Par Yigal Carmon
Suite à l’attentat de Manchester du 22 mai 2017, la Première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a qualifié les auteurs de la tuerie de « lâches malades », plutôt que d’islamistes. Entre l’attentat de mars à Westminster et l’attaque-bélier et au couteau sur le pont de Londres samedi, cinq autres attentats ont été déjoués. Cette analyse s’intéresse au rapport qui existe entre ces assaillants et leur foi, et souligne la nécessité de mettre fin à l’hypocrisie qui a pour but de ne pas offenser les musulmans ; la vérité est en réalité plus respecteuse de tous, et plus utile dans la lutte contre ce type de terrorisme. Le rapport ci-après propose également une stratégie immédiate : une législation visant à empêcher l’utilisation d’Internet à des fins djihadistes, car Internet alimente la propagation de l’idéologie djihadiste depuis plus d’une décennie. Les décisionnaires occidentaux devraient ignorer toutes les excuses relatives à la liberté d’expression : la liberté d’expression ne permet pas l’incitation au meurtre, pas même quand celle-ci est fondée sur la foi. Les dirigeants occidentaux devraient respecter les conventions internationales contre le génocide et interdire aux entreprises web de violer les lois des pays démocratiques.
Tout comme Barack Obama, François Hollande et David Cameron, qui ont contesté que les attentats djihadistes en Occident étaient en quelque manière liés à la religion, Donald Trump et Theresa May tiennent également à présent à définir de manière erronée le phénomène djihadiste, qualifiant les djihadistes de différentes expressions comme « méchants loosers » (Trump) ou « malades et lâches » (May).
Pendant sa campagne électorale, Trump avait évoqué des termes différents (« le terrorisme islamique radical ») – mais depuis lors, il a de toute évidence adopté l’approche favorite des autres dirigeants occidentaux, qui considèrent toute référence aux racines religieuses du terrorisme comme « inutile ». Comme eux, il est apparemment motivé par le besoin compréhensible de ne pas offenser 1,4 milliard de musulmans.
Tout d’abord, proposons une définition authentique, même si elle est « inutile ». Les djihadistes qui commettent ces crimes horribles ne sont ni des loosers, ni des nihilistes, des adorateurs de la mort ni des lâches ou des malades. Au contraire, la majorité d’entre eux sont des croyants dévots et fanatiques. Ce sont des idéalistes qui sacrifient leurs vies au nom d’un avenir utopique : un monde régi par leur foi. Les attentats qu’ils commettent sont des actes de foi extrêmes. Ils veulent imiter le dévouement des croyants des débuts de l’islam, afin de ranimer la grandeur et la gloire d’antan. En fait, dans le cadre de leur entraînement, de nombreux auteurs d’attentats-suicide adoptent un mode de vie pieux : ils s’immergent dans la prière, aident les nécessiteux dans leur société et s’acquittent de toutes leurs dettes,[1] devenant ainsi des modèles de conduite morale et religieuse pour les autres (voir l’Annexe du présent document contenant la dernière déclaration de la terroriste-suicide Hanadi Jaradat, qui a perpétré un attentat dans un restaurant de Haïfa et qui commence son testament par la formule religieuse, « Au nom d’Allah le Miséricordieux et le Compatissant »).
Contrairement à l’approche des dirigeants occidentaux, qui critiquent le caractère maléfique des auteurs d’attentats tout en absolvant la foi qu’ils suivent, la vérité est que, selon les normes de leur propre croyance, sont des gens vertueux qui suivent les directives du Coran [48:29]: « Soyez durs envers les infidèles et miséricordieux entre vous. » Le problème ne réside pas dans le caractère inné des auteurs d’attentats, mais dans certaines des valeurs essentielles de leur système de croyances religieuses. De fait, leur religion – comme toute religion – inclut des éléments positifs aux côtés d’autres, qui sont malveillants. Nier, comme les dirigeants occidentaux, que ces éléments malveillants font partie de leur religion est une erreur. C’est ce déni qui est inutile ; en fait, il relève de l’aveuglement.
La définition erronée des actes des terroristes peut-elle vraiment atteindre l’objectif d’éviter d’offenser les musulmans du monde ? La réponse est négative. Face aux déclarations des dirigeants occidentaux qui dissocient entièrement les actes des djihadistes de leurs racines religieuses, les musulmans du monde sont portés à conclure que les dirigeants occidentaux ne comprennent pas leur religion et qu’ils ont la vanité intellectuelle de la définir, de manière erronée. En fait, cette erreur d’interprétation nie certaines des valeurs essentielles qui ont étayé les grands accomplissements de l’islam et dont les musulmans s’enorgueillissent : la création d’une grande civilisation et l’édification de plusieurs empires au cours de l’histoire.
