Par Yigal Carmon*
Ces temps-ci, le mouvement national palestinien s’enlise sous nos yeux dans une lutte intestine pour le droit de représenter son peuple, lutte dépourvue de toute signification politique, en termes de résolution du conflit avec Israël. Le dirigeant octogénaire de ce mouvement a totalement perdu la main, vomissant un antisémitisme de caniveau, accusant les juifs d’être responsables de l’Holocauste (voir MEMRI en français, Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas : l’Holocauste, les massacres des juifs européens sont dus à leur fonction d’usuriers dans la société ; Hitler avait conclu un accord avec les juifs, 6 mai 2018) et s’attirant des condamnations internationales.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
En 1993, à Oslo, après près d’un siècle de lutte armée, l’OLP, alors représentante du mouvement national palestinien, adoptait le processus politique. Mais ce changement ne fut que stratégique, car non accompagné de transformation idéologique sans laquelle le processus politique est un cadre vide de contenu. Quel changement idéologique aurait pu faire de ce processus politique une voie vers une véritable solution pacifique ? La réponse est simple : la renonciation au droit du retour.
Il aura fallu 25 ans pour que la vérité émerge, d’une clarté limpide : les Palestiniens ne sont pas prêts à renoncer au droit au retour.
Les recherches de MEMRI ont montré, depuis sa création le 7 février 1998, que les Palestiniens ne veulent pas renoncer au droit au retour.[1] En réalité, elles ont révélé plus que cela : la duplicité et le double langage du leadership palestinoen palestinien (à savoir l’incitation au djihad en arabe en parallèle de négociations avec Israël), l’implication de l’OLP dans les attaques terroristes et le refus d’Arafat de quitter le rôle de révolutionnaire pour endosser celui d’homme de paix et d’homme d’Etat. Mais la révélation la plus importante, plus importante que tout le reste, fut la focalisation de l’OLP sur le droit au retour, qui a voué tout le processus à l’échec.
Pendant toutes ces années, une seule figure de l’élite palestinienne a accepté le compromis consistant à renoncer au droit au retour en échange d’un retrait israélien total des territoires débordant des frontières de 1967. Il s’agit du Pr Sari Nusseibeh, qui a créé un mouvement avec un homologue israélien. Ce mouvement comptait dans ses rangs quelques milliers d’Israéliens et une poignée de Palestiniens. Nusseibeh a été ostracisé par son propre camp et a fini par quitter la politique.
Le Plan de paix saoudien de 2002 aurait pu constituer la base d’une solution fondée sur la partition, car dans sa version originale, il n’incluait pas le droit au retour. Toutefois, suite à son amendement par la Ligue arabe, qui y a greffé le droit au retour, il ne pouvait plus servir (voir MEMRI en français, L’ancien président libanais Émile Lahoud révèle comment le Droit de retour des Palestiniens a été inséré de force au Plan de paix saoudien en 2002, 11 décembre, 2014 au 2 mai 2017; voir également l’analyse du Pr Itamar Rabinovitch de ce sommet, The Warped Saudi Initiative, Haaretz.com, 7 avril 2002).
Au cours de 25 ans qui se sont écoulés depuis Oslo, le conflit s’est encore aggravé, lorsque des Israéliens de bonne volonté ont cru en la tactique palestinienne du processus politique, dénuée de conditions politiques concrètes pour la paix. Israël s’est même bercé de l’illusion qu’en reportant les discussions sur le droit au retour, le problème se dissiperait. Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit : les Palestiniens ont interprété cela comme une acceptation tacite du fait que le droit au retour serait finalement accordé, idée qu’aucun dirigeant israélien n’a jamais envisagée.
Ces dernières années, en rejetant les propositions des Premiers ministres Barak et Olmert de retrait israélien de presque tous les territoires occupés, et en s’abstenant pendant les dix-huit mois derniers de revenir à la table des négociations, les Palestiniens sont revenus à la case départ : leur situation en 1947.
Pour les dirigeants sionistes, l’épreuve de vérité a toujours été la capacité à accepter la partition, test qu’ils ont réussi à plusieurs reprises. Pour les dirigeants palestiniens, l’épreuve de vérité fut la capacité à renoncer au droit au retour, test auquel ils ont échoué à de nombreuses reprises.
S’il est vrai qu’une grande partie de l’opinion israélienne était hostile à la partition, ceux qui représentaient la majorité de la population israélienne étaient prêts à l’accepter. En s’agrippant au droit au retour, les Palestiniens ont épargné à Israël la nécessité d’aller jusqu’au bout de ce choix, avec toutes les répercussions internes destructrices qu’il aurait pu avoir.
