Le 22 juin 2018, dans le quotidien libanais Al-Akhbar, proche du Hezbollah, a paru une interview de l’ambassadeur russe au Liban, Alexander Zasypkin. Dans celle-ci, Zasypkin affirme que la présence iranienne en Syrie est légitime tant que la guerre contre le terrorisme n’est pas terminée, et qu’elle est coordonnée avec le gouvernement syrien. Il souligne le fait que la présence américaine et française en Syrie constitue une occupation et que les Etats-Unis continuent de soutenir les terroristes en Syrie. La Russie et l’Iran, ajoute-t-il, sont des alliés très proches et ont des intérêts communs, non seulement en Syrie, mais dans toute l’Europe et l’Asie. Par conséquent, les Etats-Unis et leurs alliés ne devraient pas s’attendre à un désaccord entre la Russie et l’Iran en Syrie.

Concernant la tension au sud de la Syrie et à la frontière entre la Syrie et Israël, l’ambassadeur Zasypkin a déclaré que l’armée syrienne vise à reprendre le contrôle des mains des terroristes au sud, et qu’Israël n’avait donc aucune raison de mener des opérations pouvant entraver ses efforts. Il a estimé qu’aucune guerre entre l’Iran-Hezbollah et Israël ne devrait éclater dans un proche avenir, et a observé qu’il n’y aurait pas de paix dans la région tant qu’Israël ne renoncerait pas aux territoires qu’elle occupe sur le plateau du Golan, en Cisjordanie et à Gaza.

Critiquant les Etats-Unis, il a affirmé que « l’accord du siècle » du président Donald Trump constitue une capitulation, et non un accord de paix, et a accusé les Etats-Unis et le Royaume-Uni de tenter de modifier le fonctionnement des institutions internationales, de tirer profit de celles-ci pour promouvoir leurs intérêts et de porter de fausses accusations contre la Russie et la Syrie, notamment concernant l’utilisation d’armes chimiques. Il a conclu en appelant les Libanais à demander une aide militaire à la Russie et à ne pas se contenter de celle que le Liban reçoit actuellement des Américains et des Occidentaux.[1] L’article contenant l’interview est constitué de citations directes de Zasypkin et d’un résumé de ses déclarations. Extraits :

La Russie et l’Iran ont des intérêts communs et sont de « proches alliés » ; la Russie est déterminée à affronter l’axe Etats-Unis – Occident

L’ambassadeur s’est étendu sur les futurs conflits [escomptés] et sur la poursuite des conflits en cours, notamment le conflit en Syrie, qui a provoqué un certain pessimisme, mais il a souligné que la Russie et ses alliés sont déterminés à affronter l’axe Etats-Unis – Occident. Il ne fait aucun doute que l’ambassadeur de Russie entend beaucoup parler du pari des alliés des Etats-Unis dans la région sur une dissension entre la Russie et l’Iran en Syrie. En ce qui le concerne, « ce sont des déclarations destinées aux médias, et les paris sont hors de propos ».

Zasypkin a déclaré à Al-Akhbar que la Russie et l’Iran partagent des intérêts géopolitiques très importants et une alliance étroite, non seulement en Syrie mais dans toute l’Europe et l’Asie, en sus de leurs intérêts économiques étendus [en commun]. En outre, a-t-il affirmé, la lutte contre le terrorisme en Syrie n’est pas encore finie : « Il est vrai que l’EI, [Jabhat] Al-Nusra et les autres terroristes ont subi de sérieux revers, mais ils sont toujours présents dans les zones sous contrôle américain et peuvent déstabiliser la Syrie et réattaquer. De même, il existe aujourd’hui de nouvelles informations, selon lesquelles les Américains aideraient de nouveau des organisations terroristes, ainsi que le groupe des Casques blancs appartenant à Jabhat Al-Nusra. » [2]

La présence américaine et française en Syrie constitue une occupation – tandis que la présence iranienne est légitime