Il serait bien plus respectueux pour les musulmans de reconnaître que ces valeurs (de sacrifice de soi et de dévouement extrême destinés à propager la religion par la force) ont été le fondement de l’expansion de l’islam, tout comme l’expansion du christianisme, après que l’empereur Constantin eut créé sa religion d’Etat, fondée sur un processus similaire d’imposition de la religion par la force. Toutefois, le christianisme a depuis lors renoncé à ces valeurs. Le christianisme ne nie pas son passé, mais il a abandonné l’élément de coercition. De même, les dirigeants occidentaux ne doivent pas dénigrer le passé musulman en niant ses valeurs essentielles, mais plutôt demander aux musulmans de suivre une voie similaire : comprendre que certaines valeurs violentes ayant étayé leur civilisation et leur passé glorieux sont incompatibles avec la morale moderne. Les dirigeants occidentaux devraient par conséquent demander aux musulmans contemporains de se focaliser sur les autres aspects de leur foi (comme l’a fait le christianisme) et de rejeter totalement l’imposition de leur vision religieuse utopiste par la force des armes.
Les dirigeants occidentaux ne peuvent espérer vaincre le « terrorisme » dans leurs pays tout en niant et en évitant de reconnaître les racines du phénomène djihadiste : le lien profond entre les attentats et la religion. Reconnaître ce lien sera non seulement plus respectueux envers les musulmans, mais également propice aux réformes et utile aux réformistes musulmans, qui reconnaissent que les idéaux des terroristes sont issus de l’intérieur [de l’islam] : des maisons de prière, des écoles et de la société en général. Etre fidèle envers les musulmans est plus respectueux que le déni. Cela serait aussi beaucoup plus utile, car l’abandon de l’hypocrisie totalement superflue concernant les racines du terrorisme islamique aidera les musulmans à adopter une attitude normale envers leur passé : la fierté pour ses succès, accompagnée de la critique nécessaire envers les valeurs archaïques qui ont mené à ces accomplissements. Les musulmans doivent accepter d’assumer un [nouveau] rôle post-Califat, [2] tout comme les Européens se sont réconciliés avec leur statut post-impérial. C’est un processus certes douloureux, mais inévitable. Les dirigeants religieux de l’islam les plus éminents devraient parvenir à un aggiornamento de leur foi (à savoir une mise à jour de leur religion) similaire aux réformes introduites par le Pape Jean XXIII.
Les dirigeants occidentaux devraient faire passer ces messages ouvertement et instamment, au lieu de pratiquer l’évasion intellectuelle et le déni, comme ils le font aujourd’hui. Il convient de souligner que cette exigence ne s’adresse pas uniquement aux musulmans. C’est une exigence que l’Occident et le christianisme se sont appliqués à eux-mêmes, et qu’ils ont donc le droit d’appliquer au monde musulman. C’est seulement ainsi que le fondement idéologique du djihad pourra être éradiqué et que le « terrorisme » pourra diminuer de manière significative. Il est inutile de préciser qu’il s’agit d’un processus à long-terme, mais qu’il est néanmoins la solution véritable au problème et la seule manière d’obtenir des résultats.
Pour traduire ces idées en politiques concrètes, deux étapes semblent être immédiatement nécessaires. Tout d’abord, les dirigeants occidentaux doivent cesser leur déni hypocrite du lien profond entre le djihad et la religion, et exiger fermement et ouvertement des dirigeants du monde musulman qu’ils prennent des mesures significatives pour réformer leur religion. Deuxièmement – et cela leur incombe uniquement à eux – ils doivent promulguer une législation visant à mettre fin à l’utilisation djihadiste d’Internet, qui a permis la diffusion de l’idéologie djihadiste pendant plus d’une décennie. Ils doivent rejeter toutes les excuses des sociétés web selon lesquelles cela serait impossible ou incompatible avec la liberté d’expression. La liberté d’expression n’autorise pas l’incitation au meurtre, y compris l’incitation à fondement religieux. Ils doivent respecter les conventions internationales contre le génocide et ne pas autoriser les sociétés web à se moquer des lois en vigueur dans les pays démocratiques. Pour une stratégie détaillée visant à purger Internet de l’incitation djihadiste, voir MEMRI Daily Brief No. 126, An Internet Clean Of Jihadi Incitement – Not Mission Impossible, 1er mai 2017.