La focalisation palestinienne sur le droit au retour et son rejet par Israël – rejet partagé par presque tout l’échiquier politique israélien, à droite comme à gauche – constitue la véritable tragédie du conflit. La majorité écrasante des pays occidentaux n’attend pas d’Israël qu’il accepte le droit au retour. Le problème des colonies, que beaucoup mettent en avant, pourrait être résolu de diverses manières, mais la focalisation sur le droit au retour condamne la solution à deux États dès le départ.
La conquête sioniste de l’Indépendance a été caractérisée par la disposition au compromis et par le pragmatisme. Il n’en fut pas toujours ainsi au cours de l’histoire juive. Dans les années 67-135 de notre ère, les juifs pensaient pouvoir pulvériser les légionnaires romains et les renvoyer à Rome (de même que le Hamas pense aujourd’hui pourvoir renvoyer les juifs d’où ils sont venus). Mais au lieu de cela, ce sont les juifs qui durent affronter deux mille ans d’exil et de persécutions. Ce résultat catastrophique est resté gravé dans l’inconscient de la plupart des juifs, conduisant la plupart des dirigeants sionistes à accepter presque n’importe quelle partition, en vertu d’une mentalité de « refus de refuser ». Ainsi, à l’époque où la Royal Navy britannique refoulait les réfugiés juifs et les renvoyait périr en Europe, Ben Gourion appelait la jeunesse hébraïque à rejoindre les rangs de l’armée britannique qui perpétrait ces atrocités.
Où se dirige le mouvement national palestinien aujourd’hui ?
En l’absence des ingrédients essentiels à une solution politique, et incapables en outre de persévérer dans un faux processus politique, ce mouvement pourrait en revenir à la lutte armée. Pour l’instant, il ne l’a pas fait. Et le Hamas adopte – pour l’heure – une stratégie de lutte populaire au lieu de lancer des missiles contre Israël.
Un autre scénario consisterait, pour le mouvement national palestinien, à chercher un avenir en Jordanie. Certes, une telle solution n’est pas en vue. Mais dans l’optique d’une solution à long terme, on ne pourra eternellement ignorer le fait que la Jordanie est composée majoritairement de Palestiniens.
Un troisième scénario serait l’intégration, bon gré mal gré, de la population palestinienne en Israël (c’est la “solution à un Etat”), population qui continuerait de se battre pour obtenir tous les droits possibles, à la fois civils et nationaux. Ce scénario ne se concrétise pas non plus.
Par conséquent, la seule dynamique actuelle est la descente vers la désintégration et l’extinction politique.
Vu l’incapacité des Palestiniens à renoncer au droit du retour, certains demanderont : une issue potentielle à ce conflit a-t-elle jamais existé ?
Deux scénarios hypothétiques viennent à l’esprit :
Si le roi Hussein avait accepté un traité de paix en échange d’un retrait israélien, immédiatement après la guerre de 1967, le droit au retour aurait peut-être perdu de son importance, de manière graduelle mais significative.
Si Israël avait persisté dans son refus de principe de reconnaître l’OLP, porte-drapeau du droit au retour, et avait tenté de parvenir à une solution graduelle avec la direction palestinienne locale, un processus plus réaliste, quoique sans doute sanglant, aurait pu s’amorcer. Celui-ci aurait reçu un soutien politique significatif de l’Egypte, si Sadate avait survécu.
Mais tout cela est à la fois hypothétique et théorique.
Tant que les Palestiniens n’opéreront pas de changement idéologique historique en renonçant au droit au retour, composante de leur identité nationale et de leur combat, ils n’auront aucune perspective nationale réelle.
L’on peut espérer, dans l’intérêt des Palestiniens, qu’il ne leur faudra pas deux millénaires – comme il a fallu aux juifs – pour reconnaître la nécessité de modération et de pragmatisme. La conviction d’Abbas et de l’OLP qu’Israël est un projet colonialiste voué à l’échec ne fera que prolonger leur souffrance.
*Yigal Carmon est le président fondateur de MEMRI.
Lien vers le rapport en anglais
Notes :
[1] Voir: Washingtonpost.com/archive/opinions/1998/02/07/on-fire-with-hate/ccaf6175-e047-40fb-a8ad-d9e450b7309d/?utm_term=.79fcd5f44afa, 7 février 1998; Washingtonpost.com/archive/opinions/1998/01/23/where-the-talk-is-of-hate/1ec1bc8b-2c23-4368-9384-b420c761ecaa/, 23 janvier 1998.