Dans une tribune parue dans le Huffington post en français le 26 juin 2018, Nathalie Szerman* revient sur la poignée de main échangée entre Kim Jung-un et Donald Trump, se demandant si on pourrait imaginer l’équivalent entre le Guide suprême d’Iran Ali Kamenei et le président des Etats-Unis. Revenant sur les modalités de l’accord sur le nucléaire iranien, dit Accord de Vienne, récemment résilié par Trump, elle rappelle qu’il s’est conclu sans qu’Obama ne puisse jamais rencontrer ni le Guide suprême, ni le président iranien Rohani. Extraits : (1)
Trump et Kim ont posé main dans la main dans un bruit de cliquetis interminable d’appareils photos éternisant leur rencontre, le 12 juin 2018 à Singapour. Ce qui était impossible hier s’est réalisé sous les yeux incrédules du monde entier. Quoi de plus naturel, dès lors, que de se tourner vers l’Iran et de dire: la Corée du Nord l’a fait, pourquoi pas l’Iran?
Un mois plus tôt, Donald Trump déchirait l’Accord sur le nucléaire de 2015, longuement négocié par le Gouvernement Obama avec l’Iran. En France, on choisit d’y voir un coup porté à l’économie européenne et notamment française. Aux Etats-Unis, on y voit une tentative trumpienne de plus de saper les réalisations du gouvernement Obama. Mais pour rendre compte de la détermination du geste, peut-être faut-il revenir sur les modalités de l’Accord, sur certaines évidences tellement évidentes qu’elles sont passées sous silence et au final, ont été oubliées: l’accord a été signé en l’absence de toute normalisation diplomatique.
Quand les détracteurs de l’Accord se sont concentrés sur la quantité d’uranium enrichi en Iran, le nombre de centrifugeuses, les modalités d’inspection des centrales nucléaires (seules les centrales déclarées comme nucléaires par l’Iran peuvent être inspectées), ils semblent avoir oublié une chose: les présidents américain et iranien ne se sont pas rencontrés, pas une seule fois. Qui plus est, cet accord n’a pas été signé et ne porte pas officiellement l’appellation d’ « accord », mais de « plan d’action conjoint », plan qui a été voté dans le cadre de la Résolution 2231 du Conseil de Sécurité de l’ONU, par plusieurs pays sans rapport avec ce plan d’action.
Pourquoi en est-il ainsi? La raison n’est pas, comme le bon sens pourrait le laisser croire, que le président des Etats-Unis aurait refusé de normaliser ses relations avec un Etat totalitaire qui incarcère ses opposants politiques et impose à toutes les femmes de se voiler. Non, la raison est que le Guide suprême d’Iran, qui contrôle les manettes du pays et à qui le président d’Iran rend des comptes, ce Guide sans l’accord duquel aucune décision stratégique ne peut être prise, ne tolèrerait pas de rencontrer le représentant de la démocratie américaine, et ce bien que celle-ci lui propose la levée des sanctions, l’entrée dans le club très fermé des puissances nucléaires, et l’accès à la respectabilité internationale. Et ce aussi malgré quelques concessions de taille faites à l’Iran, lesquelles avaient d’ailleurs inquiété Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, qui avait émis des réserves.
Obama s’est juste vu accorder l’obole d’une conversation téléphonique avec Rohani. Et seul le ministre des Affaires étrangères Mohamed Zarif a été autorisé par le Guide suprême à rencontrer les Américains et à se faire photographier avec eux. Et encore, quand John Kerry, alors Secrétaire d’Etat, s’est permis une promenade à Genève avec Zarif, c’en fut trop pour le régime iranien, dont les organes de presse se sont offusqués. Le sommet de la hiérarchie iranienne est resté fermé au président des Etats-Unis.
Comme le rappelle pudiquement Thomas Erdbrink dans le New York Times, « les dirigeants iraniens sont idéologiquement opposés à la tenue de pourparlers avec les Etats-Unis ». En effet, pour l’idéologie du régime, l’Amérique demeure le « Grand Satan », puissance occidentale dépravée qui résiste à la Révolution islamique. C’est bien aux cris de « Mort à l’Amérique » que l’accord sur le nucléaire a été conclu. Les plus optimistes (ou fatigués de se battre?) ont décidé d’y voir les appels de quelques fanatiques marginaux, quand ce sont des foules qui scandent ce slogan, et que ces foules sont les soutiens du régime avec lequel l’Accord a été conclu (2).
La Corée du Nord, toute dictatoriale qu’elle est, a accepté des pourparlers directs, sur un pied d’égalité, entre dirigeants respectifs, pléthore de photos à l’appui. Qui peut imaginer Ali Khamenei se faire prendre en photo avec Donald Trump? Pour la théocratie iranienne, c’est inconcevable. On peut se poser la question de la validité d’un accord en dehors de toute forme de normalisation diplomatique, en dehors de la reconnaissance d’une partie par l’autre. L’Accord de Vienne sur le nucléaire s’est conclu dans le mépris des règles et des valeurs diplomatiques existantes.
*Nathalie Szerman est directrice du Département francophone de MEMRI
(1) Lire la tribune sur le Huffington post
(2) Voir un exemple de la foule clamant « Mort à l’Amérique » sous l’œil approbateur du Guide suprême Ali Khamenei, en 2015.