Par Yigal Carmon et A. Savyon*

Introduction

Récemment, des officiels et commentateurs occidentaux qui soutiennent le JCPOA ont commencé à aborder deux questions liées au JCPOA, dont ils reconnaissent eux-mêmes qu’il pose des problèmes qu’il convient de traiter. Toutefois, ces questions – le développement par l’Iran de missiles balistiques de longue portée et la clause d’extinction (qui fait référence à la levée, d’ici huit à 10 ans, des restrictions imposées à l’Iran exposées dans l’accord) – ne font pas partie du JCPOA (celle des missiles) ou bien en sont très éloignées, comme la clause d’extinction, et n’ont par conséquent pas besoin d’être traitées immédiatement. Aussi, en soulevant ces deux questions, ils détournent l’attention du problème essentiel de l’accord, qui requiert une attention immédiate : l’absence d’inspection véritable. Ce problème a ressurgi récemment, lorsqu’il a été rapporté que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait choisi de ne pas inspecter des sites en Iran, à la suite d’informations faisant état de possibles violations [de la part de l’Iran].[1]

Il convient de préciser que lorsque l’Iran, l’AIEA et les dirigeants des Etats signataires du JCPOA répètent qu’il comporte une possibilité d’inspection solide et intrusive, sans précédent, ils perpétuent la description mensongère de l’article du JCPOA concernant l’inspection. Ceci du fait que les inspections n’interviennent que sur les sites que l’Iran accepte de soumettre à l’inspection, à savoir les sites que l’Iran lui-même a déclarés comme étant des sites nucléaires, mais pas sur les autres sites, dont les sites militaires. L’administration Obama et les pays signataires du JCPOA ont conçu celui-ci d’une manière permettant d’une part de prétendre qu’une inspection solide était appliquée, tout en permettant à l’Iran d’échapper à l’inspection de tous les autres sites.

Des inspections sur les autres sites ne peuvent être menées qu’au terme de négociations politiques au sein de la Commission conjointe du JCPOA – dont font partie les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine, l’AIEA et l’Iran – et seulement après un délai de 30 jours depuis la soumission des informations confidentielles ayant donné lieu à la demande d’inspection, et une fois que les sources de ces informations ont été pleinement révélées à l’Iran, la Russie et la Chine. Dans de telles conditions, il n’existe aucune possibilité d’inspection réelle et efficace de l’activité nucléaire de l’Iran (voir MEMRI Inquiry and Analysis No. 1325, Discussion Of Iranian Violations Of JCPOA Is Futile; The Inspection Procedure Designed By The Obama Administration Precludes Actual Inspection And Proof Of Violations, 18 août 2017).

En dépit de ce qui précède, le secrétaire général de l’AIEA Yukiya Amano a affirmé, les 31 août et 11 septembre 2017, que l’AIEA était libre de mener des inspections sur tout site, nucléaire ou militaire, si nécessaire.[2] Amano a appuyé sa déclaration non sur des clauses du JCPOA – qui n’autorise pas de telles inspections – mais sur le Protocole additionnel, qui autorise l’inspection des sites militaires. Mais l’acceptation par l’Iran du Protocole additionnel était d’ordre volontaire, ce qui signifie qu’il peut en sortir à tout moment sans que cela soit considéré comme une violation du JCPOA.

Les officiels iraniens, de leur côté, soutiennent qu’Amano a “inventé” cet argument faisant valoir un tel droit, et réitèrent la position du régime iranien selon laquelle il n’autorise pas la présence des inspecteurs de l’AIEA sur les sites militaires (voir MEMRI Special Dispatch No. 7098, Iranian Regime Officials: We Will Not Allow IAEA To Enter Iranian Military Sites; ‘The Claim Of Such A Right Is Fabricated By [IAEA Director] Amano Himself,’ 19 septembre 2017).

Par conséquent, la déclaration d’Amano selon laquelle l’AIEA a le droit d’inspecter les sites militaires de l’Iran ne peut être mise à l’épreuve que si une tentative est faite pour l’actualiser. Toutefois, lorsque des informations exigeant une inspection de l’AIEA ont été présentées à Amano, il s’est abstenu de le faire, afin de ne pas affronter l’Iran et de ne pas révéler qu’il avait accepté une procédure qui lui liait les mains.

