Par S. Schneidmann*
Le 20 mai 2018, le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, 83 ans, a été transféré d’urgence à l’hôpital de Ramallah, à la suite des complications d’une opération de l’oreille, subie cinq jours auparavant. La presse arabe internationale a rapporté qu’il souffrait d’une congestion pulmonaire accompagnée d’une forte fièvre, et qu’il était intubé. Ces informations ont été confirmées par la suite par un communiqué du secrétaire général du Comité central du Fatah, Jibril Al-Rajoub.[1]
L’hospitalisation de neuf jours d’Abbas, et son état de santé général, ont suscité un vaste débat dans les médias palestiniens concernant la question de son éventuel remplacement, en cas d’inaptitude, au vu de son âge avancé, de la concentration du pouvoir entre ses mains et de l’absence de mécanisme clair et convenu pour le choix de son successeur.
La possibilité qu’Abbas soit incapable de remplir ses nombreuses fonctions en l’absence de successeur a suscité dans les médias palestiniens des expressions de craintes de chaos et de guerre civile au sein du Fatah, dirigé par Abbas, et entre le Fatah et le Hamas, ainsi que des appels à mettre en place urgemment un mécanisme légal pour la succession d’Abbas alors qu’il est encore en poste, afin d’éviter une crise soudaine. Dans le même temps, les porte-parole officiels de l’AP et du Fatah préfèrent démentir les rumeurs sur l’hospitalisation d’Abbas et délégitimer les discussions autour d’éventuels scénarios futurs, au lieu de se focaliser sur la question de son remplaçant.
Crise du leadership de l’AP : ambiguïtés concernant le transfert du pouvoir si Abbas était incapable de remplir ses fonctions
Mahmoud Abbas dirige trois organes : l’AP, l’OLP et le Fatah. L’identité de son remplaçant à chacun de ces postes est incertaine, tout comme l’interaction entre ces trois rôles. En effet, si une personne est élue ou désignée pour diriger l’un des trois postes, elle ne l’est pas pour les autres. Chaque organe a ses propres institutions et lois régissant le choix de son dirigeant.
Le successeur d’Abbas au poste de président de l’AP doit être choisi conformément à la Loi fondamentale palestinienne, selon laquelle, lorsque le président est dans l’incapacité de remplir ses fonctions, le président du Conseil législatif palestinien devient président par intérim pendant 60 jours, à l’issue desquels des élections générales ont lieu. Le président actuel du Conseil législatif est le membre du Hamas Aziz Dweik, qui est emprisonné sporadiquement en Israël.[2] Un président de l’AP membre du Hamas est une chose inacceptable pour les partisans d’Abbas, en raison du chiisme actuel entre le Hamas et le Fatah et du fait que le processus de réconciliation est dans l’impasse.[3] Le Hamas en est bien conscient, et ses porte-parole avertissent que l’AP violerait sa propre Loi fondamentale concernant le processus de succession à la présidence de l’AP.
Actuellement, en raison du chiisme Hamas-Fatah, les relations sont totalement rompues entre le pouvoir exécutif de l’AP, détenu par le Fatah après l’élection d’Abbas à la présidence en 2005, et le pouvoir législatif au sein de l’AP, détenu par le Hamas après avoir obtenu la majorité au sein du Conseil législatif en 2006. Tant le Fatah que le Hamas considèrent les événements de 2007 et le chiisme subséquent comme un coup d’Etat. Les institutions de la présidence et du Conseil législatif ne reconnaissent pas la légitimité de l’autre, en raison du fait que leurs mandats ont expiré. L’AP ne contrôle pas en fait la bande de Gaza, et n’a pas été en mesure de contraindre le Hamas à lui transférer le pouvoir à Gaza. Par conséquent, elle est incapable de tenir des élections générales à Gaza, comme l’exige la Loi fondamentale, 60 jours après que le président de l’AP soit devenu inapte.
