Dans son éditorial publié le 21 juin 2019 [1] dans le quotidien turc Yeni Safak, organe du parti au pouvoir AKP (Justice et Développement), le rédacteur en chef du journal, İbrahim Karagül, a qualifié deux navires de forage en eau profonde turcs de « frégate ottomane, vaisseau de Barberousse [2], protection d’un empire, protection de la République de Turquie ». Le premier navire de forage turc, le Fatih, a entamé ses opérations de forage en haute mer, sous pavillon turc, en Méditerranée en octobre 2018.[3] Le second, le Yavuz,[4] devrait entamer les opérations à l’est de Chypre en juillet 2019,[5] malgré les mises en garde de l’UE affirmant qu’une telle activité est illégale, la région faisant partie de la zone économique exclusive de Chypre.[6]

Karagül a ensuite comparé les alliances européennes modernes aux puissances alliées qui ont combattu l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale, et le conflit actuel sur le forage des eaux chypriotes aux batailles navales de grande échelle au 16e siècle, entre l’Empire ottoman et les puissances européennes de l’époque. Il écrit que « la guerre de Syrie a éclaté fondamentalement pour ouvrir un front turc », ajoutant que « le processus de l’UE est mort. L’influence mondiale de l’ONU a été éliminée. » Extraits :

Le second navire de forage turc, le Yavuz, est parti hier vers les eaux chypriotes pour rejoindre son prédécesseur, le Fatih, en Méditerranée orientale. Ces vaisseaux sont chacun un élément de la lutte national de la Turquie. Il s’agit d’une flotte turque. Ils font partie d’une lutte méditerranéenne massive.

N’y voyez pas seulement une question d’énergie. Ne les considérez pas non plus comme une question de gaz naturel ou de pétrole. Considérez-les comme une frégate ottomane, un vaisseau de Barberousse, la protection d’un empire, et la protection de la République de Turquie.

« Un héritage politique millénaire a été remis au goût du jour »

Considérez-les comme faisant partie d’une grande épreuve de force. Pensez-y comme à l’héritage décisif de la Turquie, de nouveau mis en action, la reconstruction du front multinational visant à l’éliminer, et chaque endroit à notre portée devenant un champ de bataille de cet affrontement.

Pensez aux destins des batailles de Préveza [7] et de Lépante [8]. C’est comme si l’histoire politique millénaire avait été ramenée au présent, et condensée à quelques années. C’est le genre de combat que nous menons.

« La plus large coalition après Çanakkale – Ce n’est pas une question de parti, mais une question concernant la Turquie ! »

Non seulement les activités qui se déroulent autour de la Turquie, mais chaque activité, chaque intervention, chaque défense, de l’Afrique du Nord au golfe Persique, de la mer Rouge aux rives de la mer Caspienne, doivent être considérées comme une intervention mondiale, visant à « arrêter la Turquie », et comme une zone de résistance contre elle.

La plus vaste coalition internationale après la guerre de Çanakkale est déployée autour de la Turquie. L’alliance atlantique entre en action, menant des interventions pour pousser la Turquie en dehors de l’histoire, pour la seconde fois depuis la Première Guerre mondiale. Ce n’est pas une question de parti ou de gouvernement. C’est une question concernant la Turquie, une question concernant ces terres, notre héritage, nos revendications et notre tradition politique…

« La guerre en Syrie a fondamentalement éclaté pour ouvrir un front turc… »

Nous avons vu que la guerre en Syrie a fondamentalement éclaté pour ouvrir un front turc. Ils ont édifié un front d’une longueur de plusieurs centaines de kilomètres. Ils ont établi des édifices militaires assez vastes pour des armées entières, au point zéro de notre frontière. Nous sommes intervenus à l’Ouest – ils tentent de mettre en œuvre des tactiques incroyables tant à l’intérieur du pays que depuis l’étranger, pour empêcher notre intervention à l’est de l’Euphrate, en Syrie également.

« La guerre en Syrie est une guerre en Méditerranée orientale, c’est une question liée au nord de Chypre – Le nord de Chypre est un bouclier méditerranéen »

Nous avons vu que la guerre en Syrie était une guerre en Méditerranée orientale. Les flottes occidentales se sont rassemblées dans la région. A présent, elles cherchent de nouvelles opportunités entre la Méditerranée et la frontière iranienne pour intervenir de nouveau. Alors qu’elles affluent vers les sources énergétiques considérables de la région, elles tentent de nous chasser de la région.