[Nous lui avons demandé :] Mais des éléments officiels russes ont évoqué un retrait des forces iraniennes et du Hezbollah de Syrie. Quelle est votre réaction ? Zasypkin a répondu : « C’est vrai. La position générale est que l’obtention d’un accord final en Syrie implique le retrait de toutes les forces étrangères. C’est notre position générale, mais nous devons faire une différence [entre ces forces] : nous considérons la présence américaine et française comme une occupation, la présence turque comme contraire aux souhaits du gouvernement syrien – et il existe un dialogue avec les Turcs sur un futur retrait – tandis que la présence iranienne est légitime et coordonnée avec le gouvernement syrien. Comme je l’ai dit, il est trop tôt pour parler d’un retrait aujourd’hui, tant que la guerre contre le terrorisme n’est pas terminée. Les Américains continuent de soutenir les terroristes et maintiennent l’occupation. Par conséquent, l’aide des alliés de la Syrie se poursuit.

[Nous lui avons demandé :] L’armée syrienne se prépare actuellement à mener une action militaire pour reprendre le sud de la Syrie des mains des terroristes. Un arrangement a-t-il été trouvé concernant le Sud ? Et existe-t-il des garanties qu’Israël n’interviendra pas au nom des terroristes ?

L’ambassadeur a répondu : « Lorsque les discussions ont commencé au sujet des zones de désescalade, elles ont été menées avec toutes les parties représentant les pays entourant [la Syrie] afin de combattre le terrorisme, de protéger les intérêts de ces pays et de prévenir le danger du terrorisme qui les menace. Israël craint la présence du Hezbollah et de l’Iran au sud [de la Syrie]. Nous affirmons que l’armée syrienne, avec le soutien des forces russes, reprend des zones au sud, et y rétablit le contrôle du gouvernement syrien. Ainsi, Israël n’a aucune raison de mener des opérations pouvant entraver la lutte contre le terrorisme. »

Pas de guerre imminente entre l’Iran-Hezbollah et Israël

[Nous avons observé :] Mais Israël soutient les terroristes dans le sud de la Syrie, et c’est lui qui attaque les forces syriennes. Zasypkin a répondu : « De fait, Israël tire profit de la présence des terroristes en Syrie pour mener sa propre guerre, mais au bout du compte, les terroristes seront frappés. Nous ne pensons pas qu’une guerre éclatera prochainement entre Israël et le Hezbollah-Iran, car personne n’y a intérêt. Il existe un équilibre de dissuasion. »

[Nous lui avons demandé] : Une autre chose qu’Israël fait est de tenter de retirer par la force la souveraineté syrienne sur le Golan et d’obtenir la reconnaissance américaine de la souveraineté israélienne sur ce territoire occupé. Quelle est votre position à ce sujet ?

[Il a répondu :] « La Russie agit conformément aux résolutions onusiennes, et non selon les caprices des Etats-Unis et d’Israël. Le Golan est une terre syrienne occupée, qui doit être restituée à la Syrie. Israël estime que la Syrie est faible en raison de la guerre, et que l’équipe de contrôle au sein du [gouvernement] américain est très favorable à ses intérêts, et il tente par conséquent d’en tirer profit. Mais cela compliquera le processus de paix, auquel nous reviendra à l’avenir, conformément aux résolutions de l’ONU, et aucune [paix] ne sera possible tant que le Golan, la Cisjordanie et Gaza seront occupés et [tant qu’un] Etat palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale ne sera pas créé. »

« L’accord du siècle » du président Trump est une capitulation, pas un accord de paix

[Nous lui avons demandé :] Quelle est votre opinion sur « l’accord du siècle » du [président Trump] ? Zasypkin a répondu : « Comme je l’ai dit, Israël compte sur la faiblesse des Arabes. L’accord du siècle est une capitulation, pas un accord de paix. Nous pensons que les considérations d’Israël, qui sont acceptables pour certains pays arabes, ne le sont pas pour la Syrie, le Liban et la Palestine. »

