Par S. Schneidmann*

A l’heure actuelle, les relations entre le Fatah, dirigé par le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, et le Hamas sont extrêmement tendues, et les positions des deux organisations n’ont jamais été aussi éloignées, depuis le coup d’Etat mené par le Hamas contre l’AP à Gaza en 2007.

Au cours des dernières semaines, la tension est devenue si palpable et le schisme si profond qu’il semblerait que les deux parties – qui accusent les Etats-Unis de s’employer, via l’Accord du siècle, à créer deux entités palestiniennes séparées, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – font cela très bien toutes seules, sans aucune aide américaine. A tel point que chaque partie accuse l’autre de ne plus représenter le peuple palestinien, assure ne plus revenir à la table de négociations ou à des efforts de réconciliation, et annonce qu’elle agira pour destituer le régime de l’adversaire.

Ce qui a accéléré la détérioration des relations a été l’annonce par Abbas, lors d’une réunion des dirigeants palestiniens le 22 décembre, selon laquelle la Cour constitutionnelle de l’AP a décidé de dissoudre le Conseil législatif palestinien (CLP) – contrôlé par le Hamas depuis 2006 – et d’appeler à l’élection d’un nouveau conseil législatif dans les six mois. [1] Abbas a fait part de son intention d’appliquer cette décision de la Cour constitutionnelle. Il a affirmé avoir déjà consulté le président du comité électoral de l’AP, Hanna Nasser, en la matière.[2] Le gouvernement de l’AP applique d’ores et déjà la décision sur le terrain, en prenant des mesures contre les membres du conseil législatif. Le Premier ministre de l’AP, Rami Hamdallah, a annoncé que les membres du CLP avaient « pris leur retraite ». L’AP aurait, entre autres, annulé leurs passeports diplomatiques et demandé aux pays étrangers de les considérer comme de simples citoyens.[3]

La décision de l’AP de dissoudre le CLP est la dernière d’une série de mesures prises par Abbas ces 18 derniers mois contre le Hamas, dans le contexte du différend entre les deux parties pour déterminer le dirigeant légitime, et dans le cadre des tentatives d’Abbas de rétablir le pouvoir de l’AP dans la bande de Gaza. Ainsi, en avril 2017, il avait imposé des sanctions à la bande de Gaza, dont le refus de payer les salaires des fonctionnaires de l’AP sur place et la diminution des paiements de l’AP à Israël pour l’électricité fournie à Gaza.[4] De même, en avril 2018, Abbas avait convoqué le Conseil national palestinien (CNP) pour autoriser le Conseil central de l’OLP à agir comme autorité législative de l’OLP – mesure interprétée comme visant à contourner le CLP, contrôlé par le Hamas.[5]

La décision de dissoudre le CLP, pleinement soutenue par le Fatah et fustigée par le Hamas, a déclenché le conflit entre les deux, chaque partie accusant l’autre de la responsabilité de la crise, de perpétuer le schisme entre la bande de Gaza et la Cisjordanie et de promouvoir l’Accord du siècle américain. Chacun accuse également l’autre d’agir en violation de la loi palestinienne, de maintenir un gouvernement illégitime et inconstitutionnel et, comme mentionné, menace de renverser le régime de l’autre. Chacun appelle à présent à des élections, l’AP pour le CLP et le Hamas pour la présidence de l’AP et le CNP.

Face à la montée des tensions, les abus verbaux sont devenus courants, le Hamas qualifiant Abbas « d’ennemi du peuple palestinien », de « traître » et de « dictateur », et le déclarant inapte à gouverner. Dans le même temps, le Fatah accuse le Hamas de ne pas faire partie du programme national palestinien. La situation a dégénéré en violence physique, chaque organisation procédant à une vague d’arrestations sans précédent parmi les membres de l’organisation rivale, dans la bande de Gaza (au sein des membres de l’AP) et en Cisjordanie (au sein des membres du Hamas).[6] Le Hamas a également empêché le Fatah d’organiser des événements dans la bande de Gaza pour marquer le 54e anniversaire de sa création.[7]

En outre, lorsque des hommes armés se sont introduits dans le siège de la chaîne télévisée de l’AP à Gaza et l’ont vandalisée, le Fatah, par crainte d’une nouvelle escalade, a annoncé la fermeture de ses bureaux à Gaza, et l’AP a retiré ses fonctionnaires du point de passage de Rafah.[8] En outre, le quotidien basé à Londres Al-Sharq Al-Awsat a récemment rapporté qu’Abbas planifierait « une série de mesures énergiques » contre le Hamas, notamment la suppression de tous les budgets de l’AP alloués aux ministères contrôlés par le Hamas à Gaza, pour mettre fin à sa domination et à le contraindre à céder le pouvoir à l’AP.

Lire la suite du rapport en anglais

* S. Schneidmann est chargé de recherche à MEMRI

Notes :

[1] Al-Hayat Al-Jadida (AP), 23 décembre 2018. La Cour constitutionnelle a été créée par Abbas en 2016. Le quotidien de l’AP a souligné que sa création reposait sur une loi adoptée par le CLP, inspirée elle-même de la Loi fondamentale palestinienne, qui tient lieu de Constitution de l’AP. Al-Hayat Al-Jadida (AP), 27 décembre 2018.

[2] Al-Hayat Al-Jadida (AP), 25 décembre 2018.

[3] Al-Quds (Jérusalem), 26 décembre 2018 ; Al-Quds Al-Arabi (Londres), 27 décembre 2018.

[4] La décision d’imposer les sanctions a été prise par Abbas en avril 2017, en réaction à la création par le Hamas du comité administratif chargé de gérer les affaires de Gaza, au motif que l’AP ne respectait pas ses obligations à cet égard. Voir MEMRI en français, Campagne en Cisjordanie contre les sanctions imposées par l’Autorité palestinienne à Gaza, 25 juin 2018.

[5] Al-Hayat (Dubaï), 4 mai 2018 ; Al-Quds Al-Arabi (Londres), 30 avril 2018.

[6] Al-Hayat Al-Jadida (AP), palinfo.com, 31 décembre 2018. Les appareils de sécurité palestiniens ont empêché le président du CLP et officiel du Hamas Aziz Dweik de tenir une conférence de presse à Ramallah. Dweik a refusé d’obtempérer à une convocation pour interrogatoire des appareils de sécurité, concernant sa tentative de tenir la conférence de presse. Hayat Al-Jadida (AP), 27 décembre 2018 ; palinfo.com, 26 décembre 2018.

[7] Fatehmedia.ps, 31 décembre 2018 ; maannews.net, 6 janvier 2019. Le quotidien libanais Al-Akhbar rapporte que, tout en empêchant les partisans d’Abbas de tenir de tels événements, le Hamas a permis aux partisans du rival d’Abbas, Dahlan, de les organiser, et qu’il projette de reconnaître les membres de la faction de Dahlan comme seuls représentants du Fatah à Gaza. Al-Akhbar (Liban), 3 janvier 2019.

[8] Al-Hayat Al-Jadida (AP), 5 janvier 2019.

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