L’administration Obama a transformé l’AIEA en organe non professionnel agissant comme un organe politique

Les remarques suivantes montrent comment l’administration Obama a transformé l’AIEA en organe politique et non professionnel :

  • L’administration Obama et les signataires du JCPOA ont créé un cadre d’inspection unique pour l’Iran qui court-circuite le Protocole additionnel, lequel autorise l’inspection des sites militaires, et qui a été accepté sur une base volontaire et unilatérale par l’Iran, ce qui signifie que l’Iran peut s’en retirer sans pour autant violer le JCPOA.
  • L’administration Obama et les signataires JCPOA ont créé le forum politique suprême de l’AIEA – la Commission conjointe du JCPOA – dont la compétence outrepasse celle de l’AIEA. Cela avec l’accord du directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano, qui a renoncé à son statut sous la pression du président Obama.
  • Le directeur général Amano a accepté la clôture du dossier des PMD (Dimensions militaires éventuelles) du programme nucléaire de l’Iran par une décision politique prédéterminée. Cela a été fait en raison de la menace de l’Iran de ne pas accepter le JCPOA. Il a accepté un arrangement d’inspection spécial pour l’Iran, la Feuille de route – et il a aussi accepté d’effectuer une visite symbolique sur le site militaire de Parchin, une procédure d’inspection totalement dénuée de crédibilité. Ainsi, par exemple, les inspecteurs de l’AIEA n’ont pas visité Parchin en personne, et les échantillons prélevés sur ces sites l’ont été par les Iraniens eux-mêmes, puis transmis aux inspecteurs de l’AIEA sans aucun moyen de garantir que les échantillons prélevés étaient ceux qui ont été transmis à l’AIEA. Le représentant de l’Iran à l’AIEA, Reza Najafi, a déclaré dans une interview à l’agence de presse ISNA le 21 septembre 2015 : “Je conteste l’information de Reuters selon laquelle les échantillons de Parchin ont été prélevés en présence des inspecteurs de l’AIEA. Nous avons nous-mêmes prélevé les échantillons. C’est pour nous une ligne rouge : aucun inspecteur n’est autorisé à pénétrer sur un site militaire pour y mener une inspection. La visite d’Amano et de son adjoint était strictement une visite de protocole. Ils n’avaient aucun équipement, pas même un téléphone cellulaire, leur visite n’a pas duré plus de quelques minutes et elle était destinée uniquement à leur permettre de voir qu’il n’y a rien de suspect et que les arguments concernant [Parchin] étaient totalement erronés ».[3]
  • Yukiya Amano s’est soumis au refus de l’Iran d’autoriser l’interrogatoire de ses scientifiques nucléaires. Il a accepté la demande iranienne de ne pas mentionner le terme “PMD” dans le rapport de l’AIEA. Il convient de mentionner que malgré toutes ces obstructions à l’enquête sur les PMD, le rapport de l’AIEA a confirmé qu’il y avait bien une activité nucléaire suspecte en Iran, mais sans relever que le régime iranien était responsable de cette activité, avec l’accord d’Amano. Pour un examen plus approfondi et une analyse de l’enquête scandaleuse de l’AIEA sur les PMD, voir les informations supplémentaires de MEMRI sur le sujet.[4]
  • Selon un rapport du coordinateur du Département d’Etat de l’administration Obama sur l’Iran, Stephen Mull, la compétence de l’AIEA à contrôler le stock iranien de 8,5 tonnes d’uranium enrichi, qui a été transporté hors d’Iran en décembre 2015, conformément au JCPOA, a été retirée à l’AIEA par les Etats-Unis et confiée à la Russie, avec l’accord des signataires du JCPOA et de l’AIEA elle-même. Cela a été fait sans même décider où la Russie devait stocker ce carburant nucléaire, et sans vérification par les Etats-Unis de ce point. De fait, comme l’a déclaré Mull lors d’une audition de la Commission des Affaires étrangères au Congrès, le 11 février 2016, “Il n’a pas encore été décidé où exactement la Russie mettra cette information [sic]. »[5] Il a aussi déclaré que “Nous n’avons pas de problèmes avec le fait que la Russie garde ces matériaux”.[6] Amano lui-même a accepté que la surveillance de l’uranium enrichi soit soustraite à sa responsabilité.
  • L’AIEA a accepté une procédure scandaleuse pour traiter l’eau lourde iranienne. Les parties au JCPOA, avec l’accord de l’AIEA, ont transformé l’Iran en exportateur d’eau lourde sans le soumettre au système de contrôle des exportations auquel les autres exportateurs, comme le Canada et l’Inde, sont soumis. Selon les pratiques de vérification standards de l’AIEA, les modifications du stock d’eau lourde sont constatées non pas lorsque l’eau lourde est retirée du territoire du pays exportateur, mais seulement lorsqu’elle arrive dans le pays destinataire, qui l’a achetée. L’Iran a été exempté de cette règle. Par sa décision de stocker l’eau lourde excédentaire de l’Iran à Oman et d’accepter un rôle de surveillance limité au retrait de l’eau lourde du territoire iranien, et en la soustrayant par la suite au quota d’eau lourde autorisé à l’Iran, comme si cette eau lourde avait déjà été vendue et était parvenue à destination, l’AIEA a violé ses propres règles, appliquées à tous les autres pays. Il convient également de souligner que l’acceptation par Amano de la localisation d’Oman – satellite politique de l’Iran auprès duquel ce dernier n’aura aucun mal à récupérer son eau lourde à tout moment – comme lieu de stockage de l’eau lourde iranienne, était motivée politiquement par la volonté de se soumettre à la demande de l’Iran. L’AIEA ne rend pas compte de ces violations systématiques en cours.[7] L’administration Trump n’aborde pas non plus cette question, et affirme que l’Iran respecte le JCPOA et ne le viole qu’ “en esprit”.
  • Le rapport de septembre 2017 de l’Institut pour la Science et la Sécurité internationale (IISS) dit également que l’AIEA a renoncé à son statut professionnel et qu’elle fonctionne conformément à des considérations politiques en s’abstenant de rendre compte d’une série de violations iraniennes intervenues ces derniers mois.[8]
  • En septembre 2017, comme indiqué, il a été rapporté qu’Israël avait donné à l’AIEA des informations sur les violations iraniennes qui nécessitaient une inspection sur le terrain, et que l’AIEA s’est abstenue de mener l’inspection qui s’imposait. Un officiel de l’AIEA a déclaré à Reuters sous couvert d’anonymat, le 31 août 2017, que l’AIEA n’allait “pas visiter un site militaire comme Parchin juste pour envoyer un signal politique”.[9] Le refus de mener des inspections sur les sites qui ne sont pas déclarés par l’Iran comme nucléaires est un bon exemple de la politisation non professionnelle de l’AIEA, avec le consentement des signataires du JCPOA.
  • Yukiya Amano s’est abstenu de recourir à sa compétence professionnelle concernant la section T du JCPOA, qui prohibe “les activités pouvant contribuer au développement d’un engin explosif nucléaire”. Au lieu d’appliquer l’accord, ou d’annoncer que l’Iran l’avait violé en n’autorisant pas la mise en œuvre de la section T, il a accepté l’interprétation irano-russe de cette section, selon laquelle Amano n’a pas le statut requis à sa mlse en œuvre, et au lieu d’y voir une violation iranienne du JCPOA, il considère la question la plus importante de l’accord – le développement de modèles d’une bombe nucléaire – comme “un problème pour la Commission conjointe” – à savoir, que le forum politique doit être seul à décider.[10]

