lancement en février dernier a été lancé le 27 juillet 2017, au mépris des avertissements américains.[2]

Les attentes naïves du président Trump, qui espérait, comme on peut l’espérer dans le cadre d’une transaction commerciale, qu’une approche positive de sa part serait accueillie par une approche tout aussi positive, ont été déçues par un résultat contraire à celui escompté : comme le président Obama – dont le président Trump a négligé l’expérience – l’Iran a réagi à la politique positive des Etats-Unis avec une hostilité et une agressivité accrues. Les Iraniens ont interprété l’approche des deux présidents américains comme un signe de faiblesse, et ont renforcé leur antagonisme envers les Etats-Unis, allant jusqu’à laisser même émettre des menaces et le slogan “Mort à l’Amérique”. En outre, ils ont utilisé l’approche de Trump comme une opportunité pour promouvoir leur expansion régionale et l’idéologie d’exportation de la Révolution islamique.[3]

C’est l’approche de l’administration Trump – qui a accepté l’expansion régionale de l’Iran, au prétexte de la guerre contre l’EI – qui a déclenché ce renversement d’attitude de la part de l’Iran, lequel repose aussi sur le soutien russe.

Qu’est-ce qui, au cours des derniers mois, a suscité un tel revirement ?

Pendant ce temps, l’administration Trump a modifié son approche envers l’Iran : alors que le discours demeurait celui de la confrontation, les décisions politiques sur le terrain reflétaient clairement l’intention de faire progresser les accords avec l’Iran, dans la droite ligne de la politique du président Obama. Le directeur du Conseil national irano-américain et chef du lobby iranien non officiel à Washington, Trita Parsi, a l’a relevé, affirmant : “Avant que nous ayons eu la révélation de l’amollissement de Trump face à l’Iran avec la certification, la plupart des analystes et diplomates pensaient que le discours de Trump sur l’Iran n’était rien de plus que des paroles creuses. Il aboyait plus qu’il ne mordait, comme cela a été démontré lorsqu’il a certifié le respect par l’Iran [du JCPOA] en avril et qu’il a renouvelé la levée des sanctions en mai. L’écart entre son discours et sa politique effective était tangible. Sur le plan rhétorique, les officiels de l’administration Trump décrivaient l’Iran comme la racine de tous les problèmes au Moyen-Orient et comme le plus grand Etat soutenant le terrorisme. Trump a même suggéré qu’il pourrait annuler l’accord [sur le nucléaire]. Dans les faits, toutefois, le président Trump a poursuivi la levée des sanctions et reconnu que l’Iran respectait l’accord. En conséquence, beaucoup ont conclu que Trump allait continuer de remplir les obligations imposées par l’accord, tout en continuant de prononcer des discours virulents pour apaiser les adversaires internes à l’accord nucléaire – ainsi que les alliés de Trump en Arabie saoudite et en Israël”.[4]

L’éditorial du Washington Post du 20 août 2017, tout en exprimant la préoccupation face au projet de Trump de se retirer du JCPOA, observe également sa politique d’ouverture face à l’Iran : “Malgré un discours très virulent, l’administration Trump fait très peu pour contrer l’agression iranienne. En Syrie, sa stratégie consistant à conclure des accords avec la Russie a ouvert la voie aux forces de Téhéran pour établir leur contrôle sur un corridor reliant Damas et Bagdad. En Afghanistan, l’Iran édifie progressivement une position stratégique, alors même que le président Trump rechigne à adopter un plan pour renforcer le soutien américain au gouvernement afghan. Au Yémen, les Etats-Unis ont permis à leurs alliés du Golfe persique de poursuivre une guerre par procuration, impossible à gagner avec Téhéran, dont la conséquence principale a été la pire crise humanitaire au monde… Pourtant, de manière paradoxale, M. Trump accompagne sa passivité envers l’interventionnisme de l’Iran dans la région d’une détermination apparente à torpiller l’accord nucléaire”.

Quelles ont été les mesures conciliantes de Trump envers l’Iran ?

– En avril et juillet 2017, l’administration Trump a envoyé au Congrès une lettre confirmant que l’Iran respectait le JCPOA. Les rapports de l’AIEA ont reflété, et ils reflèteront aussi à l’avenir, les résultats des inspections menées uniquement sur les sites déclarés par l’Iran, et sur ces sites l’Iran respecte apparemment le JCPOA. Toutefois, l’administration Trump a totalement ignoré le fait que le JCPOA n’autorisait pas l’AIEA à mener des inspections dans d’autres endroits, y compris sur des sites militaires (qui ont été utilisés dans le passé pour mener des activités militaires nucléaires secrètes), et par conséquent la certification de l’AIEA est dépourvue de sens, car elle reflète les seules inspections autorisées par l’Iran.