Nous avons aussi vu que la guerre en Syrie était devenue une question liée à la RTCN [République turque de Chypre du Nord]. La mobilisation en Méditerranée orientale signifie un siège autour de la RTCN. Nous avons vu comment l’opération de paix de Chypre en 1974 était une décision géopolitique, comment c’était une préparation en vue de qui se passe aujourd’hui, comment nous avons constitué un bouclier protecteur par le biais de la RTCN. A présent, ils tentent d’affaiblir et de désactiver ce bouclier.

« La question de Chypre est close pour nous – Il n’y aura plus de table des négociations »

Ensuite, la question de Chypre du Nord est close. La négociation n’est plus de mise. Ce n’est pas une question relevant de l’ONU ou de l’UE.

La RTCN n’est pas une carte à jouer, c’est un Etat indépendant, une présence extrêmement puissante en Méditerranée orientale. Le processus de l’UE est mort. L’influence mondiale de l’ONU a été éliminée. Depuis que la Grèce et Chypre du Sud ont ouvertement pris position contre la Turquie en Méditerranée et en mer Egée, et que les Etats-Unis, Israël et les pays de l’UE ont fait de même en coopération avec l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU), la nature de la question de Chypre a complètement changé à nos yeux.

Nous sommes à une époque où la force change la donne. Tous les pays ayant une compétence dans le domaine du pouvoir mondial – et surtout les Etats-Unis – sont fermés aux négociations. Cette lutte de pouvoir s’est répandue dans le monde entier. Il ne reste aucune organisation supranationale pour équilibrer cela.

« La compréhension des luttes sur plusieurs fronts, et une préparation défensive extraordinaire sont obligatoires »

Il n’y a pas d’autre option que de renforcer la Turquie et de mener des préparations défensives extraordinaires. Il n’est plus l’heure de chercher des solutions sous le parrainage des Etats-Unis et de l’UE. Parce que la menace vient directement de l’Occident, et vise l’existence de la Turquie. Assiéger la Turquie depuis la Méditerranée, la mer Egée et le nord de la Syrie, établir des fronts à l’intérieur du pays, ce sont des préparatifs pour une vague forte, une intervention.

La Turquie doit se préparer à des interventions sphériques. La zone allant de la frontière iranienne, la Syrie et la Méditerranée jusqu’à la mer Egée et aux Balkans est délimitée comme la ligne de front extérieure. Nous devons nous préparer en vue des vagues qui viendront du Sud et de l’Ouest. Les navires de forage Yavuz (au sud) et Fatih (à l’ouest) devraient également signifier quelque chose au sens symbolique.

« Une lutte difficile attend ‘l’Axe turc’ »

Pourtant, le front le plus important est celui de l’intérieur ; la lutte la plus difficile est celle qui se déroule dans le pays. Combattre l’invasion intérieure sera le combat le plus grand. Les auteurs de l’attaque du 15 juillet 2016 ont été condamnés à des dizaines de peines capitales. Il s’agissait d’agents locaux ayant attaqué la Turquie pour le compte des Etats-Unis, d’Israël et de l’Occident. Et ce n’est pas fini.

Aussi longtemps que se poursuivra le siège de l’étranger, les attaques intérieures se poursuivront. Les deux se déroulent en parfaite harmonie. Mais « l’axe de la Turquie » est aussi sur le point d’entamer une période de lutte acharnée.

Lien vers le rapport en anglais

Notes :

[1] Yenisafak.com, 21 juin 2019.

[2] Barbaros Hayreddin Pasha, plus connu en français sous le nom de Barberousse, était un amiral ottoman de la flotte dont les victoires maritimes ont assuré le contrôle ottoman de la Méditerranée au milieu du 16e siècle.

[3] Dailysabah.com/energy/2018/10/30/turkeys-first-drilling-vessel-fatih-to-launch-deep-sea-operation-in-mediterranean-this-week, October 29, 2018.

[4] Ces deux navires portent le nom de sultans ottomans célèbres pour leurs conquêtes militaires.

[5] Dailysabah.com/energy/2019/06/20/turkeys-second-drillship-yavuz-to-operate-in-east-of-cyprus-by-july, 20 juin 2019.

[6] France24.com/en/20190504-eu-warns-turkey-against-drilling-off-cyprus, 4 mai 2019.

[7] La bataille de Préveza était une bataille navale qui a eu lieu en 1538 près de Préveza, au nord-ouest de la Grèce, entre l’Empire ottoman et une alliance chrétienne. C’est l’une des plus grandes batailles en Méditerranée au 16e siècle, qui s’est achevée par une victoire des Ottomans, dirigés par Khayr ad-Din Barberousse.

[8] La bataille de Lépante était une bataille navale qui a opposé l’Empire ottoman à une flotte de la Sainte Ligue en 1571, sur la côte grecque. Elle s’est conclue par une défaite ottomane.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here