Annexe : Le testament de Hanadi Jaradat
On trouvera ci-dessous la transcription du testament enregistré en vidéo de Hanadi Jaradat, qui a mené l’attentat suicide dans le restaurant Maxim en octobre 2003. La transcription a été postée sur le site Internet du Jihad islamique, à l’adresse http://www.qudsway.com/Links/Jehad/7/Html_Jehad7/hinadi/hinadi2/hinadi_qudsnet_003.htm
Le testament de la martyre Hanadi [Jaradat], avant son départ pour mener l’opération de Haïfa :
Au nom d’Allah le Miséricordieux et le Compassionné, prière et paix sur le maître de l’humanité, notre maître Mohammed, puisse Allah intercéder pour lui et lui donner la paix :
L’Exalté a dit |dans le Coran] : « Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier d’Allah soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus » [Coran 3-169]. En vérité, les paroles d’Allah sont véridiques.
Chère famille, que le Seigneur du monde récompensera comme Il nous l’a promis à tous dans Son Livre Sacré [par les mots], « Et fais la bonne annonce aux endurants”. [Coran 2, 155]. De fait, Allah a promis le Paradis à ceux qui persévèrent dans tout ce qu’Il leur a apporté – et quelle bonne demeure est le Paradis.
Par conséquent, reconnaissez mon sacrifice en prévision de la récompense d’Allah, qu’Il soit loué et exalté, pour vous dans le monde futur. Je ne suis pas trop précieuse pour me sacrifier pour la religion d’Allah. J’ai toujours cru en ce qui est dit dans le Saint Coran, et j’ai désiré ardemment les rives du Paradis, et désiré ardemment voir la lumière glorieuse du visage d’Allah. J’ai désiré ardemment tout cela, depuis qu’Allah m’a prodigué Ses conseils.
Mes bien-aimés, auxquels je souhaite d’être agréés [pour entrer au Paradis] au Jour du Jugement, j’ai choisi cette voie de mon plein gré, et j’ai lutté pour cela, jusqu’à ce qu’Allah m’accorde le martyre, par la volonté d’Allah. Le martyre n’est pas [accordé] à quiconque sur la terre. Il est plutôt réservé à ceux qui sont honorés par Allah. Serez-vous endeuillés parce qu’Allah m’en a honoré ? Récompenserez-vous Allah par des [pensées] qu’Il n’aimera pas, et que je n’aimerai pas non plus ? Reconnaissez mon sacrifice en prévision de la récompense d’Allah pour vous dans le monde futur, et dites, « Il n’y a aucune force ou puissance sinon par Allah. Nous appartenons à Allah, et c’est vers Lui que nous retournons ».
Nous sommes tous destinés à mourir, et personne ne vit éternellement sur cette terre. Toutefois, celui qui est intelligent répond à l’appel d’Allah. Ce n’est qu’une terre de djihad, et nous y habitons pour le djihad, pour que nous soyons peut-être capables de mettre fin à l’injustice dans laquelle nous vivons depuis ces dernières années.
Je sais que je ne ramènerai pas la Palestine. Je le sais parfaitement. Toutefois, je sais [également] que c’est mon devoir pour Allah. Croyant aux principes de ma foi, je réponds à l’appel. Je vous informe à présent que par la volonté d’Allah, je trouverai ce qu’Allah m’a promis et a promis à tous ceux qui empruntent ce chemin – les jardins qu’Allah nous a promis, dans lesquels nous vivrons pour l’éternité, par la volonté d’Allah.
Croyant en cela, pensez-vous à présent que je pourrais accepter toutes les tentations éphémères du monde ? Comment puis-je continuer à vivre sur cette terre alors que mon esprit s’est attaché au Roi Tout-Puissant ? Ma seule aspiration est désormais de voir la lumière glorieuse d’Allah. C’est Sa terre et Sa religion, mais ils veulent éteindre Sa lumière. Nous le savons tous.
C’est donc mon obligation pour la religion d’Allah – et mon obligation envers Lui – de le défendre. Je n’ai rien qui m’appartienne sinon mon corps, que je vais transformer en éclats qui déchireront le cœur de tous ceux qui ont essayé de nous déraciner de notre pays. Tous ceux qui sèment la mort pour nous recevront la mort, même si ce n’est qu’une petite partie [du sort qu’ils méritent].
