Par Alberto M. Fernandez *

L’Espagne, ou du moins l’Espagne de la conquête et de la primauté islamique, Al-Andalus, occupe une place de premier plan dans la psyché islamique, en particulier dans le contexte des suprématistes islamiques tels Al-Qaïda et les Frères musulmans. Le monde hispanophone aujourd’hui – l’Espagne, l’Amérique latine et au-delà – qui s’est à de nombreux égards détaché de son passé historique lointain, est souvent totalement inconscient de la puissance des symboles et de l’histoire, qui peuvent nous affecter et qui nous affectent effectivement.

Nous pouvons rappeler la beauté de l’art de l’Espagne islamique et la vision idéalisée de la convivencia (coexistence). Nous sommes en effet plongés dans la niaiserie politiquement correcte des maux de la culture et de la civilisation occidentale et de la supériorité de toutes les cultures, à l’exception de la nôtre.[1] Nous avons accepté le « mythe du paradis andalou » [2] et avons naturellement et tout naturellement oublié une invasion militaire étrangère soutenue, qui a englobé presque toute la péninsule Ibérique et n’a montré des signes de reflux que lors de la défaite musulmane à Tours, au centre de la France, en 732.

Aux yeux du monde arabe, l’Espagne, ou du moins l’image romantique et nostalgique d’Al-Andalus, reste un concept à évoquer.[3] Le fameux auteur progressiste syrien Abdel Salam Al-Ujayli (ironiquement, il provient du bastion de l’EI de Raqqa) a abordé ce thème dans son récit évocateur et sympathique “Les lanternes de Séville” (1954).[4] La majeure partie du récit évoque un passé idéalisé et perdu, et ceci dans le cadre d’un déclin plus vaste. En ce sens, les lamentations portent autant sur “les musulmans” que sur l’Espagne elle-même. Il s’agit d’un thème courant. En 2014, le commandant du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), Qasim Suleimani, a mentionné que le déclin du monde musulman a débuté avec la chute de l’Espagne musulmane.[5]

D’autres échos d’Al-Andalus sont plus subtils ou diplomatiques. En 1997, la famille saoudienne au pouvoir a construit une impressionnante mosquée au pied du rocher de Gibraltar (lequel porte, évidemment, le nom du conquérant d’Al-Andalus, Tariq Ibn Ziyad, Gibraltar signifiant « la montagne de Tariq ») dans le territoire d’outremer britannique du même nom. Le récit, paru le 22 décembre 1997 dans Al-Alam Al-Islami, publié par la Ligue mondiale islamique et traduit par MEMRI, est d’une étonnante franchise. C’est principalement un récit historique du combat pour la suprématie du lieu entre les musulmans, les Espagnols et plus tard, les Anglais, en observant toutefois que « le drapeau de l’islam a flotté dans la péninsule Ibérique, pendant huit siècles de gloire, de culture, de pensée et de science ». Il ne comporte que peu, ou pas du tout, de pleurnicheries, de plaidoyers ou de langage connoté.

Mais plus courante encore est l’idée que la perte de l’Espagne serait un tort historique, qui devrait être réparé par la violence. Les salafistes-djihadistes, d’Ossama Ben Laden aux combattants de l’Etat islamique en Afrique du Nord, ont fréquemment utilisé cet argument. « Que le monde entier sache que nous n’accepterons jamais que la tragédie d’Al-Andalus se répète », était une phrase employée par Ben Laden dans un message vidéo d’octobre 2001, après les attentats du 11 Septembre.[6] En 2013, les Talibans ont appelé à reconquérir l’Espagne, accusant l’Occident infidèle d’avoir « aliéné les musulmans de leur histoire glorieuse ».[7] Des djihadistes parlant l’ourdou ont comparé la perte du Cachemire à celle d’Al-Andalus.[8]

La branche médiatique officielle d’Al-Qaïda dans le Maghreb islamique (AQMI) est nommée Al-Andalus.[9] Créée en 2009, son nom a été choisi intentionnellement “car c’est le paradis perdu des musulmans”. AQMI a justifié ce nom en citant l’activiste djihadiste et fondateur d’Al-Qaïda, Abdullah Al-Azzam, affirmant que “le djihad est un devoir individuel depuis 1492, lorsque Grenade est tombée aux mains des infidèles – les chrétiens – et jusqu’à ce jour. Et le djihad restera une obligation individuelle jusqu’à ce que nous restituions chaque morceau de terre jadis islamique aux pays de l’islam et aux musulmans. »[10]  Dans un autre message diffusé en 2007, AQMI a qualifié l’Espagne de “terre volée”. [11]

Al-Andalus est également le nom de la station de radio pro-Al-Shabaab en Somalie.[12] L’un des porte-parole de l’EI a récemment parlé d’utiliser la Libye comme point de lancement de la conquête de Rome et de l’Espagne. Une autre vidéo glaçante de l’EI, datant de mars 2016, montre des enfants soldats en Syrie, endoctrinés à se battre pour revendiquer la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem et Al-Andalus.[13]

La soif de conquête sanglante amplifiée par les médias sociaux est souvent accompagnée d’une action médiatique agressive, généralement d’inspiration salafiste, visant à convertir les catholiques à l’islam. Ce qui ne peut être conquis par l’épée peut parfois être conquis par les prêches, notamment lorsque les Occidentaux ne sont pas certains de leurs croyances et qu’ils sont mûrs pour la conversion.

La chaîne télévisée financée par l’Arabie saoudite Cordoba International, émettant en Espagne depuis 2012 de ses studios de Madrid, parle de construire des ponts avec les autres cultures et religions, mais il s’agit en réalité d’une entreprise à peine déguisée de prosélytisme à destination de l’Espagne et de l’Amérique latine.[14] Comme l’a écrit un ancien ambassadeur saoudien dans un article sur le site Internet de la chaîne, intitulé « Les douleurs d’Al-Andalus », « Al-Andalus aurait pu entraîner la transformation de l’Europe entière en terre musulmane ».[15]

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*L’ambassadeur Alberto Fernandez est l’ancien vice-président de MEMRI. Il est actuellement président de Middle East Broadcasting Networks.

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