Les exemples ci-dessus montrent explicitement que le problème qui exige une action urgente est l’absence d’inspection réelle des sites en Iran, et non celui des missiles balistiques ou de l’expiration, dans 8 ou 10 ans, des restrictions contre l’Iran.

L’engagement de Trump d’agir si l’AIEA ne mène pas de réelles inspections – une mise à l’épreuve de son leadership

Le 18 septembre 2017, le président Trump, par le biais du Secrétaire d’Etat à l’énergie Rick Perry, a informé la Conférence générale de l’AIEA que “nous n’accepterons pas d’accord mal appliqué ou géré de manière inadéquate”.[11]

Par cette déclaration, Trump a fixé une condition effective à la continuation du soutien américain au JCPOA. Cette demande de contrôle solide n’est pas une demande de modification du JCPOA, et ne signifie pas un retrait de celui-ci, mais est au contraire fondée sur l’acceptation de l’accord et l’insistance sur son exécution rigoureuse dans sa forme actuelle. Si l’administration américaine respecte l’engagement de Trump, et si sa déclaration ne devient pas une autre déclaration anti-Iran ignorée par le Département d’Etat, elle constituera une véritable pression sur l’AIEA pour qu’elle remplisse ses obligations conformément à son mandat.

Il convient de souligner que les parties au JCPOA ne peuvent s’opposer à la demande de Trump pour que l’AIEA impose son autorité, vu que celle-ci repose sur l’acceptation du JCPOA et non sur le retrait de l’accord ou sur une demande d’amendement de l’accord.

