Par A. Savyon et Yigal Carmon *
Après sept jours de manifestations de grande ampleur en Iran, intervenues dans les grandes villes, avec la participation de manifestants issus des classes moyennes, et pas uniquement de la classe ouvrière de villes modestes et lointaines, on peut affirmer que le soulèvement présente les caractéristiques suivantes :
- Il est clairement dirigé contre le régime de la République islamique. Le régime tente de neutraliser cet aspect, en acceptant de manière ostensible la tenue de manifestations demandant une amélioration des conditions économiques, mais les manifestants clament aussi “mort au dictateur”, “mort à Khamenei”, et réclament la fin du régime de la République islamique, la fin du hijab obligatoire, la suppression des envois de fonds en Syrie et à Gaza (avec le slogan “Pas pour la Syrie, pas pour Gaza, ma vie est pour l’Iran”) etc. Sur les réseaux sociaux, les revendications suivantes sont diffusées : un référendum, l’abolition du régime du Juriste-théologien, des élections libres, une justice indépendante, la liberté de la presse, la séparation de la religion et de l’Etat et l’égalité des sexes.
Affiche avec des slogans de manifestants diffusée sur les réseaux sociaux. Source: Twitter.com/pessarbad/status/948452946232119296, 3 janvier 2018.
Le clip de MEMRI TV suivant, publié le 20 novembre 2017, montre une manifestation à Téhéran, laquelle annonçait le soulèvement actuel :
- Ce soulèvement populaire n’a pas de dirigeant connu s’exprimant en son nom. Le 3 janvier 2018, des noms de villes, d’emplacements et des dates ont été donnés pour les manifestations quotidiennes, par un groupe ou une personne se faisant appeler “Iran Azadi [« Iran libre »] – siège de coordination des manifestations ». Ces indications ont été diffusées sur les réseaux sociaux.
Twitter.com/iranazadi1395/status/948478702383456258, 3 janvier 2018.
- Le régime iranien n’a pas appelé le Corps des gardiens de la Révolution islamique (CGRI) à réprimer le soulèvement ; il a confié cette tâche aux Basij et à la police, apparemment par crainte de violences excessives, comme en 2009, lesquelles attiseraient les flammes de la révolte populaire.
- Les grandes figures du camp réformiste, qui a été écarté du pouvoir et de la vie publique, ont rejoint les tentatives du régime pour calmer le peuple.[1] Le régime tente de les utiliser comme un pont entre lui et les manifestants afin d’empêcher le soulèvement de s’étendre, et le ministère de l’Intérieur a pour cela convoqué une réunion de tous les partis politiques d’Iran, y compris des partis réformistes interdits, pour discuter des problèmes économiques soulevés par les manifestants.
- Contrairement à ce qui s’est passé lors du soulèvement en Syrie, il n’y a pas eu de défection connue de membres du personnel de sécurité pour rejoindre les manifestants. La vidéo ci-dessous, diffusée sur Twitter, montre un policier expliquant aux manifestants qu’il n’est “pas devenu soldat pour combattre” son propre peuple ; il est applaudi par la foule :
Source : Twitter.com/ArminNavabi/status/948001957884542977, 1er janvier 2018.
- Au cours des premiers jours du soulèvement, aucun membre des dirigeants du camp idéologique n’a évoqué la situation en public. La seule figure politique qui soit apparue publiquement fut le président Hassan Rohani, qui a prononcé un message de conciliation exprimant sa compréhension des motivations des manifestants, mais tentant d’imposer des restrictions aux manifestants. De son côté, le Guide suprême Ali Khamenei a convoqué une conférence des familles des martyrs, et dans ses déclarations, il a accusé l’Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis d’être à l’origine du soulèvement.
- Le président Rohani a rendu le régime responsable de la crise économique, expliquant que la plus grande partie du budget du pays – à savoir 200 milliards sur un total de 360 milliards de toman (somme équivalent à environ 100 milliards $) – ne se trouve pas sous son contrôle.[2] Cela signifie que la majeure partie du budget national est contrôlée par le Guide suprême Khamenei et le CGRI.
- Au sein du régime, un différend est apparu sur la question de savoir qui est responsable du soulèvement. Le camp idéologique critique le président Rohani et sa politique économique, qui comprend des coupes de subventions publiques et une augmentation des impôts et des prix des produits de base, et l’accuse de corruption.[3] Rohani, comme son mentor, le défunt Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, s’est exprimé contre la politique du Guide suprême et du CGRI d’exportation de la révolution et d’instauration de l’hégémonie de l’Iran dans la région, laquelle a mobilisé pendant des années des ressources considérables pour le développement d’armes et le financement des agents de l’Iran, au détriment du public iranien. La vidéo de MEMRI TV ci-dessous montre des déclarations de Rafsandjani sur ce sujet et le rejet de Khamenei :
Les vidéos de MEMRI TV ci-dessous montrent les investissements massifs du régime dans la construction de bases de missiles de longue portée sous les villes iraniennes.