Nous sommes encore faibles aux yeux des puissants. Mais nous avons notre religion. Notre croyance nous permet de renouveler notre alliance avec notre Dieu et notre terre. Notre guerre contre eux est une guerre pour la religion et l’existence, et non pour les frontières. Vous le savez bien.
Mon cher père, puisses-tu honorer mon souhait et reconnaître mon sacrifice en prévision de la récompense d’Allah pour vous dans le monde futur. Tous ceux qui m’ont aidé à atteindre le Paradis seront récompensés par mon don pour lui [en entrant au Paradis]. Puisses-tu me rassurer toujours et me rendre fière du père dont je suis la fille, devant mon Seigneur et devant les hommes. Je te prie, cher père, par la gloire d’Allah, de m’accorder le repos dans la tombe, et de ne rien faire d’autre que de reconnaître mon sacrifice, en prévision de la récompense qu’Allah vous réserve dans le monde futur. Car Allah a donné et Allah a repris, et nous appartenons à Allah et nous Lui reviendrons tous.
Chère mère, je prie Allah que tu puisses persévérer, mère, car je t’aime et car tu as toujours donné sans compter. Par la volonté d’Allah, tu continueras sur ce chemin. Reconnais mon sacrifice en prévision de la récompense qu’Allah vous réserve dans le monde futur. Je vais être aux côtés de Fadi, Salih, et d’Abd Al-Rahim et de tous ceux qu’Allah a choisis pour être près de Lui. Reconnais-les tous comme des sacrifices en prévision de la récompense qu’Allah vous réserve dans le monde futur et dis, Allah, sauve-moi de ma situation désespérée, récompense-moi pour mon sort et donne-moi une belle récompense pour cela.
Je demande à tous de me pardonner pour tout ce que j’ai pu faire [qui les a offensés]. De mon côté, j’ai déjà pardonné à tous, et je vous demande ce qui suit : versez 50 dinars à un magasin de vêtements de Jarash ; versez 100 dinars à untel et untel de Qabatiya, et versez 10 dinars [à la charité] pour [le salut de] mon âme, car j’ai oublié une dette de quelques piastres en Jordanie et je ne m’en souviens plus, et priez toujours pour la miséricorde et le pardon d’Allah et Sa satisfaction. Puissiez-vous toujours être contents de moi, mes parents, et au revoir dans les jardins du Paradis.
Allah a dit : « Que ceux qui troquent la vie présente pour la vie future, qu’ils combattent donc dans le chemin d’Allah. Nous accorderons une récompense sans limites à celui qui combat dans le chemin d’Allah, qu’il soit tué ou qu’il soit victorieux ! Car celui-ci n’est pas mort, il est vivant, et vous n’en avez pas conscience. » [Coran 4:74].
Lien vers le rapport en anglais
Notes :
[1] Selon le Hadith, c’est l’une des obligations du moudjahid. Voir Rudolph Peters, Islam and Colonialism: The Doctrine of Jihad in Modern History (Religion and Society, no. 20). The Hague and New York: Mouton Publishers, 1979, pp. 11, 12, 18.
[2] Le réformiste saoudien Turki Al-Hamad a avancé des arguments similaires dans une interview diffusée sur la chaîne télévisée Rotana Khalijiyya les 13-14 juillet 2015.
Turki Al-Hamad : Regardez n’importe quel groupe islamiste : ils répètent que leur but premier est d’établir de nouveau le Califat. Le Califat c’est de l’histoire. C’est fini, c’est du passé.
Journaliste : Il est impossible de le réanimer.
Turki Al-Hamad : Impossible. Vous ne pouvez pas réunir un Malaisien, un Saoudien et un Égyptien et leur imposer un calife, auquel vous donnez l’autorité absolue. C’est impossible, mais ils refusent de l’accepter, et ils vivent le mythe du Califat. J’appelle cela un mythe car il n’y en aura jamais. Ils finiront par percuter le mur de la réalité. Un État nation est la base de tout. Si vous en faites quelque chose de stable et de prospère, et si cet État garantit les droits de l’Homme, il peut devenir un État modèle. Si chaque État s’occupait de ses affaires, le monde serait beau. Mais si chaque État essaie d’imposer son propre modèle au reste du monde, c’est le chaos, et l’Iran en est un exemple.
Lien vers la vidéo de ses déclarations sur MEMRI en français, L’auteur saoudien Turki Al-Hamad : Nos jeunes subissent un lavage de cerveau ; nous devons assécher l’idéologie de l’État islamique à la source, 27 juillet 2015.