L’Iran, comme l’ont clarifié ses officiels haut-placés, a un intérêt vital à ne pas quitter le JCPOA – probablement en raison de l’évaluation de ses dirigeants selon laquelle s’il quittait le JCPOA, il s’exposerait à une attaque israélienne.

 

* Yigal Carmon est le Président de MEMRI ; A. Savyon est Directrice du

 MEMRI Iranian Media Project.

 

[1] Haaretz (Israël), 17 septembre 2017. Le quotidien a rapporté que les informations confidentielles sur les sites suspects en Iran avaient été transmises à l’AIEA mais que l’agence n’avait pas inspecté la plupart des sites. Les inspecteurs de l’AIEA, selon les sources israéliennes citées dans le rapport, ont préféré ne pas affronter les Iraniens, qui ont refusé de les laisser visiter plusieurs des sites.

[2] Par exemple, la déclaration d’Amano du 31 août 2017 à l’Associated Press à Vienne : l’AIEA “a accès à (tous) les emplacements, sans distinction entre les emplacements militaires et civils”. Stripes.com, 31 août 2017 ; et sa déclaration du 11 septembre 2017 au Conseil d’administration de l’AIEA : “Nous continuerons à appliquer le Protocole additionnel en Iran, y compris en autorisant les accès supplémentaires aux sites et autres emplacements, comme nous le faisons dans les autres pays [avec lesquels] il y a des protocoles additionnels”.

Iaea.org/newscenter/statements/iaea-director-generals-introductory-statement-to-the-board-of-governors-11-september-2017.

[3] ISNA (Iran), 21 septembre 2015. Voir aussi MEMRI Inquiry & Analysis No. 1344 – Iran Follows In North Korea’s Footsteps: Nuclearization, Missile Development Alongside Agreements With The Superpowers; EU3, IAEA Director-General Submitted To Obama Administration Pressure, Agreed To JCPOA With No Real Inspection, No Response To Iran’s Missile Program; French President: ‘Absolutely Necessary’ That JCPOA Be ‘Supplemented’, 8 septembre 2017.

[4] MEMRI Special Dispatch No. 6113 – Atomic Energy Organization Of Iran Chief Ali Akbar Salehi: We Have Reached An Understanding With The IAEA On The PMD, Now Political Backing Exists And The Results Will Be Very Positive, 22 juillet 2017;

MEMRI Inquiry & Analysis Series No. 1167 – Nuclear Negotiations At An Impasse: Leader Khamenei Rejects Agreement Reached On Token Inspection Of Military Sites And Questioning Of Scientists; U.S. Willing To Close IAEA Dossier On Iranian PMD, To Settle For Inspecting Declared Nuclear Sites Only, And To Rely On Intelligence; EU Objects, 11 juin 2015; MEMRI Special Dispatch No. 6229 – Statements By Iranian Deputy Foreign Minister Abbas Araghchi Indicate: IAEA’s PMD Report Is Being Written In Negotiation With Iran, Not Independently, 26 novembre 2015.

[5] Menewsline.com, 16 février 2016. Le rapport continuait : “Mais lors de son audition, Mull a reconnu que Washington n’avait pas vérifié la cargaison iranienne, dans le cadre de l’accord nucléaire avec les nations du P5+1. L’officiel a affirmé que la Russie, et pas l’Agence internationale de l’Energie atomique, était responsable de l’uranium iranien. Au lieu de cela, l’AIEA a assisté au chargement de l’uranium iranien sur le bateau russe”.

[6] Associated Press, CBSnews.com, 16 février 2016. Le rapport affirmait : “Après l’audition, un officiel haut-placé de l’administration a affirmé que le stock iranien se trouve en Russie, où il sera entreposé dans un lieu sûr, mais n’a pas précisé où. L’officiel n’a pas été autorisé à s’exprimer publiquement et a demandé à garder l’anonymat”.

[7] Voir « IAEA Takes A Light Touch On Iran’s Heavy Water, » Olli Heinonen, defenddemocracy.org, 28 avril 2016, et le rapport de l’IISS « Heavy Water Loophole in the Iran Deal, » ISIS-online, 21 décembre 2016.

[8] Voir « Update on Iran’s Compliance with the JCPOA Nuclear Limits – Iran’s Centrifuge Breakage Problem: Accidental Compliance, » ISIS-online, 21 septembre 2017.

[9] Reuters, 31 août 2017.

[10] Reuters, 26 septembre 2017.

[11] Reuters, 18 septembre 2017.

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