L’Iran dévoile ses bases de missiles longue portée sous les villes iraniennes – 14 octobre 2015
L’Iran lance des missiles depuis un silo souterrain – 8-9 mars 2016
La vidéo de MEMRI TV ci-dessous montre les développements militaires en dehors des frontières de l’Iran, tel qu’il se reflète dans les déclarations du commandant du CGRI Ali Jafari et du secrétaire-général du Hezbollah Hassan Nasrallah:
- Alors que le régime iranien accuse l’Occident, et en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis, de diriger le soulèvement, le fait est que seuls le président des Etats-Unis Donald Trump et le vice-président Mike Pence se sont exprimés clairement contre le régime iranien et contre ses violations des droits de l’homme.[4] Les dirigeants européens ont été discrets sur le sujet. Le Premier ministre britannique Theresa May a exprimé son soutien au régime iranien en lui demandant de tenir compte des demandes des manifestants ;[5] le président français Emmanuel Macron a exprimé sa préoccupation concernant le nombre de victimes parmi les manifestants et appelé à la retenue de la part du régime, [6] et le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a lui aussi exprimé sa préoccupation au sujet du décès de manifestants et appelé le gouvernement iranien à respecter les droits des personnes.[7] Dans la vidéo de MEMRI TV ci-dessous, Khamenei impute la responsabilité du soulèvement aux ennemis de l’Iran ; dans la vidéo suivante, datant de 2009, il tourne en dérision les manifestants :
- La couverture par les médias occidentaux du soulèvement en Iran ne ressemble pas à celle du Printemps arabe. Cette dernière était exhaustive, approfondie et solidaire des manifestants, tandis que la première demeure superficielle et ne manifeste pas de solidarité envers les manifestants. Cet état de fait a donné lieu à des manifestations à Londres, devant le siège de la BBC accusée de parti pris.
Source : Twitter.com/KavehAbbasian/status/948342990745034752, 2 janvier 2018.
Analyse
Le blocage par le régime iranien de l’accès à Internet et des réseaux sociaux risque d’avoir un impact négatif sur le niveau de participation aux manifestations, même s’il n’y a pas encore de signe d’affaiblissement de celles-ci.
Le régime a exprimé sa volonté de dialogue avec les groupes politiques qu’il avait précédemment interdits d’activité publique, mais les manifestants crient des slogans contre les réformistes, qu’ils ne considèrent pas comme leurs porte-parole. Par conséquent, cela ne ramènera pas le calme.
Le fait que le soulèvement n’a, à ce stade, pas de direction connue en mesure de donner une impulsion aux messages politiques, sera un frein à sa poursuite.
Lire le rapport original en anglais
*A. Savyon est la Directrice du Projet Médias iraniens de MEMRI ; Yigal Carmon est le Président de MEMRI.
Notes :
[1] L’ancien président réformiste Mohammad Khatami, auquel le régime a interdit de donner des interviews ou de quitter l’Iran, a réitéré la position du régime iranien lors d’un rassemblement politique du « parti réformiste Clergé combattant », et a même accusé les manifestants de meurtre : ‘“Des agents opportunistes et des perturbateurs de l’ordre public mettent en œuvre les objectifs criminels de l’ennemi en troublant la paix et la sécurité, en détruisant des biens publics, en dénigrant les valeurs sacrées de la religion et de la nation, et même en tuant des innocents ». Ses déclarations de soutien au régime ont été tweetées par la BBC. Ata’ollah Mohajerani, ministre réformiste du gouvernement de Khatami, a tweeté : “La BBC et VOA couvrent les manifestations avec passion et beaucoup de bruit. S’ils connaissaient l’Iran et le peuple iranien, ils auraient compris que cette vague [de manifestations] n’a aucun fondement ». Kayhan, Londres, 2 janvier 2018.
[2] Asr-e Iran (Iran), 1er janvier 2018.
[3] Il convient d’observer que le premier Vice-Président iranien Eshaq Jahangiri a affirmé que les incitations des idéologues contre le président Rohani et son gouvernement avaient permis une évolution rapide des troubles liés aux manifestations économiques en un soulèvement populaire, avec un programme politique clair. Voir MEMRI Special Dispatch No. 7256, Popular Uprising Against The Iranian Regime And Its Policy – 2017, December 31, 2017.
[4] Le porte-parole du Département d’Etat américain Heather Nauert a déclaré que les sanctions étaient un outil dont disposent les Etats-Unis pour répondre au comportement de l’Iran et que les Etats-Unis “examinaient soigneusement les informations relatives aux violations potentielles des droits de l’homme”. Associated Press, 2 janvier 2018.
[5] Un porte-parole du Premier ministre May a déclaré : ”Nous pensons qu’il devrait y avoir un débat d’envergure sur les questions légitimes et importantes que les manifestants soulèvent, et nous comptons sur les autorités iraniennes pour l’autoriser », Reuters.com, 2 janvier 2018.
[6] Elysee.fr, 2 janvier, 2018.
[7] Reuters, 1er janvier 2018.