Pour sortir de cette impasse, les associés d’Abbas entendent considérer le Conseil national palestinien (CNP) comme une source d’autorité similaire au Conseil législatif car, selon eux, le CNP est l’autorité législative de l’OLP, et les membres du Conseil législatif sont également membres du CNP de par leur fonction. Récemment, Abbas a réuni le PNC pour habiliter le Conseil central de l’OLP – organe intermédiaire entre le plénum du CNP et le Comité exécutif – à agir comme pouvoir législatif de l’OLP. Cette décision a été interprétée par le quotidien Al-Hayat, basé à Dubaï, comme un contournement du Conseil législatif de l’AP, contrôlé par le Hamas.[4]
Le quotidien basé à Londres Al-Quds Al-Arabi a rapporté que le CNP avait décidé de définir le Conseil central comme « le parlement de l’Etat de Palestine », et a observé que le Conseil central devait se réunir à la fin du Ramadan pour choisir le successeur d’Abbas.[5] Le 6 juin 2018, le quotidien a rapporté que le Conseil central devait créer une nouvelle fonction de vice-président. Le quotidien basé à Londres Al-Sharq Al-Awsat a rapporté, citant des sources palestiniennes, que le dirigeant du CNP Salim Al-Zanoun devrait remplacer Abbas en tant que président de l’OLP, si celui-ci était incapable de remplir ses fonctions.[6]
Le Fatah tente aussi de nommer un successeur à Abbas. Le quotidien libanais Al-Akhbar a rapporté que lors de sa dernière session, le Conseil révolutionnaire du Fatah avait ratifié la désignation de Mahmoud Al-Aloul au poste de vice-président.[7] Le quotidien en ligne de Gaza Dunya Al-Watan a également rapporté que le Fatah Conseil révolutionnaire avait autorisé le Comité central du Fatah à choisir un nouveau vice-président, au cas où le vice-président actuel serait incapable de remplir ses fonctions. Toujours selon ces informations, le Conseil révolutionnaire aurait amendé les lois du Fatah concernant la succession : au cas où le président serait dans l’incapacité de remplir ses fonctions, le vice-président devrait occuper le poste de président du Fatah par intérim pendant trois mois, et représentera le Fatah au sein des institutions de l’OLP. Au bout de trois mois, le Congrès général du Fatah se réunira pour élire un nouveau président. Si ce n’est pas possible, le Conseil révolutionnaire tiendra une réunion d’urgence pour autoriser le vice-président à assumer pleinement la fonction de président.[8]
En dépit de ces décisions des institutions du Fatah, des sources palestiniennes associées à l’opposition à Abbas, ainsi que des sources arabes, ont récemment fait état d’une rivalité autour de sa succession et du partage des rôles entre les hauts-représentants du Fatah, en quête de soutien interne, arabe et international. Par ailleurs, la presse arabe a récemment publié plusieurs commentaires incluant des listes d’officiels du Fatah et de leurs associés, qui étaient les principaux candidats à la succession d’Abbas. Les plus fréquemment mentionnés étaient Mahmoud Al-Aloul, Saeb Erekat, Jibril Al-Rajoub, Majid Faraj, Mohammed Ashtiya, Nasser Al-Qidwa, Marwan Barghouti et Rami Al-Hamdallah. Plusieurs de ces articles mentionnaient également des candidats indépendants tels que Pr Adnan Majali, ou même l’ancien chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mashaal.[9]
De même, aucun adjoint d’Abbas n’a été désigné au sein de l’AP ou de l’OLP, ce qui risque de conduire à une guerre de succession en leur sein.
*S. Schneidmann est chargé de recherche à MEMRI.
Lire le rapport dans son intégralité en anglais
Notes :
[1] Al-Hayat (Dubaï) ; Al-Sharq Al-Awsat (Londres) ; Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 22 mai 2018. La congestion pulmonaire est une inflammation du tissu pulmonaire, généralement causée par des irritants, y compris certains types de traitements contre le cancer. L’agence de presse palestinienne Quds Press a rapporté, citant des sources du Fatah, qu’Abbas a effectivement un cancer. Qudspress.com, 27 mai 2018.
[2] Israël a récemment libéré Dweik après une année d’emprisonnement. Samanews.ps, 22 mai 2018.
[3] Voir MEMRI en français, La réconciliation inter-palestinienne dans l’impasse, 5 décembre 2017.
[4] Al-Hayat (Dubaï), 4 mai 2018.
[5] Al-Quds Al-Arabi (Londres), 30 avril et 25 mai 2018. Le 6 juin 2018, le journal a rapporté que le Conseil central devait créer un nouveau rôle de vice-président.
[6] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 22 mai 2018. Il convient de noter que la convocation de la session du CNP a été perçue par des éléments opposés à Abbas comme une violation des accords antérieurs entre les factions palestiniennes concernant une réforme au sein du conseil, qui ne s’était pas réuni en plénière depuis 1996. De nombreux membres du CNP ont boycotté la session, parmi eux des membres du FPLP, qui fait partie de l’OLP, et des membres du Hamas et du Djihad islamique conviés en tant qu’observateurs. Le Hamas a annoncé qu’il considérait le CNP d’Abbas comme illégitime et contrôlé par le Fatah, qu’il ne représentait pas le peuple palestinien, et que ses décisions n’étaient pas juridiquement contraignantes. Hamas.ps, 30 avril et 4 mai 2018.
[7] Al-Akhbar (Liban), 5 mars 2018.
[8] Alwatanvoice.com, 5 mars 2018.
[9] Voir par exemple Elaph.com, 1er juin 2018.