Il semble que ni le président Trump, ni son équipe de sécurité nationale n’aient lu le JCPOA, et qu’ils ne connaissent pas le contenu de l’accord. De fait, s’ils avaient été informés des restrictions imposées par le JCPOA aux inspections, ils n’auraient pas demandé que l’AIEA mène des inspections dans les installations militaires, comme l’a fait l’ambassadeur américain à l’ONU Nikki Haley, lors de sa visite le 23 août au siège de l’AIEA à Vienne. Le silence de l’administration Trump sur l’impossibilité de mener des contrôles véritables en raison des termes du JCPOA représente, dans les faits, une couverture de l’administration Obama pour un tel accord.. Il convient de souligner que si l’administration Trump avait demandé un changement des conditions d’inspection, un tel changement n’aurait pas modifié l’essence du JCPOA, qui réside dans la levée des sanctions nucléaires contre l’Iran en échange de la suspension temporaire et définie par l’Iran de certaines de ses activités nucléaires.[5]

Par conséquent, il semble que la demande publique de Trump, très appréciée par les médias, pour que son équipe de sécurité nationale lui apporte, avant octobre 2017, des preuves de violations iraniennes, sans qu’aucune modification des conditions d’inspection ne permette d’apporter de telles preuves, ne constitue rien d’autre qu’un alibi pour ne pas exiger de changement des conditions d’inspection.

En octobre, Trump devra donc annoncer que malgré sa volonté d’agir contre le JCPOA, son équipe de sécurité nationale ne lui a pas fourni les preuves qui lui auraient permis de le faire, et qu’en conséquence il est entravé et doit entériner de nouveau le JCPOA. Les agences de renseignement seront critiquées, et on ne dira rien de l’abstention du président Trump d’exiger un changement des ridicules conditions d’inspection – qui n’ont même pas été posées sous son mandat, mais héritées d’Obama.

De plus, même si l’équipe de sécurité nationale de Trump fournissait au président des renseignements sur les violations commises par l’Iran, le JCPOA imposerait une procédure de vérification qui empêche toute action pratique contre l’Iran. Trump pourra bien entendu, sur le fondement de tels renseignements, agir unilatéralement, sans tenir compte du JCPOA, du P5+1 et du Conseil de Sécurité de l’ONU, et faire ce qu’il estime approprié. Mais aussi longtemps qu’il souhaitera agir conformément à l’accord et en coordination avec le P5+1 et avec le Conseil de Sécurité, il sera obligé de traiter les renseignements dont il dispose conformément aux dispositions du JCPOA – ce qui prive ces renseignements de toute utilité.[6]

En réponse à la visite de l’ambassadeur Haley au siège de l’AIEA, plusieurs officiels iraniens ont affirmé que la politique américaine était chaotique, que les Américains ne connaissaient pas l’accord et que l’article 74 de l’Annexe 1 du JCPOA n’autorisait pas l’ambassadeur à présenter cette demande [de visiter des installations militaires] au directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano. Hassan Firouzabadi, conseiller militaire senior du Guide suprême iranien Ali Khamenei et ancien chef d’état-major iranien, a déclaré, le 27 août : “La représentante des Etats-Unis aux Nations unies, Haley, ment lorsqu’elle déclare que le JCPOA autorise les visites de sites militaires en Iran, parce que le JCPOA ne le permet pas… Il vaudrait mieux que l’Amérique cesse ses incitations [contre l’Iran]. Trump cherche, avec ce spectacle, à détourner l’attention du monde des conflits racistes en Amérique”. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Bahram Qassemi, a déclaré, le 27 août également : “Le cadre de la coopération avec l’AIEA est fixé par avance et ne peut être modifié. Nous ne nous soumettrons pas aux exigences excessives de certains gouvernements, et n’autoriserons pas des étrangers à entrer dans des endroits définis comme interdits par le JCPOA. »[7]

–  En avril 2017, l’administration Trump a également soutenu la déclaration du G7 sur la non-prolifération et le désarmement, selon laquelle les pays du G7 soutiennent le JCPOA comme étant une “contribution importante au régime de non-prolifération [nucléaire]”.[8]

