Dans un éditorial publié dans le quotidien saoudien en anglais Arab News, le journaliste chrétien palestino-américain Ray Hanania déplore que les Arabes chrétiens reçoivent davantage d’aide de la part d’Israël que de leurs concitoyens musulmans. A titre d’exemple, il cite le réalisateur palestinien chrétien Shady Srour, dont le nouveau film, Holy Air [Un air saint], est célébré par les Israéliens mais a toutes les chances d’être dédaigné par les militants arabes, en raison de son financement israélien. Si les militants arabes, affirme Hanania, semblent croire que les Arabes chrétiens et musulmans sont frères, en pratique, ils ne considèrent pas les chrétiens comme leurs égaux, en particulier si ceux-ci contestent les principes dominants chez les Arabes, tels que le soutien au BDS ou le rejet de la normalisation avec Israël. Soulignant que les films sont bien plus efficaces que les manifestations visant à influencer l’opinion publique, Hanania suggère que, au lieu de rejeter la normalisation avec Israël, les Arabes devraient réaliser des films de qualité qui montrent aux Israéliens, et au reste du monde, le visage positif des Palestiniens et des Arabes. Extraits :

Shady Srour, réalisateur palestino-chrétien basé à Nazareth, a produit un film comique intitulé Holy Air, qui a bénéficié d’un soutien promotionnel considérable de la part de militants israéliens. Le film traite d’un personnage de fiction qui élabore le projet de vendre de l’air en bouteille de la Terre sainte, afin de s’enrichir et d’aider sa famille à régler ses factures. C’est l’un des films de production palestinienne en tête d’affiche au festival du film israélien de Los Angeles cette année.

Le message du film de Srour est que l’argent transcende les différences au Moyen-Orient et rassemble les Arabes et les Israéliens. Même si le film n’est pas politique, il ne risque pas d’être soutenu par les militants arabes, du fait de son financement israélien.

De manière générale, je pense que les Arabes chrétiens reçoivent une aide plus importante de la part d’Israël que de la part des Arabes. Israël reconnaît l’importance des Arabes chrétiens dans la guerre pour gagner la confiance et le cœur du monde, en particulier pour bénéficier d’un soutien américain. Les Arabes [musulmans] ont tendance à apporter un soutien de façade aux Arabes chrétiens, répétant comme des perroquets l’opinion politiquement correcte, selon laquelle les chrétiens et les musulmans partagent les mêmes souffrances et les mêmes défis, et qu’ils versent leur sang pour les mêmes causes.

Mais les chrétiens ne sont pas les égaux des musulmans aux yeux des militants arabes. Les chrétiens arabes qui contestent les principes arabes dominants – tels que ceux du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël et le rejet de la solution à deux Etats – sont marginalisés, vilipendés en tant que « complices des sionistes » et « traîtres à la cause palestinienne ». Les militants ne supportent pas de voir leur « sagesse » remise en cause. Ils veulent réduire au silence ces voix modérées.

Les endroits vers lesquels les Arabes chrétiens peuvent se tourner pour obtenir un soutien sont rares. L’un de ces endroits est Israël, qui répond invariablement à leurs besoins. Les Israéliens parlent de nous, alors que les militants arabes veulent que nous disparaissions. Je suis certain qu’Israël est motivé par la valeur de la propagande, mais le principal est qu’il soutient les Arabes chrétiens. C’est l’une des raisons pour lesquelles tant d’Arabes chrétiens fuient le Moyen-Orient pour gagner les pays occidentaux, où ils sont bien accueillis et peuvent s’intégrer.

Israël aime mettre en vitrine les Palestiniens qui défendent la politique anti-normalisation des extrémistes du BDS et d’autres groupes. Et rien n’attire plus l’attention qu’un message intégré dans un film. Les festivals de films sont présentés comme des environnements culturels, pourtant leurs produits peuvent véhiculer des messages forts. Le cinéma est très efficace pour transmettre des messages politiques par le biais du drame, de l’humour et de la narration.

Dans les années 1960, Israël a utilisé le film Exodus pour marquer ses messages de propagande dans les esprits des Américains. Le film était basé sur le livre de Léon Uris paru en 1958, qui avait été commandé par des militants pro-israéliens pour créer une fiction à grand succès. Le film avait pour vedettes certains des acteurs les plus populaires de Hollywood, parmi lesquels Paul Newman, né de parents juif et catholique.

Israël connaît le pouvoir du cinéma, et de nombreux juifs israéliens et américains ont joué des rôles importants à Hollywood. Certains critiques ont affirmé que l’industrie du cinéma était traditionnellement marquée par un racisme anti-arabe, dû à des préjugés personnels et des partis-pris politiques. Ayant grandi en Amérique, j’ai vu plus de 200 films hollywoodiens qui présentaient les Arabes uniquement comme des personnages sinistres, des terroristes et des assassins. Les Américains avaient rarement l’occasion de voir le vrai visage de la culture arabe.

Seuls quelques films comportaient des images positives, comme le film Le message, produit en 1976 avec un financement arabe, qui racontait l’histoire de la montée de l’islam et avait pour acteur principal la star hollywoodienne Anthony Quinn.

D’autres films modernes incluent Le Royaume des cieux, avec Liam Neeson, sur les croisades ; L’intégriste malgré lui et AmericanEast, qui aborde les défis rencontrés par les Arabes américains après les attentats du 11 Septembre, mettant en vedette mon ami Sayed Badreya.

Pourquoi le monde arabe ne produit-il pas de films aux scénarios prenants, susceptibles d’attirer un public non arabophone ? De nombreux films intéressants sont produits dans la région, mais la plupart évitent les sujets politiques et sont en arabe, plutôt qu’en anglais. Ils n’atteignent pas un public important qui devrait entendre la voix des Arabes.

Le BDS ne partage pas mon point de vue. Mais au lieu de repousser les Israéliens et de rejeter la « normalisation », nous devrions les adopter et les écarter de la politique raciste d’apartheid de leur pays. Nous devrions leur montrer le visage positif des peuples arabes et palestinien, même si nous sommes en désaccord avec leur politique. Et nous devrions soutenir les Palestiniens à l’intérieur d’Israël, comme Srour, dont les voix sont plus importantes que la rhétorique de protestation du BDS.

Le film de Srour devrait être montré dans le monde arabe et au sein de la communauté militante arabe. Il est plus facile de manifester devant une ambassade israélienne que de financer et produire un film captivant, qui raconte le récit arabe de manière positive et efficace, à des gens qui ont besoin de l’entendre. Un film captivant sur la souffrance palestinienne, sans rhétorique politique et idéologie, peut faire bien plus que la plus importante des manifestations.

Lien vers le rapport en anglais

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