Une échauffourée a éclaté au cours de l’émission en arabe Shabab Talk consacrée au harcèlement sexuel des femmes au Soudan, diffusée sur la chaîne télévisée Deutsche Welle. Le professeur Mohammed Uthman Saleh, président de l’Association des oulémas soudanais et membre du panel, a déclaré que les statistiques montrant que le Soudan était un pays dangereux pour les femmes provenaient de sources « hostiles » à ce pays. Et d’ajouter qu’un harcèlement « s’ensuit » lorsque les jeunes hommes sont émoustillés en voyant des femmes peu couvertes.

Une femme de l’assistance qui a pris la parole au cours du débat, Wiam Shawqi, 28 ans, a déclaré que le professeur Saleh était responsable de harcèlement sexuel, car il donne aux hommes « le droit de harceler [les femmes] ». Shawqi a ajouté que l’habillement n’avait « rien à voir avec les coutumes malsaines et les traditions arriérées de la société ».

Cette émission a été diffusée le 18 septembre 2018. Les propos de Shawqi ont attiré l’attention de sources d’information en allemand et en arabe. La Deutsche Welle a annoncé que Shawqi et l’animateur Jaafar Abdoul Karim avaient reçu des menaces de mort à la suite du débat. Extraits :

Animateur Jaafar Abdoul Karim : Selon une enquête menée par la société Thomson Reuters, les coutumes et les traditions du Soudan en font l’un des lieux les plus dangereux pour les femmes. Il y a ainsi des chiffres et des faits, et nous pouvons entendre les témoignages de femmes ici, mais vous dites que ce n’est pas vrai. C’est votre opinion, mais je suis obligé de présenter les faits.

Pr  Mohammed Uthman Saleh : Je suis certain que vos statistiques proviennent de sources hostiles au Soudan. Je dois le dire haut et fort. Deuxièmement, concernant la liberté…

Jaafar Abdoul Karim : Pourquoi Thomson Reuters serait-elle hostile au Soudan ? Il a également mentionné l’Inde, l’Afghanistan, la Somalie, le Pakistan, l’Arabie saoudite, le Nigéria, le Yémen et l’Égypte. Est-elle hostile à tous ces pays ?

Pr Mohammed Uthman Saleh : Qui mène ces enquêtes ? C’est une simple question. […] 

Jaafar Abdoul Karim : Le professeur Mohammed Uthman dit que ce sont des statistiques anti-Soudan. Quelle est votre réaction

Azza Taj Al-Sirr : Je suis une femme soudanaise et je fais partie de ces statistiques. Je ne suis certainement pas une ennemie du Soudan. Je suis une femme soudanaise et je suis confrontée à ces choses quotidiennement. Il ne s’agit  pas simplement de statistiques. C’est notre réalité quotidienne. […] 

Jaafar Abdoul Karim : Je demande pourquoi le harcèlement existe en premier lieu.

Pr Mohammed Uthman Saleh : Le harcèlement est provoqué par l’éveil des émotions de ces jeunes hommes. Lorsque leurs émotions sont émoustillées en voyant une femme découverte – une femme qui n’est pas vêtue pudiquement – un harcèlement s’ensuit immédiatement. C’est la raison. C’est la raison.

Azza Taj Al-Sirr : Puis-je réagir ?

Jaafar Abdoul Karim : Allez-y, Azza.

Azza Taj Al-Sirr : Je regarde aussi…

Pr Mohammed Uthman Saleh : Le harcèlement est causé par des vêtements impudiques.

Azza Taj Al-Sirr : Je regarde aussi [les hommes] mais je ne les harcèle pas. Je regarde les jeunes hommes – j’ai aussi des pulsions – mais je ne les harcèle pas.

Jaafar Abdoul Karim : Elle pourrait tout aussi bien les harceler.

Azza Taj Al-Sirr : Mais je ne le fais pas.

Pr Mohammed Uthman Saleh : J’ai personnellement rencontré un jeune homme qui m’a raconté avoir été harcelé par une femme. Qu’en pensez-vous ?

Azza Taj Al-Sirr : Il s’est plaint…

Pr Mohammed Uthman Saleh : C’est parce qu’il était habillé impudiquement. […] 

Azza Taj Al-Sirr : Vous justifiez le harcèlement sexuel.

Jaafar Abdoul Karim : Répétez ?

Azza Taj Al-Sirr : Vous dites que le harcèlement sexuel est justifié.

Pr Mohammed Uthman Saleh : Il peut l’être. C’est pourquoi la charia stipule que les hommes comme les femmes doivent s’habiller pudiquement. […] 

Jaafar Abdoul Karim : Je pense que vous avez quelque chose à dire. Je vois que vous êtes furieuse. Allez-y. Allez-y. Tenez-vous ici pour pouvoir parler à…

Wiam Shawqi : Ce pays, qui tente de…

Jaafar Abdoul Karim : Comment vous appelez-vous ?

Wiam Shawqi : Wiam Shawqi.

Jaafar Abdoul Karim : Quel âge avez-vous ?

Wiam Shawqi : J’ai 28 ans. Mais 30 ans… 40 ans… Cela n’a pas d’importance, car même ma mère de 65 ans, qui porte des vêtements traditionnels soudanais, est victime de harcèlement sexuel dans la rue. Si je marche dans la rue et que je suis traitée comme un objet, comme un corps, non comme un être humain, et puis le [professeur Utham] lui donne le droit de me harceler, c’est lui qui est malade. Il ne s’agit pas de ce que je porte. Ce que je porte est respectueux de mon humanité et de ma liberté de choix. Cela n’a rien à voir avec les coutumes malsaines et les traditions arriérées de la société, étiquetées sous le nom de « charia ». […] 

Jaafar Abdoul Karim : Quel est le problème avec ce qu’elle porte ? Prenons un exemple pratique. Qu’est-ce qui ne va pas avec ce qu’elle porte ?

Pr Mohammed Uthman Saleh : Laissez-moi vous énoncer le principe religieux s’appliquant aux femmes musulmanes. Les vêtements d’une femme musulmane ne doivent pas faire ressortir son corps ni révéler ce qu’il y a dessous. Par exemple, elle ne doit pas révéler sa poitrine à Tom, Dick et Harry, qui seraient alors excités et pourraient commencer à la harceler, comme cela s’est passé dans le cas de la femme d’ici. Le principe religieux est donc que les vêtements ne doivent pas faire ressortir ou révéler… Si elle n’est pas vêtue correctement et que quelqu’un la harcèle, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même.

Azza Taj Al-Sirr : Pardonnez-moi, mais vous ignorez ce qui m’est arrivé. Avec tout le respect que je vous dois, vous n’avez aucune idée de ce qui m’est arrivé. Vous ne m’avez pas demandé ce qui s’est passé avant de rendre votre jugement.

Pr Mohammed Uthman Saleh : Je peux vous voir devant moi…

Azza Taj Al-Sirr : Vous ne pouvez rien voir…

Pr Mohammed Uthman Saleh : Je n’ai pas besoin de vous demander…

Azza Taj Al-Sirr : Ce que vous dites signifie que vous voulez me harceler.

Pr Mohammed Uthman Saleh : Non, pas du tout. Vous devriez avoir honte.

Azza Taj Al-Sirr : Avoir honte ? Vous devriez avoir honte de me juger en fonction de mon apparence.

Voir les extraits vidéo sur MEMRI TV

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