–  Le 18 avril 2017, après son discours anti-Iran très virulent, le Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a annoncé qu’il y aurait un examen exhaustif, de la part de toutes les branches de l’administration, de la politique des Etats-Unis envers l’Iran – qui ne fixe aucune date butoir. Cet examen, qui pourrait sembler inutile vu la manière dont Tillerson a décrit l’Iran dans son discours, a de fait paralysé le projet de loi S.722 du Sénat – loi sur l’opposition aux activités déstabilisantes de l’Iran de 2017.[9]

–  L’administration s’est abstenue de désigner le Corps des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran (CGRI) comme une organisation terroriste, suite aux pressions iraniennes.

– Le Président Trump a fait une déclaration publique lors de la conférence de Riyad de mai 2017, selon laquelle les alliés des Etats-Unis ne devaient pas attendre des Etats-Unis qu’ils agissent à leur place : “L’Amérique est disposée à se tenir à vos côtés – pour nos intérêts communs et la sécurité conjointe. Mais les nations du Moyen-Orient ne peuvent attendre de la puissance américaine qu’elle écrase leurs ennemis à leur place”.[10]

–  Le Président Trump a légitimé l’expansion de l’Iran en Syrie et de fait, jusqu’en Méditerranée, en acceptant l’accord Russie-Turquie et le Plan de zones de désescalade en Syrie. Cela ressort de la déclaration de juin 2017 du porte-parole de la coalition anti-EI, le colonel Ryan Dillon, qui a déclaré que l’objectif des Etats-Unis était de vaincre l’EI partout où il se trouve. Il a ajouté que si d’autres, “y compris le gouvernement syrien et ses alliés iraniens et russes, veulent combattre aussi les extrémistes, alors “nous n’avons absolument aucun problème avec cela ».[11]

–  Selon des officiels iraniens, l’Iran et les Etats-Unis ont échangé des messages au sujet du statut du CGRI dans d’autres contextes (voir les rapports de MEMRI).[12]

Des changements sur la scène politique iranienne  et dans la région ont aussi contribué au grand renversement

La disparition du principal dirigeant du camp pragmatique Hashemi Rafsandjani de la scène politique, avec son décès en janvier 2017, ainsi que les victoires militaires du CGRI et de ses milices chiites locales en Irak, en Syrie et au Yémen au cours des récents mois, ont renforcé l’idéologie et consolidé la voie du camp dirigé par le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, lui donnant le dessus sur le camp pragmatique. Ce serait une erreur d’interpréter la victoire électorale de Hassan Rohani de mai 2017 comme une victoire du camp pragmatique, qui a dans le passé critiqué la politique d’expansion régionale menée par le CGRI. En effet la position du président Rohani et de son camp a évolué : ils ont récemment exprimé leur soutien total à une telle expansion. Ils améliorent leurs relations avec le CGRI et font tout ce qu’ils peuvent pour défendre le CGRI contre l’administration américaine, afin d’empêcher qu’il ne soit désigné comme une organisation terroriste.

Le second mandat présidentiel de Rohani inaugure la nouvelle direction du camp pragmatique dans l’arène politique iranienne, qui accepte à présent sans hésiter la politique expansionniste régionale menée par Khamenei au moyen du CGRI. Aussi, la réélection de Rohani constitue une victoire du camp idéologique dirigé par Khamenei, Rohani leur étant de plus en plus subordonné.

Plusieurs commandants du CGRI, y compris le commandant de la Force Al-Quds Qassem Soleimani, le commandant du CGRI Ali Jafari, le commandant de la Force aérospatiale du CGRI le Brig.-Gen. Amir Ali Hajizadeh, le commandant des Basiji Gholam-Hossein Gheibparvar, et le général Kothari, ont rencontré Rohani le 24 juillet 2017. Il a été rapporté que Rohani avait remercié le CGRI pour ses efforts et affirmé qu’il fallait préserver “l’unité” et renforcer la puissance militaire du CGRI et de l’armée iranienne.[13]

Lors de son entrée en fonctions en août, Rohani a prononcé son “discours nucléaire”, dans lequel il a annoncé que les Etats-Unis devaient savoir que s’ils continuaient d’enfreindre le JCPOA, l’Iran pourrait “en quelques heures” reprendre son programme nucléaire, et à un stade plus avancé que celui où il se trouvait avant le JCPOA.[14]

Voir la suite dans le rapport intégral en anglais.  

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