En ce qui concerne l’ambassadeur de Russie, si les Etats-Unis continuent de soutenir les terroristes, le conflit en Syrie se poursuivra longtemps. En outre, l’ambassadeur a exprimé son pessimisme sur les intentions américaines vis-à-vis de l’Europe. [Il a déclaré :] « Il est dans l’intérêt des Européens de se tenir aux côtés de la Russie, mais malheureusement, il y a des pays qui ne veulent pas affronter les Etats-Unis. Ils [les Américains] veulent empêcher la Russie de trouver sa place sur le marché mondial de l’énergie, et tentent de perturber le projet de gazoduc et d’oléoduc Nord Stream 1 et 3, [3] aussi, de nouveaux conflits dans le monde risquent d’éclater. [Les Américains] veulent priver l’Europe d’énergie et lui prendre ses ressources. La pression sur les Européens augmentera, mais comme je l’ai dit, il y a malheureusement des pays [en Europe] qui ne veulent pas de conflit [avec les Etats-Unis]. »

Les Etats-Unis exploitent les institutions internationales pour promouvoir leurs propres intérêts

L’ambassadeur de Russie exprime un vif ressentiment concernant l’activité diplomatique britannique et américaine visant à modifier les règles de fonctionnement des institutions internationales. De l’avis de Moscou, « il y a une tentative d’éliminer les institutions internationales et de les exploiter au bénéfice des seuls intérêts américains, comme cela se passe au sein de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Ils veulent que les décisions de cette organisation soient approuvées par des officiels, et non par le Conseil de sécurité de l’ONU. La semaine prochaine, des discussions se tiendront au sein de l’organisation sur cette question. Les Britanniques en particulier, ainsi que les Américains, mènent une campagne pour vendre leur idée aux pays membres, qui incluent le Liban, et il est donc important que les décisions de l’organisation restent entre les mains des pays et du Conseil de sécurité, et non des officiels. Les pays membres doivent savoir que toute modification dans le fonctionnement de l’organisation nuira à leurs intérêts, et par conséquent, ils doivent voter contre de telles décisions.[4]

L’ambassadeur a donné un exemple à cela – à savoir, les tentatives d’exploiter l’OIAC pour accuser la Syrie et la Russie [d’utiliser] des armes chimiques à Ghouta, et également dans l’affaire de l’espion [Sergei] Skripal.[5] Il a souligné le fait que la Russie et la Syrie se sont débarrassées de leurs armes chimiques, mais que malgré cela, certains tentent d’exercer des pressions sur elles. Mais [a-t-il affirmé], « nous les empêchons d’adopter une résolution au sein du Conseil de sécurité, et cette situation doit prévaloir. »

Le Liban doit demander une aide militaire à la Russie et ne pas se contenter de l’aide américaine

Qu’en est-il du Liban ? Zasypkin espère qu’un gouvernement sera constitué dès que possible, et que le Liban commencera à discuter sérieusement, conjointement avec le gouvernement syrien, du retour des [Syriens] déplacés [au Liban] dans leur patrie. L’ambassadeur a qualifié de « bonne » la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre libanais Saad Al-Hariri et a souligné qu’il faut que les comités mixtes libano-russes lancent des initiatives, et ne se contentent pas de tenir des réunions. Concernant l’aide militaire que la Russie peut apporter au Liban, Zasypkin a déclaré : « Nous aidons beaucoup la Syrie, et il est également possible d’aider le Liban, mais les Libanais doivent le demander, et ne pas [se contenter] de l’aide américaine et occidentale. »

Lien vers le rapport en anglais

Notes :

[1] Al-Akhbar (Liban), 22 juin 2018.

[2] Les Casques blancs sont des volontaires soutenus par l’Occident qui défendent les civils, notamment en apportant des premiers secours aux régions contrôlées par les rebelles et par l’opposition.

[3] Il s’agit du projet russo-européen de construire les plus longs pipelines sous-marins de gaz naturel au monde, reliant la Russie à l’Allemagne, qui accroîtront de manière significative le volume de gaz russe transporté vers l’Europe et la dépendance européenne à l’égard de ce gaz.

[4] La Grande-Bretagne tente d’étendre les pouvoirs de l’OIAC afin qu’elle puisse empêcher la prolifération des armes chimiques et déterminer qui est responsable des attaques chimiques, et pas seulement si elles ont eu lieu, comme c’est le cas aujourd’hui.

[5] C’est l’ancien officier de l’armée russe qui a espionné en faveur du Royaume-Uni, et a été empoisonné avec sa fille Yulia en mars 2018. La Grande-Bretagne affirme que les Russes sont à l’origine de cet empoisonnement.

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